La maison mère de Google métamorphose son business model. Longtemps centré sur les services internet, le groupe étend son emprise sur les lancements matériels, des smartphones aux enceintes connectées.

La pierre de fondation de l’empire Alphabet, c’est le software, et plus particulièrement son algorithme de recherche qui a permis à son emblématique moteur de recherche, Google, d’écraser la concurrence au début des années 2000 en s’emparant de 90% du marché mondial. Un succès tout autant dû à sa simplicité d’utilisation qu’à son efficacité, et qu’Alphabet a répliqué dans les services internet.

L’empire du software

C’est le cas de Chrome. Lancé en 2008, il devient quatre ans plus tard le navigateur le plus utilisé au monde devant Internet Explorer de Microsoft ou Safari d’Apple, et détient, en 2018, 70% des parts de marché. Sa messagerie, Gmail, fait quant à elle partie des trois les plus utilisées à travers la planète, de même que son service de cartographie, Google Maps.

Alphabet a aussi su flairer et miser sur les grandes tendances émergentes. En 2000, l’entreprise lance le service AdWords, anticipant l’explosion des recherches et de la publicité en ligne. Le service repose sur un principe simple mais d’une redoutable efficacité : la mise aux enchères auprès des annonceurs de mots-clés utilisés lors des recherches sur le Web. Les régies publicitaires AdSense, dédiée à la vente de trafic, et AdWords ont permis à Alphabet d’engranger plus de 95 milliards de dollars de revenus en 2017, contre 16 milliards « seulement » dix ans auparavant.

En rachetant Android, pour un montant estimé autour de 50 millions de dollars en 2005 (soit deux ans avant le lancement du premier iPhone), Google mettait le pied dans un secteur qui n’en était alors qu’à ses prémisses : celui des appareils mobiles puis des smartphones. Contrairement à Apple, qui a marqué la voie hardware de cette révolution du smartphone, Google s’est emparé de son pan software. Aujourd’hui, son système d’exploitation équipe 75% des téléphones intelligents à travers la planète, très loin devant l’iOS d’Apple (20% du marché). D’autres rachats, comme celui de YouTube en 2006 ou de Waze en 2013, ont permis à Alphabet de s’imposer dans le streaming vidéo ou la navigation GPS, faisant de l’entreprise l’empereur du software internet. Un empire construit à coups d’acquisitions – plus de 220 depuis 2001.

L’intelligence artificielle pour conquérir le monde

Depuis 2013, Alphabet a concentré sa politique de rachat sur l’intelligence artificielle, avec l’acquisition d’une quinzaine de start-up spécialisées dans le domaine. Parmi elles, la britannique DeepMind, acquise pour 628 millions de dollars, et qui a fait d’Alphabet un acteur majeur de la course à l'intelligence artificielle. Une de ses IA, Alpha Go, s’est fait connaître du grand public en 2016 en battant le champion du monde de Go, un jeu réputé par la complexité de ses combinaisons.

Google a acheté une quinzaine de start-up spécialisées dans l'IA

Au-delà du ludique, Alphabet a utilisé DeepMind pour avancer ses pions dans le très prometteur et très controversé secteur de l’IA appliquée à la santé – un marché qui devrait atteindre 36 milliards de dollars en 2025 contre 2,1 milliards en 2018, selon une étude de Markets&Markets. Alphabet, qui investit largement dans la santé via ses filiales Calico ou Verily, croit aux capacités de l’intelligence artificielle à aider les médecins dans leurs diagnostics et les patients dans le suivi de leur maladie. DeepMind Health a par exemple signé un partenariat avec le service national de santé britannique, le NHS, pour accéder aux données de millions de patients. L’objectif de cette collaboration ? Améliorer le diagnostic de maladies oculaires ou hépatiques.

La firme de Mountain View mise aussi sur la reconnaissance d’images et vocale, le traitement automatisé du langage ou le deep learning pour améliorer son ciblage marketing et publicitaire, et donc ses revenus. Et c’est là qu’entre de nouveau en jeu le hardware.

Retour gagnant vers le hardware

Si le software a fait le succès d’Alphabet, l’entreprise est régulièrement tentée par le hardware, avec un succès parfois mitigé. L’emblématique échec des lunettes connectées, les Google Glass, reste dans toutes les mémoires. Le rachat de la branche « mobilité » de Motorola en 2011, puis sa revente à Lenovo en 2014, ou encore l’acquisition partielle d’HTC en 2017 ont fait couler beaucoup d’encre. Car malgré ces acquisitions, Alphabet n’est jamais parvenu à faire de ses smartphones, Nexus ou Moto, des succès capables de concurrencer les modèles d’Apple, Xiaomi ou Huawei.

Pourtant, l’intérêt d’Alphabet pour le hardware n’a jamais faibli et gagne même en intensité depuis 2017 avec le développement de l’IA. La firme de Mountain View « n’est plus mobile first, explique Bodgan Petrovan, rédacteur en chef pour l’Europe d’Android Authority. C’est maintenant une entreprise d’IA. Et une bonne intelligence artificielle ‑ du genre qui se distingue de la magie ‑ nécessite une intégration étroite avec le matériel, les logiciels et les services. »

Le matériel a un rôle central à jouer dans le futur d’Alphabet. C’est ce que confirmait Rick Osterloh, le président de la branche « Hardware » du groupe : « Il existe une frontière claire entre la technologie sur laquelle nous travaillions il y a vingt ans, la technologie que nous développons aujourd’hui et les grandes avancées se produisent au croisement de l’IA, du software et du hardware, qui fonctionnent ensemble. C'est cette approche qui rend l'expérience matérielle de Google si unique, et elle offre de nombreux avantages. Lorsque nous pensons à l’intelligence artificielle dans le contexte du hardware grand public, ce n’est pas du tout artificiel, cela vous aide à accomplir de véritables tâches au quotidien. Un trajet plus court pour se rendre au travail. Une photo de vacances magnifique. Une réponse par email plus rapide. »

Google a vendu plus de 50 millions d'enceintes Google Home

L’intelligence artificielle vient en renfort des autres produits et projets développés par Alphabet. Assistant personnel, enceinte et autres objets connectés sont en effet le nouveau terrain de jeu du software. Et le nouveau terrain de bataille sur lequel s’affrontent les Gafam et les BATX. Pour eux l’enjeu est double. D’un côté, augmenter leurs ventes de produits matériels en mettant en avant les avantages d’un software dopé à l’intelligence artificielle. De l’autre, se faire une place de plus en plus grande dans notre quotidien et récolter de plus en plus données sur les achats, la santé ou les déplacements de leurs utilisateurs. C’est ce qu’illustre le couple assistant personnel/enceintes connectées développé aussi bien par Amazon que par Apple (Siri/HomePad) et Alphabet (Alexa/Echo). Le groupe de Mountain View a déjà vendu plus de 50 millions de ses enceintes Google Home qui permettent d’utiliser tous ses services (moteur de recherche, Gmail, Youtube, etc.) grâce à la commande vocale.

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Le hardware est le support de l’entreprise de plus en plus connectée et tournée vers l’IA qu’est en train de devenir Alphabet. Ce qui se dessine est un avenir dans lequel les services et les produits d’Alphabet et des autres Gafam/BATX seront toujours plus intégrés et omniprésents. Cette stratégie d’alliance entre le matériel et les logiciels s’annonce déjà payante pour Alphabet : le hardware devrait lui rapporter 19,5 milliards en 2021, contre 8,8 milliards en 2018, selon une étude de la banque d’investissement RBC Capital Markets.

Cécile Chevré 

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