En proposant depuis quatre ans un nouveau modèle d’apprentissage au permis de conduire deux fois moins cher et au taux de réussite supérieur, Ornikar a bouleversé ce marché centenaire. Son fondateur, Benjamin Gaignault, nous explique sa réussite fondée sur le digital et un réseau de moniteurs de qualité.

Décideurs. Pouvez-vous décrire le concept d’Ornikar ?
Benjamin Gaignault. Ornikar est une auto-école en ligne qui propose deux offres.
La première est 100% dématérialisée. Pour le passage du code, nous proposons 2000 questions développées par une ancienne responsable pédagogique de ENPC (Edition Nationale du Permis de Conduire), leader des éditeurs de code de la route, un cours de co-learning et le kit d’inscription à l’examen en candidat libre pour 29,90€. Cet examen a cent ans et depuis toujours, on y trouve 40 questions et 40 réponses.  C’est dire si les possibilités d’innovation dans l’apprentissage sont colossales, notamment en matière de personnalisation.
Ensuite, il y a notre deuxième offre autour de la conduite. Il s’agit d’un réseau de moniteurs à leur compte et possédant leur propre voiture à double-commande. Les élèves réservent leurs heures de conduite auprès d’eux via une application, et ce, partout en France, dans 260 villes. Notre tarif plancher pour une heure de conduite est de 34,90 € alors que le prix moyen en France est de 55 €.
In fine, nous proposons une offre complète du permis de conduire deux fois moins chère que les auto-écoles conventionnelles. Notre taux de réussite est supérieur à la moyenne. Il atteint 90% pour le code et 72% pour la conduite.

Comment expliquez-vous ce taux de réussite supérieur à la moyenne ?
Deux facteurs l’expliquent. Nos utilisateurs sont d’abord des déçus des auto-écoles ayant cherché par eux-mêmes une alternative à une formation traditionnelle qui ne leur correspondait pas. Ce sont des candidats âgés de 23 ans en moyenne donc plus mûrs que la moyenne nationale, plus assidus et plus impliqués, d’autant plus qu’ils financent eux-mêmes leur permis pour certains d’entre eux. Le second facteur est la qualité de notre réseau d’enseignants. Le modèle Ornikar n’attire que les bons instructeurs puisqu’ils sont indépendants et en tant que tels, s’ils sont mal évalués, ils ne sont pas retenus par les élèves et n’ont pas de revenus contrairement à un salarié.  Dans les auto-écoles traditionnelles, les moniteurs salariés sont mieux protégés par leur statut mais ne sont pas incités à repousser leurs limites et à améliorer l’enseignement qu’ils dispensent.

Quelles sont les autres caractéristiques de votre client-type ?
Nous sommes équilibrés entre hommes et femmes (49% vs 51%). Pour 47% d’entre, nos élèves sont basés en Ile-de-France. Tous sont assez sensibles au prix, ont une faible aversion au risque puisqu’ils font appel à une auto-école en ligne dont ils ne connaissent pas le fonctionnement et enfin sont technophiles.  L’un de nos objectifs est de réduire cette moyenne d’âge et de faire venir ceux dont les parents financent le permis.

"On ne vient pas appauvrir un marché en le paupérisant ou en le cannibalisant"

Vous avez été attaqué en justice pour concurrence déloyale. Quel est votre sentiment face à ce sujet ?
Toutes ces critiques ne proviennent pas des auto-écoles elles-mêmes mais des organisations syndicales qui les ont persuadées que rien n’allait changer et qu’elles pourraient conserver leur pré carré. Ils les ont entraînées dans une situation financière catastrophique. Les auto-écoles ne gagnent pas d’argent, vingt d’entre elles ferment leurs portes chaque mois. Au début, nous avons été sympas avec les syndicats. Aujourd’hui, je répète haut et fort que si les auto-écoles sont autant en difficulté, c’est à cause des syndicats.  Les auto-écoles auraient dû opérer le virage pris par Ornikar aujourd’hui. Si nous l’avons fait c’est qu’elles n’ont pas bougé depuis quinze ans car leurs syndicats n’ont eu de cesse de leur dire que tout allait bien et qu’ils allaient les protéger. Ils nous ont ainsi offert un boulevard pour pénétrer et disrupter ce marché.
Pour travailler avec Ornikar, il faut être titulaire d’un diplôme qui s’obtient après une formation de deux ans et qui coûte entre 8 000 et 10 000 euros. Ornikar n’arrive pas avec une nouvelle main-d’œuvre, formée en 48 heures comme Uber et ses chauffeurs VTC, mais avec un nouveau modèle. Nous proposons au modèle existant de travailler différemment. On ne vient pas appauvrir un marché en le paupérisant ou en le cannibalisant, on propose simplement une nouvelle façon de travailler à des travailleurs déjà installés. Si nous avons un tel succès auprès des moniteurs c’est qu’ils ne sont pas satisfaits de leurs conditions avec les auto-écoles traditionnelles.

