Directeur juridique du groupe Spie Batignolles depuis quatorze ans, Stéphane Faucher revient sur la stratégie précontentieuse du groupe ainsi que sur les prochains défis auxquels sa pratique est confrontée.

Décideurs. Avez-vous constaté une évolution significative du contentieux depuis quelques années ?

Stéphane Faucher. Nous avons une granulométrie de sujets contentieux qui est relativement concentrée sur des conflits d’ordre contractuel, des malfaçons ou du recouvrement de créances. Le volume des litiges n’a cependant pas évolué au cours des dernières années en raison notamment d’une meilleure gestion des risques et de la mise en place en amont de processus alternatifs de règlement des différends. Nous avons travaillé à cette stabilisation en portant également une attention particulière à la manière dont nous négocions nos contrats.

Quelle est la stratégie précontentieuse du groupe ?

Notre groupe privilégie la pérennité de ses relations contractuelles. Le dialogue et le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges constituent des outils complémentaires de la gestion de nos engagements. Nous avons intégré dans nos contrats, un processus d’identification des problèmes techniques en amont, afin d’éviter que ces sujets ne se transforment en conflits juridiques. Dès lors qu’un sujet génère une évolution du contrat, qu’il s’agisse d’une augmentation des délais d’exécution ou de travaux supplémentaires, les parties peuvent, en cas de désaccord, saisir le comité de pilotage afin qu’il apporte un éclairage technique et contractuel permettant de faire émerger rapidement des solutions en tenant compte de tous les intérêts en présence.

Avez-vous recours à des modes alternatifs de règlement des conflits ? 

Nous privilégions des moyens alternatifs comme la médiation dont l’intérêt est de permettre aux parties en conflit de poser des mots sur un différend et de construire ensemble la meilleure solution au problème rencontré. Le risque majeur serait de tenter d’éluder un problème. La politique de l’autruche consistant à enfouir la tête dans le sable en espérant qu’avec le temps tout va s’arranger est un mauvais pari. Une telle politique est à l’origine de nombreux contentieux qui en raison de leur caractère émotionnel ne trouvent jamais une issue compatible avec les intérêts des parties.

Toutefois, le développement des processus alternatifs de règlement des différends s’accompagne d’une influence croissante du soft Law dans les relations contractuelles entre les parties. Il convient d’être attentif au maintien de la qualité et de la légitimité de notre droit. Dans l’élaboration des stratégies contentieuses, je préconise aux équipes juridiques internes d’être très pragmatiques et de ne jamais privilégier, a priori, un mécanisme plus qu’un autre. Le juriste dispose aujourd’hui d’un ensemble d’options qui lui permettant de faire valoir une véritable valeur ajoutée dans la proposition et la mise en œuvre des stratégies juridiques proposées au regard des enjeux auxquels l’entreprise est confrontée.

Les médiations fonctionnent-elles réellement ?

Nous enregistrons un taux de réussite assez satisfaisant. Chez Spie Batignolles, un litige sur trois se négocie soit sous la forme de médiations ou de protocoles d’accord. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à la longueur des procédures judiciaires, souvent incompatibles avec le temps de l’économie. Fréquemment, nos choix juridiques répondent à des exigences de trésorerie et de résultat.

L’échec de certaines procédures de médiation résulte du fait qu’elles sont lancées trop tardivement. L’enjeu pour les juristes est de faire en sorte que les contrats incluent des clauses permettant l’identification et la qualification des risques le plus en amont possible afin de permettre aux parties de déterminer très vite les enjeux qui en découlent au regard de leurs objectifs respectifs. Cette prise de conscience doit inciter les parties à aborder les problèmes au bon moment.

L’arbitrage entre-t-il dans vos stratégies alternatives au contentieux ?

La politique juridique de Spie Batignolles exclut le recours à l’arbitrage pour toutes les conventions qui s’exécutent en France avec des entreprises françaises ou étrangères. Nous considérons que ce mécanisme a pour effet principal d’accroître les rapports de force entre les parties au contrat. Ce mode de fonctionnement, en France est assez déloyal et ne participe pas à fidéliser une relation opérationnelle notamment avec les sous-traitants.  En effet, trop souvent les clauses d’arbitrage sont insérées dans les contrats afin d’empêcher les sous-traitants d’envisager une procédure contentieuse. Un tel procédé n’est pas vertueux. Cette vision nous dérange puisqu’elle va à l’encontre du large éventail de choix pour régler un différend.

Néanmoins, nous sommes favorables à l’arbitrage pour tous les contrats exécutés à l’étranger. En Afrique de l’Ouest, nous privilégions par exemple l’arbitrage Ohada régi par l’Acte uniforme, notamment afin de favoriser l’usage du droit continental dans les relations d’affaires internationales.

Les récentes évolutions réglementaires ont-elles eu un impact sur votre secteur d’activité ?

Les directions juridiques sont très impactées par les évolutions réglementaires et notamment par toute la réglementation relative à la mise en place des programmes de conformité (Loi Sapin 2, devoir de vigilance, RGPD). Ces dispositions nous touchent en profondeur tant dans notre fonctionnement que dans notre rapport au travail et à l’entreprise. Nous assistons à une réelle mutation de la profession ; le juriste se retrouve en permanence dans une situation de transversalité.

Nous sommes également sensibles à la réflexion du pouvoir exécutif sur la réforme de la gouvernance des entreprises et plus largement sur les incidences du transfert progressif des obligations de contrôles qui incombent traditionnellement à l’Etat, vers les entreprises. Il est certainement encore trop tôt pour en mesurer les conséquences, mais il est probable que le juriste y découvre de nouveaux axes de performance.

Propos recueillis par Alexandre Lauret.

 

 

 

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