Déficit de la Sécurité sociale, financement des hôpitaux, virage numérique… La ministre des Solidarités et de la Santé doit mener à bien de nombreux chantiers pour offrir un nouvel élan au système de soins hexagonal. Face aux mécontentements des uns et aux angoisses irrationnelles des autres, Agnès Buzyn apporte son analyse d'experte et sa soif de renouveau.

Décideurs. Votre annonce en juillet dernier quant à l’extension de l’obligation vaccinale a soulevé de nombreux débats en France révélant ainsi une forte défiance des Français vis-à-vis de la vaccination et des grands laboratoires. Comment l’expliquez-vous ?

Agnès Buzyn. Les Français sont de plus en plus soumis à des flux d’informations continus, qui diffusent parfois des informations sans justification ni source. Des rumeurs ont ainsi circulé sur la nocivité des vaccins ou leurs composants, prétextant parfois s’appuyer sur des études scientifiques ; elles n’ont pas toujours été démenties. Le doute s’est progressivement installé, et a rendu certains parents indécis sur la meilleure marche à suivre pour protéger leurs enfants contre des infections graves. C’est pour cela que j’ai pris mes responsabilités en rendant ces onze vaccins obligatoires.

Les hôpitaux, piliers du système de santé en France, sont la cible d’ajustements économiques et craignent un déficit historique sur l’année 2017. Comment comptez-vous adresser ce problème dans les mois à venir ?

Cette situation est loin d’être uniquement conjoncturelle. Elle est le signe que le système est au bout d’un cycle, et que c’est bien une réforme structurelle qu’il faut que nous mettions en œuvre pour repenser le financement global du système de santé. Le déficit de la Sécurité sociale devrait s’établir en 2017 à 5,2 milliards d’euros, ce qui représente une amélioration de 2,6 milliards d’euros par rapport à 2016. En 2018, le déficit devrait être de 2,2 milliards d’euros, soit une nouvelle amélioration de 3 milliards d’euros – c’est le déficit le plus faible depuis 2001 ! Les mesures prises par le PLFSS permettent donc d’envisager un retour à l’équilibre à l’horizon 2020, conformément à l’engagement pris par le Premier ministre.  Au-delà de cet aspect financier, il nous faut repenser le système de financement des hôpitaux. La tarification à l’activité a montré ses limites et ses effets délétères sur la vision de l’hôpital. Je ne veux pas d’un système qui, pour combler ses déficits, multiplie coûte que coûte son nombre d’opérations et son niveau d’activité. C’est pour cela que je souhaite diversifier les modèles de tarification – tout en conservant pour moitié la tarification à l’activité –, afin de favoriser des soins de qualité et pertinents. La rémunération au forfait ou au parcours de soins présentent pour leur part l’intérêt de favoriser aussi la coopération entre la ville et l’hôpital. Aujourd'hui, rien ne le permet. Nous allons donc travailler en 2018 à l'évolution des tarifs pas à pas, et en travaillant de concert avec la communauté médicale.

« Le déficit conditionne la confiance que l’on peut accorder à la pérennité de notre système de protection sociale »

D'année en année, la France recule dans les classements de l'OMS consacrés à la qualité des systèmes de soins à travers le monde. Avec le vieillissement de la population, la multiplication des maladies chroniques, l'état de stress actuel des soignants et enfin la baisse des déficits attendus, est-il encore possible d'inverser la courbe et d’améliorer la qualité de notre système de soins ?

Tout d’abord, l’attention que nous accordons à la baisse des déficits ne se fait absolument pas au détriment de la qualité des soins, au contraire. Le déficit conditionne la confiance que l’on peut accorder à la pérennité de notre système de protection sociale. C’est parce que le système de soins continue de faire face aux défis que vous évoquez que nous devons nous assurer que son organisation et financement soit soutenables. Nous menons des réformes sur des chantiers très différents et complémentaires : prévention, protection contre les infections graves, meilleure accessibilité des soins optiques, dentaires et auditifs, égalité de l’accès aux soins sur tout le territoire, amélioration de la qualité de vie au travail pour les professionnels de santé… Je suis convaincue que ces mesures porteront des fruits à terme pour vaincre de nouvelles épidémies, régler les difficultés au sein des établissements de santé, et qu’elles contribueront à renforcer les solidarités au sein du territoire.

Face au recul de l’accès aux soins, le numérique (télémédecine, robots, médicaments connectés) semble être une partie de la solution. Quelles sont les solutions imaginées pour accompagner ce mouvement et quels sont les premiers résultats concrets en la matière ?

La loi de financement de Sécurité sociale, entrée en vigueur au 1er janvier, a permis de faire entrer dans le droit commun des dispositifs restés jusque-là à un stade expérimental.  Je pense ici à la téléconsultation, qui permet à un patient de consulter à distance, et à la télé-expertise, qui permet à un professionnel de santé de demander son avis à un autre professionnel de santé. Les négociations pour faire entrer la télémédecine, à son tour, dans le droit commun ont été ouvertes par la Cnam et devraient aboutir au printemps.

Le dossier médical partagé, qui devait voir le jour avec la carte vitale, va-t-il enfin être adopté à grande échelle par les professionnels de soins et les patients ?

Le dossier médical partagé est une composante essentielle du virage numérique que nous voulons donner au système de santé. Il s’intègre pleinement dans le chantier Action publique 2022, porté par tout le gouvernement. Mais pour qu’il soit approprié, il lui faut être facile d’utilisation et articulé avec les outils qu’utilisent les professionnels tous les jours. À ce jour, les expérimentations servent à définir les bonnes conditions d’application qui permettront une mise en œuvre efficace sur tout le territoire.

« Les négociations pour faire entrer la télémédecine, à son tour, dans le droit commun ont été ouvertes par la CNAM »

L'interopérabilité des logiciels est essentielle pour assurer le suivi d'un patient tout au long de son parcours de soins. Que faites-vous pour favoriser cela alors que les éditeurs traditionnels, équipant chaque cabinet libéral avec une solution différente, défendent leur pré carré ?

L’interopérabilité est en effet essentielle. Elle répond au défi de la coordination des soins en France et vise à dépasser le cloisonnement entre les soins de ville, l’hôpital, le médico-social et le social. Il faut donc développer les outils qui la favorisent. Je pense à tout le travail de l’Asip Santé, qui établit des référentiels d’interopérabilité, ou à la démarche de certification des logiciels d’aide à la prescription et à la dispensation.

Certains médicaments demeurent bloqués au stade des négociations de prix avec le CEPS. Comment accélérer la diffusion sur le marché des nouveaux traitements ayant prouvé leur efficacité ?

Il faut d’abord rappeler que les médicaments vraiment innovants sont accessibles avant même d’avoir leur autorisation de mise sur le marché, grâce au système des autorisations temporaires d’utilisation (ATU). La France offre ainsi le système d’accès aux nouveaux traitements le plus précoce du monde. Le temps que prennent les négociations de prix avec le CEPS n’a donc pas d’impact sur l’accès aux traitements pour les malades. Pour autant, il faut progresser sur cette question du délai d’accès « de droit commun » au marché des médicaments remboursables. C’est l’un des chantiers sur lequel pouvoirs publics et industriels sont en train de travailler pour préparer le Conseil stratégique des industries de santé (CSIS), qui se tiendra en juillet et qui pourrait être le lieu d’annonces sur ce sujet.

 

Marion Robert (@Marion_Rbrt)
Thomas Bastin (@ThBastin)

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