Vous avez également été beaucoup décrié sur le non-respect de la sécurité. Que répondez-vous ?
Si rendre la formation au permis de conduire plus accessible, c’est entraver la sécurité routière, cela me fait doucement rigoler. Comme je vous le disais, nos enseignants sont indépendants. Ils sont évalués par leurs élèves et ont des vitrines sur Internet où l’on peut dire d’eux à peu près tout. Alors prétendre qu’Ornikar dégrade la sécurité routière parce que les cours de code sont uniquement sur Internet alors que 91% des auto-écoles en 2013 ne recevaient plus de candidats en salle est simpliste. Vous achetez 300€ votre code de la route dans une école traditionnelle pour vous entendre dire de vous entraîner sur Internet. Je pense que des cours en ligne comportant une part de gamification et reposant sur des technologies accessibles partout, c’est vingt fois plus puissant qu’un cours en salle.
Je n’offre pas la même qualité que les auto-écoles traditionnelles, je l’explose ! Et c’est d’ailleurs ce qui énerve tant ces syndicats, que l’on ait imaginé un modèle qu’ils auraient dû proposer. Ils ne supportent pas que deux jeunes de 24 ans soient venus bouleverser cette profession il y a cinq ans.

Vous venez de lever 10 millions d’euros. À quoi les destinez-vous dans votre développement ?
Nous avons trois principaux objectifs.
Le premier, et le plus évident, est de renforcer notre position en France. En 2017, nous avons capté 5% de parts d’un marché hyper éclaté, à savoir celui des 12 000 auto-écoles traditionnelles et trois acteurs en ligne. Nous sommes leaders en France avec 5% et notre objectif est d’atteindre entre 12 et 15% en 2018. En conséquence, une partie des fonds va être consacrée à développer la notoriété d’Ornikar. Quand on présente l’offre à un jeune, il est assez séduit. C’est plus sexy, ça coûte moins cher, c’est en ligne, il n’y a pas grand-chose qui lui fasse peur. En revanche, il faut rassurer les parents, faire connaître la marque. Une campagne d’affichage a été lancée en avril avec un gros plan de communication dans le métro parisien en particulier ; une campagne de pub télé est prévue l’été prochain et nous allons activer plusieurs autres leviers en 2018. Nous consacrerons environ 15% de cette levée de fonds en plan média.
Le second objectif est le développement international. Aujourd’hui, nous ne sommes présents qu’en France. Le permis de conduire est l’examen le plus fréquemment passé dans le monde. Ce business n’a toujours été que national et nous avons très envie de démontrer que l’on peut franchir les frontières. Notre objectif est donc d’ouvrir dans un, voire deux pays en Europe en 2018 parmi l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie. Nous allons y consacrer environ 20% de notre levée de fonds.

