En seulement deux ans d’existence en France, le géant du commerce électronique chinois compte déjà plus de 250 marques françaises sur ses plateformes de vente en ligne Tmall et Tmall Global. Au-delà de son activité de marketplace, l’entité française mise sur l’explosion du tourisme chinois en France pour développer ses activités. Tour d’horizon des ambitions d’Alibaba en France avec son directeur général Sébastien Badault.

Décideurs. Quelle est la principale activité d’Alibaba en France ?

Sébastien Badault. Nous permettons tout d’abord aux entreprises françaises d’atteindre les consommateurs chinois en utilisant les plateformes Tmall Global et Tmall. Sur ces places de marché, les marques ont chacune un corner, comme dans les centres commerciaux, où elles sont libres de choisir leur communication et les produits qu’elles souhaitent mettre en avant. Contrairement aux plateformes existant en Europe, l’internaute navigue dans l’univers des marques et non dans celui du site internet d’origine. Une autre de nos particularités est de partager avec les marques les données collectées de leurs clients afin de leur fournir des informations sur le comportement d’achat des consommateurs. La marque crée ainsi un meilleur engagement avec ses clients. Tout le monde en ressort gagnant. Aujourd’hui, 250 marques françaises issues principalement des secteurs de la cosmétique, de la mode, de l’alimentaire, du vin et de la puériculture vendent sur les plateformes d’Alibaba en Chine. Nous avons également créé une plateforme spécifique pour les marques de luxe.

Pouvez-vous nous en dire plus sur cette plateforme réservée aux marques de luxe ?

Accessible uniquement à certains clients exprimant leur intérêt pour ce type de produits et ayant les moyens de se les offrir, la plateforme est réservée à quelques marques choisies avec soin. LVMH et Kering, deux fleurons du luxe français, y sont déjà présents. Chaque marque décide de l’écrin dans lequel naviguera l’internaute. La création de cet espace s’est faite en coopération avec les marques, en fonction de leurs retours et de leurs besoins spécifiques. Vous ne verrez jamais de magasin Louis Vuitton dans des centres commerciaux standards. Nous avons voulu répliquer ce que l’on voit dans le commerce traditionnel.

« 550 millions de clients achètent sur nos plateformes via l’application Alipay »

Quels sont les autres axes de développement du géant chinois dans l’Hexagone ?

Nous souhaitons faciliter l’expérience des touristes chinois en France grâce notamment à notre site de voyage Alitrip (ndlr : une filiale d’Alibaba dédiée à l’e-tourisme). Cette plateforme permet aux différents acteurs du tourisme de proposer des hôtels, des vols, etc… De notre côté, nous développons la destination France en offrant une réelle plus-value aux Chinois, auxquels nous proposons des services complémentaires, comme l’achat de billets pour la Tour Eiffel, le Lido, les croisières en bateau-mouche... Alitrip a signé un partenariat avec la SNCF pour permettre aux touristes chinois d’acheter des billets de train sur un site en mandarin. Nous cherchons également à promouvoir l’application de paiement Alipay auprès des commerçants en France. 550 millions de clients achètent sur nos plateformes via cette application. Nous souhaitons qu’ils puissent également le faire lorsqu’ils se rendent à Paris. Au-delà de la facilité de paiement, c’est une appli de life style, qui note les différents restaurants, hôtels, permet de réserver un taxi ou encore des billets de cinéma. En adoptant cette application, les commerçants voient leur offre poussée au sein de l’application et leur trafic augmenté. En outre, les consommateurs chinois, qui utilisent Alipay, habitués à ce moyen de paiement, dépensent plus et ne craignent plus de se faire voler leur argent liquide dans les rues de Paris.

Alibaba est également le premier acteur du cloud en Chine. Quelle est votre stratégie en France ?

Le cloud est un axe que nous déployons en France pour aider par exemple des entreprises du CAC 40 implantées en Chine à déployer cet outil technologique. Tous les prestataires ne sont pas présents dans l’Empire du milieu, comme Google par exemple. Nous venons combler ce manque. Nous travaillons également beaucoup avec les start-up en leur donnant accès à notre cloud, pour les aider à terme à s’implanter sur le marché chinois. 

Nous avons adopté une politique de tolérance zéro concernant la contrefaçon.

