Délégué général de TECH IN France depuis 2006, Loïc Rivière rassemble parmi ses adhérents plus de quatre cents entreprises du secteur numérique. Grands groupes, PME, start-up et acteurs internationaux tirent le meilleur de cette association qui vient d’organiser le Fund Me Day, une journée dédiée au mentorat des jeunes sociétés ambitieuses. Zoom sur les arcanes d'un secteur florissant.

Décideurs. Événement phare de Tech In France, le Fund Me Day s’est tenu lundi 20 novembre. Quels ont été les principaux enseignements de cette journée de conférence ?

Loïc Rivière. Tout d’abord, nous avons pu remarquer la curiosité et l’appétence que pouvait susciter ce type d’événement, axé sur le mentoring de start-up. Plus de mille demandes d’inscriptions ont été enregistrées et nous avons été contraints de refuser du monde pour accueillir les visiteurs dans de bonnes conditions au sein de Station F. Durant toute la journée, des start-uppers faisaient face à des entrepreneurs aguerris, ayant déjà connu de formidables succès. Les panels successifs ont été de grande qualité, notamment grâce aux retours d’expériences et au partage d’informations entre les générations. Le premier d’entre eux traitait du sujet « From garage to Nasdaq » pour évoquer les étapes clés du passage de la start-up à la scale-up. Les ambitions, le financement, les talents et l’exécution formaient les quatre piliers de cette table-ronde à succès. Trois ateliers étaient ensuite organisés sur le financement, la vente et le développement à l’international pour aborder les principaux enjeux de nos adhérents. Cette organisation ambitieuse représentait aussi un défi pour nous !

« Peu de fonds européens sont capables de soutenir les sociétés en phase de scale-up »

Les montants levés par les sociétés tricolores progressent. Estimez-vous qu’il est désormais possible de financer sa croissance en France ?

Oui et non. Le marché américain, plus unifié par la langue et la réglementation que le marché européen, demeure source de rêves et de croissance pour les sociétés de l’industrie numérique. Afin de déployer une solution sur ce large territoire, il faut être accompagné par des fonds spécialisés dans les lancements de produit outre-Atlantique. Peu de fonds européens sont aujourd’hui capables de soutenir les sociétés en phase de scale-up et c’est pourquoi leurs homologues américains peuvent rafler la mise à cette étape décisive. Toutefois, les fonds prennent de l’envergure en Europe, notamment en France. Cela invite à l'optimisme pour l’avenir. D’autre part, il ne faut pas considérer l’introduction au Nasdaq comme une fin en soi ou comme le seul succès envisageable. Certaines sociétés se développent sur le marché français ou européen pour se transformer en belles ETI. Aller aux États-Unis ne sert à rien si le segment visé est déjà occupé par deux ou trois sociétés sur place. La réussite adopte des formes variées.

Que manque-t-il aux fonds français pour accompagner les groupes matures vers une croissance internationale ?

C’est essentiellement un manque de capacités financières qui vient plomber leur attractivité. Même si cela a progressé, leurs levées sont moindres. Pour vous donner un ordre d’idée, nous sommes passés en quelques années à des fonds pesant 80 millions d’euros à 180 millions aujourd’hui. Malgré cette évolution positive, le rapport avec les fonds américains reste de 1 à 5, voire de 1 à 10. La banque publique d’investissement (BPI) a beaucoup œuvré pour irriguer ce marché, mais il reste encore à faire. Une note positive pour conclure : la France est en train de rattraper, et même de dépasser le Royaume-Uni sur le montant des levées enregistrées. C’est bien, mais l’investissement dans les entreprises innovantes doit être encore plus encouragé dans notre pays pour soutenir les entreprises ambitieuses. 

« Aiguiller les économies des Français vers l’investissement destiné aux acteurs de l’innovation, cela pourrait offrir un bol d’air frais au secteur »

Quelles sont les mesures à prendre pour arriver à ce résultat ?

Il faut trouver des solutions en se penchant sur les produits d’épargne qui connaissent un grand succès. L’assurance-vie est un exemple de manne mal exploitée. D’ordinaire, ce sont des placements qui répondent à une gestion de bon père de famille, avec une prise de risque quasi nulle. Les rendements de ces produits ne sont plus très élevés et cela pourrait conduire à une réorientation intéressante de cet argent vers les jeunes sociétés dynamiques. Lorsqu’il était ministre de l’économie, Emmanuel Macron semblait être en faveur de cette idée. Aiguiller les économies des Français vers l’investissement destiné aux acteurs de l’innovation, cela pourrait offrir un bol d’air frais au secteur.

Comment la recherche de placements sans aléa des épargnants peut-elle être compatible avec le financement de sociétés technologiques dont la croissance ne relève en rien de l’évidence ?

