SOS Médecins fantômes. La pénurie de professionnels de santé contraint les établissements de soins et les grands industriels à faire preuve d’ingéniosité pour attirer les meilleurs profils au sein de leurs structures. Dans ce contexte délicat, Olivier Marquis et Christophe Dallet, dirigeants du cabinet de recrutement ANTENOR, s’appuient sur leur expertise sectorielle et leurs années d’expérience pour réunir candidats compétents et projets ambitieux.

Décideurs. Quelles sont les principales mutations du marché du recrutement pour les établissements de soins, observées ces trois dernières années ?

Christophe Dallet. Le recrutement des médecins est contraint par des données démographiques et structurelles (pour rappel, la profession est règlementée) qui conditionnent son évolution. Au plan démographique, la pénurie de médecins est la conséquence du numérus clausus limitant la formation de jeunes nouveaux médecins à un volume qui, dans la période, est inférieur à celui des départs en retraite. En conséquence, la filière nationale est tendue et le recours à l’impatriation de médecins se multiplie. Les conséquences sont ressenties par les structures sanitaires publiques comme privées en termes de difficultés à recruter comme de complexité accrue quant à l’intégration de médecins européens. Cette tension n’est pas sans conséquence pour les patients : désertification médicale, délais allongés pour la prise de rendez-vous, tension des services d’urgence. Au plan structurel, la réforme des Groupements Hospitaliers de Territoire, déployée l’an dernier, vise à réorganiser ces bassins de santé et à regrouper un certain nombre de services. Un établissement pivot est désormais en charge du recrutement et des affaires médicales dans chaque territoire. Les effets sont encore à mesurer, mais notre rôle est également d’accompagner ces changements et de conseiller les établissements dans leurs procédures de recrutement et d’intégration.

Concernant les industriels du secteur, quelles sont les principales tendances à relever ?

Olivier Marquis. Les trois principales branches d’activité des laboratoires (R&D, production et commercialisation) sont soumises à différents bouleversements ayant conduit à une transformation profonde de nombreux emplois, la création de certaines nouvelles fonctions mais finalement à une baisse des effectifs de l’ordre de 10 % entre 2007 et 2017, soit 10 000 postes. Les services de R&D, globalement en décroissance, suivent de plus en plus une logique partenariale. Les rachats de biotechs donnent lieu à des intégrations réfléchies afin de laisser une certaine autonomie à leurs entités, agiles par nature. L’enjeu est décisif pour nos clients qui veulent étoffer leurs expertises sans étouffer le dynamisme des spécialistes qui les rejoignent. La sous-traitance se développe aussi à grande vitesse, et les grands groupes multiplient le nombre de passerelles entre leurs services et leurs interlocuteurs extérieurs. Le nombre de ces « chefs d’orchestre » impliqués dans ces missions s’accroit très vite. Les activités de production sont également affectées par des évolutions d’envergure. Seule la moitié des sites en France appartiennent à des laboratoires pharmaceutiques. Les usines sont revendues à des CMO qu’il faut pouvoir gérer et piloter. Notre pays a aussi accumulé un inquiétant retard sur ses capacités de production de médicaments biologiques. La reconversion des usines, de la production chimique vers le biologique, est source de difficultés pour les industriels, et requiert de forts investissements. Chercher les profils aux compétences de pointe pour assurer cette transition n’est pas chose aisée et les difficultés de recrutement se font de plus en plus sentir. La France est passée en dix ans de la première à la quatrième place des producteurs européens de médicaments. Sur 15 biosimilaires commercialisés, aucun n’est fabriqué en France. Seuls 2 nouveaux médicaments biologiques sur les 22 derniers lancements en 2017 sont fabriqués dans l’Hexagone. Il faut donc aller chercher les talents à l’international (Suisse, Angleterre et Allemagne). Un grand laboratoire français a même choisi un partenaire suisse pour son prochain médicament biologique.

« Nos clients veulent étoffer leurs expertises sans étouffer le dynamisme des spécialistes qui les rejoignent. »

Qu’en est-il des professionnels de la commercialisation ?

Olivier Marquis. Les compétences attendues ont également évolué pour ce pôle stratégique. Le nombre de PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) oscille entre 20 et 25 par an depuis 7-8 ans. Les visiteurs médicaux et visiteurs hospitaliers ont presque vu leur effectif baisser de moitié, passant de 23 000 à 12 000 professionnels en une dizaine d’années. Une modification de la réglementation, et plus précisément de la charte de la visite médicale, visant à faire diminuer la pression commerciale vers le prescripteur est à l’origine de ce mouvement. En parallèle, environ un millier de postes ont été créés et confiés à des médecins, pharmaciens ou scientifiques pointus qui sont chargés de délivrer une information scientifique de haut niveau. Enfin, l’accent mis sur la qualité est aussi à l’origine de la création d’emplois destinés à vérifier toujours plus finement la compliance règlementaire. En dix ans, ces postes ont été multipliés par deux ou trois.

Avec l’émergence des outils numériques et des réseaux professionnels en ligne, les directions des ressources humaines surestiment-elles parfois leur niveau de connaissance du marché ?

