Alain Bensoussan est un avocat singulier. Fondateur d’un cabinet de 130 professionnels spécialistes des technologies avancées, il fait figure de leader sur le marché de la prestation juridique et de référence dans son domaine. Son leadership : imposer le bonheur au sein d’une entreprise libérée qui n’ose pas encore la qualification.

Décideurs. Selon vous, qu’est-ce qu’une entreprise libérée ?

Alain Bensoussan. Je n’en ai aucune idée, c’est une notion qui m’est étrangère. Notre cabinet n’est pas du tout une entreprise libérée, je suis un patron très classique. Je ne suis pas dans ce modèle, j’ai préféré créer le mien.

 

Comment le leadership s’exerce-t-il chez vous ?

Chez nous, il n’y a pas de hiérarchie : n’importe qui peut s’imposer sur un dossier. Aucun collaborateur n’est rattaché à un directeur, ils sont tous attachés à un projet : le leur. Tous peuvent prendre le leadership à un moment donné. La personne dominante est celle qui sait, je ne suis que le mandarin. Cela induit que je peux proposer ma vision du dossier, indiquer de quelle manière je procéderais mais celui qui porte le projet en reste le leader.

 

Quels sont les avantages de ce type d’organisation ?

Le management du savoir annihile toute hiérarchie. C’est l’articulation des savoirs qui constitue notre force. Nous travaillons dans un cabinet d’intelligence collective, et moi-même je m’évertue à multiplier les intelligences pour les additionner. Si quelqu’un a une meilleure idée que la mienne, il peut devenir leader. Le statut de salarié de tous les avocats du cabinet aide beaucoup pour diffuser cette culture. Il n’est aucunement besoin d’entrer en compétition en interne, les clients sont tous ceux du cabinet. Personne n’a intérêt à y développer sa propre clientèle. Nous sommes des avocats plaidants et laissons le combat dans le prétoire. Le salariat est aussi une des clés du bonheur au travail (chèques repas, sport, mutuelle, etc.) : je pense d’ailleurs être né pour rendre les gens heureux. Nous nous réjouissons tous d’une maternité par exemple, même si la collaboratrice en congé maternité nous manque beaucoup.

 

Quels sont les risques qui en découlent ?

Le salariat associé au leadership du savoir – plus que du pouvoir – comporte le risque que les gens travaillent moins. Mais pour y remédier, nous avons instauré une forme d’autorégulation basée sur la culture de la gentillesse. Nous partageons tous les mêmes valeurs, avons interdit toute forme d’agressivité et pratiquons le management de la vérité. Nous sommes débiteurs du collaborateur qui nous a offert son premier job, débiteur de sa réussite, puisque toute sa vie il utilisera notre nom. Nous devons tout faire pour qu’il soit heureux.

 

Le leadership peut donc s’organiser dans une structure non hiérarchisée ?

Nous avons instauré un modèle émotionnel et un modèle organisationnel. Le modèle émotionnel veut que les gens soient heureux. Et pour cela, il faut qu’ils adhèrent à notre identité. Nous nous en assurons dès leur arrivée : les trois premiers mois, ils nous observent ; les trois mois suivants, nous décidons. Passée cette période d’essai, ils vont sûrement exercer toute leur vie dans ce cabinet. Nombreux sont ainsi qualifiés chez nous de « natifs ». Nous venons d’ailleurs de fêter notre premier départ à la retraite ! Quant au modèle organisationnel, il implique que les clients ne paient que s’ils sont satisfaits. Dans ces conditions, nous nous devons d’avoir des collaborateurs heureux.

 

Vous parlez beaucoup de bonheur, le tout dans un cabinet de 130 personnes non hiérarchisé. Finalement, acceptez-vous la qualification d’entreprise libérée ?

Je confirme que notre cabinet est une vraie entreprise (avec une direction générale et des fonctions support) mais je dirais plutôt que nous sommes une entreprise heureuse. Être gentil est la clé de la réussite du cabinet.

 

Propos recueillis par Pascale D’Amore

GUIDE ET CLASSEMENTS

> Guide 2024

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail

{emailcloak=off}