Famille, fortune, rivalités avec Bouygues... Qui est vraiment Patrick Drahi, tycoon des télécoms et des médias qui a annoncé le 17 juin qu'il prenait le contrôle de la célèbre maison d'enchères.

C'est par communiqué de presse que le lundi 17 juin, l'homme d'affaires a annoncé qu'il achetait l'ancestrale maison d'enchères Sotheby's, Si Patrick Drahi est un amateur d’art moderne, ce n’est pas forcément sa passion qui l’a incité à débourser une telle somme. Le milliardaire espère un retour sur investissement, ce qui est envisageable à moyen terme. Le marché de l’art est en pleine croissance porté par une clientèle issue d’Asie et du Moyen-Orient. Les deux plus grosses maisons d’enchères de la planète sont désormais entre des mains françaises puisque Christie’s appartient à François Pinault. Au-delà de la quête de profit, cette acquisition permet à l’homme d’affaires de se faire connaître des plus grandes fortunes du monde.

Pourtant, enfant, Patrick Drahi se rêvait enseignant. À tel point qu’à l’âge de onze ans, il aidait ses parents professeurs de mathématiques au Maroc à corriger les copies d’élèves parfois plus vieux que lui. Mais cet amoureux des chiffres, arrivé en France à quinze ans, suivra une autre voie. Bachelier avec deux ans d’avance, il intègre Polytechnique puis l’École nationale supérieure des télécommunications (aujourd’hui Télécom Paris Tech). Et vient l’heure du choix : quel métier exercer ? Impossible pour le jeune diplômé d’entrer dans une entreprise publique comme bon nombre de ses condisciples. Son stage de fin de première année à la SNCF le convainc qu’il n’a pas l’âme d’un fonctionnaire.

C’est en qualité de salarié chez Philips qu’il commence son chemin vers les sommets. Affecté à la tête de la division des systèmes de télévision par satellite, il y reste deux ans. Sous sa direction, le chiffre d’affaires passe de dix millions à un milliard de francs. De telles performances attirent les recruteurs. Le groupe suédois de télécoms Kinnevik débauche le jeune polytechnicien pour restructurer une activité de câblo-opérateur en Andalousie. Mission accomplie avec rapidité et brio. Pour Patrick Drahi une conclusion s’impose : ses prochains succès seront au service de lui-même et non plus d’un employeur.

La constitution d’un empire des télécoms

Ces débuts d’entrepreneurs sont marqués d’aventures courtes mais intenses. Dès 1993, il se lance dans le conseil puis fonde Sud Câble Service et Médiaréseaux. L’occasion pour lui d’apprendre à dialoguer avec les élus locaux. Ce qui lui sera utile par la suite. En 1999, il rejoint l’américain UPC, géant de la télévision par câble, pour diriger l’activité Europe occidentale et méridionale. C’est à cette occasion qu’il s’installe en Suisse. Il vendra ses participations dans UPC en 2001, au plus haut de la bulle internet.

Au début des années 2000, Patrick Drahi commence peu à peu à devenir leader français du câble. Sa holding Altice, créée en 2001, s’empare en quelques années de 99% du marché français en prenant notamment le contrôle de Noos et de NC Numericable. En janvier 2014, Altice fait son entrée à la Bourse d’Amsterdam. Patrick Drahi peut enfin jouer dans la cour des grands.

Malgré un tel parcours, l’entrepreneur reste relativement peu connu du grand public. Les choses changent totalement en 2014. Après une bataille épique contre Bouygues Télécom dans laquelle se mêle la classe politique, Altice prend le contrôle de SFR pour 13,5 milliards d’euros. Pour cela, il s’appuie sur une douzaine d’hommes de confiance alors que son adversaire est accompagné d’une armée de banquiers, d’avocat ou de financiers.

En 2014, Patrick Drahi acquiert SFR au nez et à la barbe de Martin Bouygues.

Un coup magnifique pour Patrick Drahi qui ne souhaite pas s’arrêter en si bon chemin puisqu’il se porte acquéreur de Portugal Telecom pour 7,4 milliards de dollars en novembre 2014. Enfin, place à la conquête du nouveau monde. En mai 2015, Patrick Drahi débourse 9 milliards de dollars pour prendre le contrôle de 70% de Suddenlink, septième cablo-opérateur américain. Puis vient la plus grosse opération : l’acquisition de Cablevision qui devient Altice USA pour 17,7 milliards de dollars en juin 2016.

