Anne De Landsheer est une professionnelle réputée et observatrice attentive du monde du recrutement. Spécialisée en Life Sciences, elle revient sur les principales évolutions et tendances du métier, ainsi que sur ses enjeux à venir.

Décideurs. D’après vous quel est le rôle d’un cabinet d’Executive Search aujourd’hui et demain ?
Concernant l’évolution de notre métier, je distinguerais trois points essentiels. 
Premièrement, il faut faire évoluer les modes de pensée et les pratiques dans le secteur du recrutement. Nous ne serons plus des chasseurs pour des métiers, mais des chasseurs de compétences potentielles . Les études américaines l’ont annoncé et des études françaises le confirment : 65 % des écoliers d’aujourd’hui exerceront des métiers qui n’existent pas encore, ce qui va de pair avec le développement des nouvelles tendances des modes de travail. La génération des Millennials représentera 75 % de la population en 2030. L’avenir de nos talents est désormais étroitement lié à leur « employabilité », mais ce qui change d’avec la génération X est qu’ils souhaitent se construire par eux-mêmes, traduction d'un besoin d’indépendance vis-à-vis de l’employeur. Dans ce prolongement, les jeunes s'orientent de plus en plus vers l’international (85 % des moins de 30 ans veulent s’expatrier). Comment les y prépare-t-on ? 

« Dans certains pays nordiques, il n’est pas rare déjà d’exercer
deux métiers différents en même temps » 


Le constat ? Des candidats de plus en plus mobiles qui envisagent l’international comme une évidence. Ils n’ont pas la notion de « lieu de travail » et le mot « collectif » représente un mode de pensée. Cette évolution constitue de véritables enjeux générationnels au sein des entreprises. Dans certains pays nordiques, par exemple, il n’est pas rare déjà d’exercer deux métiers différents en même temps.
Là encore, il s’agit de faire évoluer tant les mentalités des chasseurs que de leurs clients, au risque d’être décalés et inefficaces dans un monde au sein duquel chacun changera régulièrement d’emploi et sera formé rapidement à un nouveau métier, un monde dans lequel l’apprentissage de nouvelles connaissances se fera en temps réel (in-the-moment learning). En 2030, le rythme des changements sera si rapide qu’il s’agira essentiellement d’évaluer la capacité à acquérir de nouvelles connaissances car cette aptitude sera plus précieuse que la connaissance elle-même (learning agility).
Dans cette nouvelle économie, les candidats seront « chassés » pour leur potentiel de compétences prédictives, piloteront eux-mêmes leur rémunération et pourront ainsi augmenter leurs ressources en saisissant des emplois dans lesquels ils peuvent évoluer… Il ne s’agira plus de perfectionner son savoir-faire, mais de perfectionner sa capacité d’adéquation à de nouveaux métiers. D’ailleurs, les étudiants d’aujourd’hui seront déjà passés par huit à dix emplois à l’âge de 38 ans.
Le deuxième point essentiel est de préserver l'employabilité des candidats face au risque de l'hyperspécialisation des métiers. Nous sommes sollicités pour identifier et chasser des profils rares, et souvent pour des métiers qui se complexifient. Par exemple, si l’on compare les métiers du market access il y a cinq ans à ceux de demain, le problème du prix/valeur produit dans le domaine de la santé a engendré une spirale de métiers « accès au marché » différents, à tel point que dans certaines big pharmas on peut déjà dénombrer une dizaine de titres métiers différents en partant de la R&D jusqu’aux Public Affairs  !
Enfin, le troisième point est que nous avons l'obligation de nous remettre en question en nous modernisant. En 2020, l’intelligence artificielle fera partie des cinq investissements prioritaires pour 30 % des industries. C’est un tournant que notre métier doit suivre également ! Aujourd’hui, les algorithmes doués d’intelligence artificielle sont capables de prédire le comportement futur d’un candidat, avant même son embauche. D’après des recherches publiées dans la Harvard Business Review, ces algorithmes seraient plus fiables dans la recherche du candidat idéal que les humains. Ces outils d’intelligence artificielle vont donc nous rendre plus efficaces et plus rapides, en facilitant le sourcing des candidats, mais aussi la prédictivité des évaluations. Encore faudra-t-il s’assurer de la parfaite conformité de leur utilisation, et je pense ici en particulier aux restitutions d’évaluations de la part des consultants.

