Apple, Facebook, Google... Ces multinationales aux capitalisations boursières atteignant des centaines de milliards de dollars continuent de jouer au chat et à la souris avec les administrations fiscales des pays dans lesquels elles évoluent. Une pratique qui excède de plus en plus les États, principales victimes de ces pratiques à la limite de la légalité.

Tentons ensemble de résoudre un problème. Sachant que le marché tricolore des recettes publicitaires sur les moteurs de recherche représentait, en 2015, 1,81 milliard d’euros selon l’Irep1 et que, la même année, Google Search recueillait près de 94 %2 des requêtes en ligne, quel chiffre d’affaires le géant américain doit-il déclarer au fisc français ? Réponse : certainement pas les 247 millions d’euros communiqués à l’administration. Et encore, cet énoncé n’évoque que les publicités sur les moteurs de recherche et ne fait pas mention des nombreuses autres branches du groupe dans l’Hexagone (Youtube, Android, Google Drive, etc.)... Avec 22 millions d’euros de bénéfice officiels, la firme de Mountain View s’est acquittée de 6,7 millions d’euros au titre de l’impôt sur les sociétés en France. Une somme dérisoire pour un acteur de cette taille.

 

Des stratégies sophistiquées pour échapper aux condamnations

 

L’écart abyssal entre les résultats financiers et les impôts versés au fisc constitue un manque à gagner, tous secteurs confondus, de 18 milliards d’euros3 pour les caisses de l’État français. Au centre des critiques, les géants du numérique profitent de la nature immatérielle de leurs activités pour réfuter l’existence d’établissements stables hors des territoires aux faibles taux d’imposition comme l’Irlande ou le Luxembourg. Google, Apple, Facebook ou Amazon : ces mastodontes rivalisent de créativité pour bâtir des stratagèmes de transferts de bénéfices vers des paradis fiscaux sans dépasser le cadre légal, parfaitement désuet. Entourés d'une armée d'avocats, ils se réfugient derrière des forteresses juridiques capables de résister aux assauts répétés des autorités. Que faire pour corriger ces pratiques qui heurtent autant les finances publiques que le bon sens des contribuables ?

 

Entre 100 et 240 milliards de dollars : ce sont les recettes fiscales qui échappent chaque année aux États selon l’OCDE

 

En France, le problème est identifié depuis plusieurs années. Malgré l’apport notoire de ces acteurs au développement du numérique, Bercy veut se montrer intraitable. « Nous irons jusqu'au bout », martelait Michel Sapin en mai 2016 à la suite d'une enquête visant Google. Ce sont 1,6 milliard d’euros d’arriérés qui sont réclamés au groupe américain dans ce cadre. Les perquisitions, les saisies et les menaces de redressement sont des armes médiatiques de plus en plus utilisées pour mettre sous pression les grands noms du digital. Si aucune condamnation emblématique n’a encore été prononcée, le message envoyé aux contrevenants est clair : en cette période de stagnation économique, l'administration n'est plus disposée à voir s'envoler des milliards d'euros chaque année.

 

La France fourbit ses armes 

 

La commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République à l’Assemblée nationale énonce d’autres propositions pour lutter contre ce fléau dans un rapport d’information daté de février 2017. Parmi elles figure l’augmentation du plafond des amendes encourues par les personnes morales coupables de fraude fiscale. Aujourd’hui fixé à dix millions d’euros, ce seuil fixe n’est en rien dissuasif pour des groupes dont les chiffres d’affaires se comptent en dizaines de milliards de dollars. « L’insuffisante sévérité du dispositif répressif » pousse certains opérateurs économiques à « intégrer l’éventualité d’une condamnation comme un simple "risque pénal", au même titre que d’autres types de risques », regrette la commission.

 

Le taux d'impôt sur les bénéfices en 2015 des Gafa hors États-Unis :

- Facebook : 3,8 %

- Google : 5,6 %

- Apple : 6,2 %

 

Pour diversifier son arsenal, la classe politique se penche aussi sur l’idée d’une taxe Gafa4. Reste à savoir sur quoi portera cette taxe (bénéfices réalisés en France, revenus publicitaires, flux de données…) et les modalités de sa mise en place, sans porter un coup fatal à la gratuité des services offerts aux internautes. Il faudra aussi obtenir l’aval du Conseil constitutionnel qui a retoqué en décembre 2016 la « taxe Google » pourtant adoptée dans le projet de loi de finances 2017 et inspirée du modèle britannique déjà en fonctionnement. Cette « réponse à l'optimisation fiscale insupportable des grandes multinationales qui paient entre 2 % et 3 % d'impôts, alors que nos petites et moyennes entreprises en acquittent jusqu'à 30 % » n’aura pas convaincu les Sages. Avant le député Yann Galut, défenseur de cette mesure, d’autres parlementaires portant un modèle de taxation plus adapté aux Gafa s’étaient déjà cassés les dents. Une accumulation d’échecs qui ne brise pas pour autant la persévérance des législateurs.

 

« L'optimisation fiscale est une responsabilité envers les actionnaires. »
Eric Schmidt, président du conseil d'administration de Google

 

Si les initiatives fourmillent, les géants du Net poursuivent leurs opérations en toute impunité. Pire, certains comme Eric Schmidt, président du conseil d’administration de Google, fanfaronnent : « L'optimisation [fiscale] est une responsabilité envers les actionnaires. » L'échelon d'action national pourra connaître quelques succès mais il sera insuffisant pour éradiquer tout à fait ce détournement. Seule la coopération transfrontalière peut véritablement faire trembler les géants du numérique. L'amende de 13 milliards d'euros infligée à Apple par la Commission européenne en août 2016 en dit long sur les ambitions communautaires en la matière. Dans ce contexte, il est étonnant que la France, contrairement à l’Autriche et l’Espagne, n’ait pas engagé de procédure pour réclamer sa part du pactole. À ce sujet, la question de la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann au ministère de l’Économie et des Finances est restée sans réponse…

 

L'OCDE s'est aussi penchée sur le sujet avec son projet BEPS (Érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices en français).  Celui-ci, parfois considéré comme un « socle minimal consensuel » selon l’avocat Jean-Baptiste Soufron, vise à harmoniser la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et les prix de transfert d'une centaine de pays. Enfin, un groupe de députés a déposé un projet de résolution européenne enjoignant l'ONU à s'emparer du sujet. Ils réclament qu’à l'image de la Conférence de Paris pour le climat, « une gouvernance financière mondiale » fasse régner l'ordre face aux pratiques des plus grands groupes. Il est vrai que le phénomène affecte proportionnellement plus les budgets nationaux des pays en voie de développement que les autres. Espérons que la convergence des intérêts gouvernementaux préfigure une prise de conscience collective et la mise en place de moyens de coercition efficaces.

 

1 Irep : Institut de recherches et d’études publicitaires
2 Source : Statcounter
Source : Unu-Wider
4 Gafa : Google, Apple, Facebook, Amazon

 

Thomas Bastin
@ThomasBastin

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