Quel est le troisième objectif ?
Il s’agit d’une demande qui vient du terrain, des élèves. Actuellement, Ornikar accompagne des jeunes dans l’obtention du permis de conduire mais une fois qu’ils l’ont obtenu, ils sont lâchés et livrés à eux-mêmes dans l’univers impitoyable de la voiture pour les jeunes conducteurs. C’est très cher, il y a beaucoup d’offres différentes. Ils sont un peu noyés entre neuf, occasion, achat, location. Nous travaillons à un rapprochement avec un acteur installé dans la location longue durée historiquement réservée aux professionnels, mais désormais disponible aux particuliers. Nous envisageons de leur proposer de la location de voitures d’occasion en longue durée, donc forcément plus accessible. Pour leur permettre d’amortir leur investissement, celle-ci serait couplée avec un partenariat avec une plateforme de location de voitures entre particuliers. Enfin, lorsqu’on parle de voiture, on parle d’assurance, donc en 2018, nous allons proposer voiture et assurance sur la plateforme Ornikar. En toute humilité, l’objectif est de devenir l’unique interlocuteur entre la voiture et l’homme pendant toute sa vie de conducteur (permis, achat, entretien, revente…). Notre objectif est d’y consacrer 40 % de la levée.
Le reste de la levée sera dédiée à soutenir l’attraction très forte de l’entreprise. Nous avons 30 personnes en phase de recrutement soit presque un doublement des effectifs.

" Nous tendons la main aux auto-écoles"

Vous prévoyez de passer de 5 à 15 % du marché national cette année. Pensez-vous qu’à terme, les auto-écoles en ligne raflent plus de la moitié, voire la totalité du marché ?
Plus de la moitié sans aucun doute, la totalité certainement pas. Il y aura toujours des gens qui seront mal à l’aise avec le digital et qui auront besoin de présence physique. À l’heure actuelle, sur les 300 enseignants rattachés à notre réseau, une trentaine sont des auto-écoles. Donc je pense que ce ne sont pas les auto-écoles en ligne qui vont rafler le marché des auto-écoles traditionnelles mais que l’issue sera un partenariat entre ces deux types d’acteurs. Nous tendons la main aux auto-écoles. Aujourd’hui, sur 12 000 auto-écoles, 6 000 sont unipersonnelles. Ces acteurs-là, nous les invitons à travailler avec Ornikar même s’ils gagneront moins à l’heure de conduite (50€ encaissés contre 25€ gagnés chez Ornikar). Au regard de leur temps, ils consacrent de 30 à 40% de leur temps à l’administratif. Ajoutons le coût du local qui ne leur sert à rien ou presque. Avec Ornikar, leur temps serait consacré uniquement à l’enseignement de la conduite. La finalité n’est pas de tuer le marché mais inévitablement, il va falloir que les auto-écoles acceptent de collaborer pour constater comme les trente qui nous ont déjà rejoint, qu’ils ont fait le bon calcul.

À quelle échéance visez-vous la moitié du marché ?
À la fin 2019. Depuis deux ans, Ornikar c’est 15% de croissance chaque mois. Les autres acteurs aussi grossissent rapidement. La levée de fonds a pour but d’accélérer encore plus vite.

Combien êtes-vous chez Ornikar ? Quel est votre chiffre d’affaires en 2017 et votre prévision pour celui de 2018 ?
Nous sommes 36 pour un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros et en perspective un CA de 15 millions d’euros pour 2018.

Quel est le principal frein auquel vous devez faire face pour accélérer votre développement ?
C’est le recrutement de développeurs informatiques. Aujourd’hui, vous me donnez dix développeurs et ce n’est pas 15% de parts de marché que je fais en 2018 mais 25. Sur les trente postes actuellement en recrutement quinze sont des développeurs. Il manque des développeurs sur le marché. Huit postes étaient ouverts avant même la levée de fonds mais sur ces huit postes, nous n’avons recruté qu’une seule personne. Et ce n’est même pas une question de salaire. Quand vous recevez un développeur en entretien, il a déjà entre huit et dix offres sur la table.

Si vous deviez donner un seul argument, autre que le prix, à un candidat au permis pour choisir Ornikar, quel serait-il ?
La flexibilité. Si vous êtes candidat au permis, c’est que vous avez a priori entre 18 et 25 ans. Vous allez avoir à vous déplacer pour vos études, vos stages, votre travail. Déménager un dossier d’une auto-école traditionnelle, c’est la croix et la bannière et ça coûte une fortune. Avec Ornikar, il vous suffira de cliquer sur votre partie de la carte de France, de réserver un enseignant et le dossier est déplacé.

Propos recueillis par Philippe Labrunie

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