Un patron de presse sur le tard

Avec la montée en puissance d’Altice, Patrick Drahi s’est peu à peu hissé au niveau de Martin Bouygues et de Xavier Niel, ses rivaux dans l’Hexagone. Ces derniers, en plus de posséder les réseaux, étaient tous deux en possession d’un empire des médias. Patrick Drahi décide de faire de même. En 2013, il se « fait la main » sur la chaîne de télévision israélienne i24news qui souhaite « montrer le vrai visage d’Israël » en émettant en anglais, en hébreu, en arabe et en français. Mais c’est en 2014 que le magnat des télécoms se mue véritablement en patron de presse. En mai, il contribue à sauver Libération de la faillite avant d’en prendre progressivement le contrôle. Mais son appétit pour la presse ne s’arrête pas là. Quelques mois plus tard, L’Express tombe dans son escarcelle. En juillet 2015, il acquiert Next Radio Group (BFMTV, BFM Business, RMC…).

Cost-killer mais philanthrope

Lorsqu’il faut compresser les coûts, Patrick Drahi ne prend pas de gants. Au risque d’en faire parfois un peu trop. En plus de plans sociaux ou de plans de départs volontaires chez SFR ou L’Express, plusieurs anecdotes révèlent sa volonté de réduire les dépenses courantes à portion congrue. Lors de son arrivée chez SFR, les salariés se sont notamment plaints du manque de feuilles dans les photocopieuses, de pénurie de papier hygiénique dans les toilettes ou encore de la baisse du nombre de chemises attribuées à chaque vendeur dans les points de vente du groupe… C’est également lui qui a dessiné le premier logo d’Altice pour ne pas avoir à payer de graphiste.

Patrick Drahi a dessiné lui même le premier logo d'Altice pour ne pas avoir à payer de graphiste.

Pourtant, même s’il communique peu sur le sujet, Patrick Drahi est un véritable philanthrope. Depuis 2014, la fondation Patrick et Lina Drahi dépense des millions dans l’éducation. Outre le financement de bourses pour les étudiants méritants, d’un collège-lycée franco-israélien ou d’un institut sur la recherche sur le cerveau à Jérusalem, le tycoon des télécoms et des médias n’oublie pas ses anciennes écoles. En 2014, il a fait un don de 10 millions d’euros à la Fondation Télécom consacrée « au développement et au rayonnement des écoles de Télécom de l’Institut Mines Telecom ». Un an plus tard, l’école polytechnique a reçu 7 millions d’euros pour soutenir l’entrepreneuriat parmi ses étudiants. De quoi faire émerger de nouveaux Patrick Drahi.

Israël : une terre d’adoption… et de bonnes affaires

Patrick Drahi partage son temps entre la France, la Suisse et Israël où il réside à Tel Aviv dans la tour One Rothschild réputée la plus chic de la ville. De confession juive, il se définit comme juif libéral. Sa femme Lina, mère de ses quatre enfants, est d’ailleurs d’origine chrétienne et syrienne bien qu’elle se soit convertie au judaïsme par la suite.

Pourtant, c’est bel et bien pour les affaires qu’il s’est installé dans l’État hébreu où il débarque en 2009 pour acquérir le câblo-opérateur Hot avant de prendre le contrôle de l’opérateur téléphonique Mirs pour 170 millions de dollars.

Son modèle : l’Américain John Malone qui a bâti un empire du câble aux États-Unis et en Europe.

Son plus gros coup : en avril 2014, il acquiert SFR pour 13,5 milliards d’euros. Au nez et à la barbe de Bouygues Télécom.

Son homme de confiance :  Armando Pereira. Né dans une famille modeste au Portugal, il émigre seul en France à 14 ans puis fait fortune dans les réseaux câblés. Il rencontre Patrick Drahi en 1991 puis le suit dans toutes ses aventures avec une réputation d’homme de main discret, brutal mais ô combien efficace.

Sa dernière folie : Altice-SFR a déboursé 370 millions d’euros par saison pour diffuser la Ligue des champions et la Ligue Europa entre 2018 et 2021.

Lucas Jakubowicz

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