L’éthique et la compliance n’ont plus de secret pour elle. Avocate de formation, Isaure Kergall commence à travailler sur ces sujets dès 2007 au sein de Lilly France avant de rejoindre Ipsen. Aujourd’hui directrice France compliance & business integrity de Sanofi, elle revient sur son expérience au du secteur pharmaceutique et nous livre les clés de sa mission.

Décideurs. Quels ont été vos domaines d’intervention depuis que vous exercez cette fonction ?

Isaure Kergall. Mes domaines d’intervention ont été plus ou moins larges en fonction de l’organisation, des activités de l’entreprise et des risques auxquels elle est exposée. D’une manière générale, ils s’articulent autour des interactions avec les tiers, c’est-à-dire l’ensemble des parties prenantes avec lesquelles la société interagit. Selon les entreprises, un programme éthique & compliance comprend entre autres la lutte contre la corruption, la prévention des conflits d’intérêts, la protection des données personnelles, la prévention des pratiques anticoncurrentielles et la gestion des alertes reçues dans le cadre d’une ligne d’alerte (investigations). Il s’agit également de s’assurer que l’ensemble des principes énoncés dans le code d’éthique de l’entreprise soit respecté en s’appuyant sur la méthodologie d’un programme éthique et compliance (politiques et standards d’entreprise, communication, formation, monitoring et suivi). L’ensemble de ces domaines nécessite surtout de travailler en étroite collaboration avec tous les départements de l’entreprise.

Quels sont les principaux enjeux de la compliance dans le secteur pharmaceutique ?

L’enjeu principal pour les patients est de s’assurer que les médicaments et solutions thérapeutiques sont développées, fabriquées et commercialisés en suivant les standards de qualité les plus stricts. L’objectif pour l’entreprise consiste à responsabiliser les collaborateurs à la prévention des risques de non-compliance par la mise en place de politiques et procédures simples et efficaces. Il s’agit de faire comprendre comment sont régies nos relations avec l’ensemble de l’écosystème de la santé parmi lesquels les tiers, les professionnels de santé, les associations de patients, les distributeurs, etc. Cette approche a pour intention de renforcer la confiance du grand public dans notre secteur. Il y a enfin un enjeu pour la fonction elle-même : être pleinement intégrée au business, ce qui lui permet d’avoir un rôle de conseil le plus en amont possible des projets afin de garantir la faisabilité. D’une manière plus générale, il est utile de rappeler que la compliance n’est pas une finalité en soi mais un moyen de pérenniser les activités de l’entreprise dans un environnement de plus en plus complexe mais nécessitant d’être compris par chacun dans le cadre de sa fonction. Cet aspect est fondamental pour développer des outils de prises de décision et de suivi agiles et efficaces.

« La compliance a pour objectif de renforcer la confiance du grand public dans notre secteur »

Avez-vous rencontré des difficultés dans l’application de votre politique de compliance ?

Je travaille depuis une dizaine d’années dans la mise en place d’un programme éthique et compliance dans différents laboratoires pharmaceutiques et le facteur clé du succès a toujours résidé dans l’adhésion au changement. C’est la raison pour laquelle la pédagogie a été primordiale : la mise en œuvre d’un programme spécifique doit s’appuyer, dans toute la mesure du possible, sur des situations concrètes auxquelles peuvent être exposées les collaborateurs. La singularité du rôle du compliance officer a également dû être explicitée en interne, s’agissant d’un métier plutôt récent en France et dont certaines missions pouvaient sembler proches d’autres fonctions. Enfin, le dernier élément important de la réussite est le rôle du management, appelé également « tone at the top », afin qu’au-delà des politiques et procédures diverses, les comportements des collaborateurs traduisent leur adhésion à la démarche.

Quelle est la place de l’éthique dans votre gouvernance ?

Dans l’industrie pharmaceutique, d’après mon expérience, la compliance et l’éthique n’ont jamais été dissociées. Une compliance sans éthique serait vide de sens. D’ailleurs, de nombreux responsables de la conformité, et ce surtout outre-Atlantique, portent le titre d’« ethic and compliance officer ». L’éthique repose sur des valeurs, notamment l’intégrité, et la mise en place d’un programme de compliance s’intègre toujours dans une démarche éthique parmi laquelle on retrouve la prévention de la corruption et celle des conflits d’intérêts. L’éthique de l’entreprise est, en général, formalisée par un code d’éthique propre à chaque société.

« La compliance n’est pas une finalité en soi mais un moyen de pérenniser les activités de l’entreprise dans un environnement de plus en plus complexe »

Avec la complexification de la réglementation, le directeur compliance occupe une place de plus en plus stratégique. Son rôle est-il le même qu’il y a dix ans ?

Ce rôle existe depuis plus de dix ans dans l’industrie pharmaceutique. Son développement a été accéléré dans certains laboratoires pharmaceutiques notamment par la mise en œuvre de corporate integrity agreements, des contrats signés suite à une amende, avec le département Health and human services américain pour mettre en place un programme de compliance. Ce type de contrat définit d’ailleurs le rôle et la mission du compliance officer. Progressivement, celui-ci a élargi ses fonctions en se fondant sur des analyses de risques, en influençant sur la revue des pratiques et activités ainsi qu’en participant à la définition de la gouvernance de la société afin de garantir des processus décisionnels adéquats. Ce qui explique également l’entrée de cette fonction dans les organes de direction et contribue à rendre son rôle plus stratégique.

Pour vous, quelles sont les trois compétences les plus importantes pour devenir un bon directeur de la conformité ?

Quelle que soit sa formation et son métier précédent, et outre une connaissance approfondie du business, un compliance officer doit avoir du leadership, savoir anticiper et gérer le changement mais également être capable de fonctionner en « mode projet », de façon à interagir avec la plupart des fonctions de l’entreprise.

Une fois Compliance Officer, quelles sont les évolutions de carrière possibles ?

C’est une fonction qui est paradoxalement plutôt généraliste et s’appuie sur toutes les compétences des autres départements dans l’entreprise. L’évolution pourra dépendre du cursus suivi et du métier antérieur, et elle peut se tourner, de manière très large, par exemple vers une direction commerciale, une direction financière ou encore une direction juridique, dernier choix que j’ai fait à titre personnel.

 

Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali

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