Si l’on prend du recul, la prise de risque liée à l’investissement dans les jeunes entreprises est souvent surévaluée. Il faut se défaire de cette vision faussée pour mieux s’apercevoir que les taux de rendements sont tout à fait raisonnables. Présidente de la société d’investissement privé Ardian, Dominique Senequier affirmait il y a peu que les investissements dans les entreprises n’étaient pas nécessairement aventureux. Les fonds placent leurs deniers dans des sociétés très différentes pour diluer le risque. Le métier se professionnalise chaque jour davantage et les équipes d’investisseurs connaissent de mieux en mieux les métiers et les modèles du secteur. Il faut aussi avoir à l'esprit que les entreprises financées n'ayant pas connu de succès immédiat ont formé des équipes de qualité. Riches de cette expérience, ils pourront connaître la réussite à leur prochaine tentative. Criteo n’était pas le coup d’essai de Jean-Baptiste Rudelle par exemple. Chaque investissement est donc porteur d’une dynamique vertueuse, créatrice de valeur dans tous les cas de figure.

La coexistence de structures proches comme Tech In France et France Digitale n’est-elle pas synonyme d’un risque de division entre les acteurs du secteur ?

La représentativité du secteur numérique est assez éclatée. Chaque instance a un positionnement différent. France Digitale est un exemple, mais il y en a bien d’autres. Leur but est de rassembler les sociétés et les investisseurs. Avec Tech In France, nous nous adressons aux entreprises de toutes tailles pour les fédérer et les accompagner dans leur croissance. D’autres think tank et organisations sont spécialisés dans le domaine du hardware, des logiciels, de la fintech… Cela fourmille de partout et cette effervescence est une bonne chose, surtout si nous restons complémentaires les uns aux autres. Cependant, la dilution de nos énergies empêche le secteur numérique de parler d’une seule voix, avec autorité, pour exprimer un avis ferme auprès des pouvoirs publics. Par rapport à nos voisins, nous souffrons de la comparaison. Enfin, l’organisation d’événements importants comme le Fund Me Day pèse d’autant plus sur les finances des structures de petites tailles comme les nôtres.

« La menace sur nos libertés ou sur notre vie privée est portée comme étendard en doutant de la loyauté des acteurs du numérique. »

Est-ce qu’une réunion des forces est envisageable entre toutes les organisations représentatives ?

Plusieurs discussions ont déjà été menées à ce sujet, et ce rassemblement des différentes parties prenantes est beaucoup plus compliqué que ce que l’on imagine. Avoir une vision commune n’est pas suffisant. Tout le monde est attaché à son pré carré. Les questions d’affinités de personnes, de positionnement politique peuvent vite annihiler ce type d’efforts. Aujourd’hui, nous menons tous ensembles des actions communes de manière ponctuelle. Mais il reste difficile de concilier les points de vue pour une fusion effective. En Allemagne et au Royaume-Uni, de grands syndicats composés d’une centaine de collaborateurs représentent la filière numérique dans son ensemble. En France, nous sommes divisés en équipes de dix, quinze personnes. Notre pays s’appuie sur des créatifs souvent individualistes. Les nouvelles entités peuvent en outre être vite institutionnalisées par les médias ou les politiques si leur prise de parole originale parvient à se faire entendre. Cela répond à une soif de nouveauté permanente. In fine, cette effervescence contribue au dynamisme du secteur numérique. Lorsque la concurrence fait rage pour capter de nouveaux adhérents, la multiplicité des acteurs en place est aussi source d’émulation.

Maintenant que le digital s’est imposé comme une thématique incontournable pour les entreprises et les observateurs, estimez-vous avoir rempli l’une de vos missions fondamentales ?

Tech In France a été créé il y a bientôt douze ans. Au départ, nous nous plaignions que l’attention n’était pas assez portée sur l’économie numérique alors que celle-ci tirait la croissance et créait des emplois. Cela a bien changé. La formation accorde une place nouvelle aux expertises digitales. Le poste de secrétaire d’État au numérique s’est imposé dans l’organigramme des derniers gouvernements.  Le sujet est devenu clé dans de nombreux discours économiques et politiques. Le revers de la médaille est d’observer une nouvelle instrumentalisation politique du numérique, à des fins clivantes. Cette tendance plus négative peut parfois virer à la technophobie. La menace sur nos libertés ou sur notre vie privée est portée comme étendard en doutant de la loyauté des acteurs du numérique. Présenter cette économie de façon sombre et caricaturale ne servira pas la transformation numérique des emplois ou la captation de la fiscalité des multinationales.

 

Propos recueillis par Thomas Bastin (@ThBastin)

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