L’apparente impuissance d’Alibaba face aux problèmes de contrefaçon ne représente-t-elle pas un frein pour l’adhésion des marques à votre plateforme ?

Nous avons adopté une politique de tolérance zéro concernant la contrefaçon. Nous avons recruté un ponte en matière de contrefaçon des marques, un ancien de chez Apple, l’une des marques les plus contrefaites au monde, passé également par les rangs de Pfizer, pour qui la problématique des médicaments contrefaits est particulièrement délicate. Nous avons développé de nouveaux garde-fous permettant de traquer les adresses IP des contrefacteurs. Ainsi, 360 millions de produits ont été supprimés de nos plateformes en 2017, soit deux fois plus que l’année précédente. Alibaba travaille aussi de plus en plus avec le gouvernement local en Chine, pour les aider à localiser physiquement les contrefacteurs ou leurs entrepôts. Afin de lutter contre ce fléau, 1 100 marques nous aident via une plateforme leur permettant de signaler toute éventuelle contrefaçon. Contrairement à la procédure habituelle, le produit est retiré automatiquement de nos plateformes, dès qu’il y a un signalement. Ensuite, c’est au marchand et non à la marque d’apporter la preuve de la contrefaçon. Nous nous sommes rangés du côté de la marque plutôt que de celui du marchand.

Alipay, la plateforme de paiement en ligne d’Alibaba, soupçonnée d’empiéter sur la vie privée de ses clients a également fait récemment l’objet d’une polémique. Comment garantir à vos clients français que leurs données sont protégées ?

Il y a effectivement eu quelques abus qui ont depuis été réglés. Vu le nombre de données que nous collectons, c’est un sujet auquel nous sommes très sensibles et nous nous tenons aux réglementations en vigueur dans les pays où le groupe est implanté. Notre logique est d’utiliser ces données à des fins intelligentes pour que les marques puissent proposer des produits adaptés aux attentes de leurs clients. Par exemple, nous avons travaillé avec Mondelez dont les ventes de biscuits Oréo sous boîtes ne décollaient pas. Notre accès à l’information nous a permis de les orienter vers un format « snacking », très recherché par les consommateurs, qui ne contenait qu’un ou deux gâteaux. Ce fut un véritable carton !

En matière d’e-commerce, quelles leçons pouvons-nous tirer de la Chine ?

En matière d’innovation dans le commerce, la Chine est en train de rattraper son retard sur les États-Unis et les dépassera très probablement. Beaucoup de choses sont réinventées là-bas.  C’est plus facile dans un pays où les infrastructures sont peu développées. Contrairement aux États-Unis, les mètres carrés disponibles dédiés au retail sont réduits, cela pousse les Chinois à imaginer un nouveau modèle, en s’affranchissant de la logique online/offline ou de canaux particuliers. L’objectif est d’être capable de servir un client en fonction de ce qui l’intéresse à un instant T. Le fait d’intégrer de la technologie aux points de vente et inversement va dans ce sens. Alibaba a, entre autres, inventé un système de « Miroir magique », qui permet aux clients dans les points de vente de se voir avec le maquillage ou les vêtements de leur choix sans passer par la cabine d’essayage. C’est un gain de temps et d’efficacité. Le digital est fait pour la commodité, la fluidité et la rapidité et les points de vente sont conçus pour créer la meilleure expérience client possible.

Votre principal concurrent en Chine, JD.com, vient de s’implanter en France. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Notre positionnement est un peu différent. Le modèle de JD.com est plus proche de celui d’Amazon qui, à l’origine, est un distributeur. Alibaba est avant tout une plateforme disposant d’une offre large et complète sur laquelle les marques peuvent vendre via Tmall, disposer d’une solution de paiement grâce à Alipay ou encore utiliser nos solutions cloud et data. Je regarde leur arrivée sur le marché français d’un bon œil car cela valide l’intérêt de notre présence sur ce marché. De plus, les effets de la concurrence sont souvent bénéfiques et tirent les activités vers le haut, ce qui, in fine, bénéficie à tout le monde. De cette façon, les marques peuvent être présentes sur deux plateformes, au même titre qu’elles le sont dans plusieurs grandes enseignes de magasins comme les Galeries Lafayette ou le Printemps.

 

Propos recueillis par Marion Robert (@Marion_Rbrt)

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