Christophe Dallet. Les réseaux sociaux sont accessibles à tous. En revanche, tirer le meilleur de cet outil requiert des compétences et du temps. L’internalisation du talent acquisition par les entreprises n’est pas du tout incompatible au recours à des chasseurs de têtes, d’autant qu’il est délicat pour une entreprise de chasser directement chez ses concurrents. Notre valeur ajoutée est complémentaire à ce que l’entreprise peut réaliser par elle-même. L’exploitation des réseaux sociaux participe à notre boîte à outils mais est insuffisante si elle n’est pas combinée avec d’autres outils : une stratégie multimodale est indispensable pour réussir. À ce titre, l’approche directe est synonyme d’une prise personnelle de contact avec une population active près laquelle nous sommes ambassadeurs des besoins et projets de nos clients. Notre rôle est d’informer et d’intéresser quant aux opportunités qu’offrent nos clients. En tant que partenaires de confiance des entreprises et des candidats, nous dressons des passerelles intelligentes. Pour les services RH des entreprises, nous sommes complémentaires et supplémentaires par l’exhaustivité de sourcing que seul un chasseur peut proposer. Pour les candidats, nous sommes également des agents de carrière, aptes à proposer de nouveaux terrains d’expression et d’épanouissement professionnel.

Comment vous assurez-vous de l’exhaustivité de vos sources de contact dans votre travail de recherches ?

Christophe Dallet. Le métier de la chasse de tête peut s’apparenter à la big data qu’il faut capter avec exhaustivité et traiter avec précision. À chaque démarrage de mission, nous nous concentrons sur la captation d’une communauté de compétences laquelle doit être complète, précise, actualisée.

Olivier Marquis. Avec près de 5 000 recrutements réalisés depuis la création d’ANTENOR, nous avons tissé des liens depuis 25 ans avec la plupart des candidats du secteur. En tant que spécialiste du recrutement, lorsque nous les appelons et que nous leur expliquons ce que peut leur apporter le poste à pourvoir dans leur expérience professionnelle, ils écoutent avec attention notre analyse d’expert du sujet. Ce lien de confiance nous permet de faire la différence et d’être plus agile. Notre screening précis des nombreux candidats que nous approchons quotidiennement permet souvent à notre société cliente de gagner un temps précieux. Dans d’autres circonstances, les industriels nous missionnent en nous précisant qu’ils ont des ressources en interne mais qu’ils s’interrogent sur les potentiels meilleurs profils, disponibles sur le marché. Une photographie précise à un instant donné. En travaillant avec 10 % des laboratoires pharmaceutiques, nos règles de déontologie nous permettent de chasser chez les 90 % restant du marché.

L’organisation de la santé en France répond d’ailleurs à une logique de territoires et de belles opportunités d’exercice existent partout.

Que conseillez-vous aux marques, installées en région et disposant d’une faible notoriété mais qui souhaitent elles-aussi recruter les meilleurs profils ?

Christophe Dallet. Les enjeux d’emplois sont présents partout en France et il existe partout de fortes dynamiques, de vraies vitalités, des projets d’avenir. Les besoins et les pratiques entre Paris et les régions ne sont pas différents. Notre appartenance au Groupe Partnaire dont la couverture est nationale, nous permet de le constater. Côté candidat, la mobilité s’est accrue : ils pensent « projet professionnel » mais aussi « projet de vie » et souhaitent, avec raison, équilibrer les deux et profiter des avantages du bien vivre que l’on trouve en régions. L’organisation de la santé en France répond d’ailleurs à une logique de territoires et de belles opportunités d’exercice existent partout.

Olivier Marquis. Aujourd’hui, il est étonnant de constater que les sociétés jouissant d’une belle notoriété attirent parfois moins les jeunes diplômés que les projets pointus, imaginés par de jeunes sociétés dynamiques. Les jeunes générations veulent travailler différemment et sur un mode plus entrepreneurial. Les laboratoires s’inscrivent de plus en plus volontiers dans l’évolution de la manière de travailler (smart working, télétravail partiel, …) pour mieux capter les talents et parfois sous l’influence de dirigeants expatriés revenant en France et ayant « expérimenté » le modèle à l’international.

Christophe Dallet. Certaines structures ont des déficits de notoriété, et n’ont parfois pas formalisé leur story telling ou leur « expérience candidat », mais elles n’en ont pas moins des projets et des valeurs à exprimer. Nous les accompagnons dans cette mise en forme et nous portons messagers et ambassadeurs auprès des candidats. La mise en lumière de ces éléments est une vraie valeur ajoutée apportée par notre cabinet.

Olivier Marquis. Il convient toutefois de ne pas être naïfs. Certains bassins d’emplois restent plus attractifs que d’autres. Le candidat sera plus enclin à s’installer dans une région s’il est convaincu que sa conjointe peut aussi trouver un poste sur place, ou si lui-même pourra à l’avenir trouver un autre emploi dans la région.

Sur quels critères se fondent vos évaluations dans candidats ? Comment ces critères ont-ils évolué ?

Christophe Dallet. Les évolutions en la matière demeurent limitées. L’obsolescence des connaissances s’accélère, la tendance n’est pas nouvelle, l’accent est actuellement mis sur les soft skills, mais l’importance portée aux savoir-être n’est pas nouvelle non plus : la capacité à collaborer, à se remettre en question, ont toujours été des caractéristiques considérées. Aujourd’hui comme hier, l’employabilité doit combiner besoin présent et évolution future.

 

Propos recueillis par Thomas Bastin (@ThBastin)

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