Décideurs. Et qu'en est-il aujourd'hui ?
Le constat à ce jour est que les acteurs de l'Executive Search se répartissent au niveau international entre les marques reconnues et souvent généralistes, ou des marques spécialisées dans un ou plusieurs secteurs spécifiques, comme c’est le cas de Peak-Lifecycles HR dans l'environnement global life sciences par exemple. Dans les deux cas, quel que soit le business model (unités fonctionnelles ou structurelles), tous les cabinets revendiquent systématiquement l’expertise. La question pour un client pourrait être d’identifier où se porte « ladite » expertise : la marque ? les consultants ? les recommandations ?
Tous les cabinets revendiquent l’éthique et l’expertise. Pourtant, il n’existe pas réellement d’alignement sur ce métier. Globalement dans notre profession, il est intéressant de noter que dans certains pays comme la Suisse, un cabinet de chasse est autorisé à travailler sous conditions de certaines règles déontologiques et même judiciaires (vérification du casier entre autres), alors que dans d’autres pays comme la France, le Royaume-Uni... tout le monde peut « s’improviser » chasseur de têtes. Cela peut faire réfléchir à un moment où pratiquement chaque industrie, et même celle du service, est soumise à des règles de compliance strictes. Personnellement, cela me dérange dans un métier où l’intuitu personæ est majeur et où le respect du candidat devrait être régulé bien au-delà de la non-discrimination revendiquée par tous.

« Il serait urgent de réglementer le métier de chasseur de tête »


C’est, de cette façon, que nous sommes tous assimilés à un métier où pourtant chacun peut exercer très différemment. Par exemple, nous n’avons pas toujours très bonne presse, notamment sur les réseaux sociaux : on peut y lire de très mauvaises expériences de candidats avec certains consultants : arrogance, mépris, agressivité, absence de communication, irrespect, voire un manque de confidentialité.
Spécifiquement, il subsiste une certaine confusion sur ce métier de la chasse : par exemple, nous sommes au « service » de nos clients pour lesquels nous chassons et recrutons des candidats . Notre démarche ne s’apparente donc pas à la recherche d’un poste pour un candidat, comme certains l’imaginent. La méconnaissance de nos fonctionnements peut ainsi générer des attentes non fondées, des frustrations qui génèrent des comportements décalés des candidats à l'égard des consultants.
C’est la raison pour laquelle il serait urgent de réglementer ce métier pour définir les « droits et devoirs » tant pour les consultants RH que pour les candidats.

Décideurs. Afin de mieux répondre aux nouveaux besoins de sa clientèle, comment a évolué le cabinet Peak Lifecycles ?
Peak-Lifecycles porte le changement dans son identité (cycles de vie) car nos clients – les industries de santé – sont aux prémices de leurs transformations et je suis convaincue que les bouleversements vont s’intensifier.
Le cabinet est dans la prospective et il n’est pas anodin que nos clients nous sollicitent parce qu’ils attendent mieux qu’une réponse systématisée, « gravée dans le marbre » et identique à celle de leurs concurrents. Les décisionnaires au sein des industries de santé ne peuvent plus être recrutés par « copier-coller » et cela nécessite des ruptures de modes de pensée et des évolutions dans les pratiques managériales. A l’extrême, on pourrait dire qu’un poste n’a de commun entre les clients que son intitulé, alors que la recherche de candidats sera parfois très différente, et surtout plus subtile que la basique « job description ». Pour exemple, un general manager utilisera des aptitudes et connaissances très différentes selon qu’il sera à la tête d’une start-up nécessitant une levée de fonds, ou au stade de réussir l’accès au marché, ou encore devant gérer des molécules perdant leurs brevets dans les prochaines années.
C’est justement ce qui nous a permis d’acquérir de nouveaux clients, et de grandir avec ceux qui nous sont fidèles. Ce qui nous passionne chez Peak Lifecycles concerne la singularité de leurs problématiques et, en ce sens, chaque mission nous donne cette opportunité de croiser leur côté « unique » au marché du recrutement des life sciences.
Notre capacité à l’innovation se démontre également par la prédictivité de nos évaluations : un dirigeant qui va passer la plupart de son temps avec une nouvelle recrue est en droit d’objectiver son choix sur une véritable analyse des candidats short-listés. Nos outils sont certifiés, basés sur la R&D en neurosciences cognitives. Dans ce cadre, nous avons pu enrichir notre prestation d’assessment centers, en nous orientant vers le « neuro-recrutement ».
De même, étant donné que nous nous sommes développés sur l’international, nous avons créé un outil de quotient interculturel, qui analyse la compétence à performer dans un milieu interculturel. Ce sont des innovations différenciantes que nos clients plébiscitent, car elles sont « calibrées » spécifiquement à leur contexte et, concrètement, cette prédictivité de nos évaluations représente une aide à la décision extrêmement précieuse.
Enfin, je tiens également à nos engagements sociétaux : nous sommes issus et dédiés aux industries de santé et il nous importe d’être acteurs de son environnement. C’est la raison pour laquelle nous soutenons deux associations en leur reversant 1 % de notre chiffre d’affaires : l’association Petits Princes, engagée pour l’enfant malade, et Neztoile qui utilise l'art soignant pour accompagner les derniers instants de la vie. Ces deux associations évoquent, elles aussi, les cycles de vie…

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