Pour faire face à l’explosion des droits TV, les opérateurs télécoms et les grands groupes de médias rivalisent d’ingéniosité... pour des investissements qui ne sont pas rentables.

300 millions d’euros. C’est le montant record qu’a mis sur la table le groupe Altice (SFR) pour s’adjuger les droits de retransmission de la Premier League en France pour les trois prochaines années. Un engagement fort quand on sait qu’il y a quelques années Canal+ avait déboursé « seulement » 190 millions d’euros. Et il ne s’agit pas d’une exception : Bundesliga allemande, Liga espagnole, Scottish Premiership ou encore la Jupiter Pro League belge, tous les championnats connaissent depuis dix ans une croissance de leurs droits TV.

 

« Le spectacle sportif, l'un des derniers contenus dont la diffusion en direct a de la valeur »

 

Pour beaucoup, le sport est devenu l’un des rares spectacles capables de rassembler un large public en direct. Selon le directeur général de SFR Sport, François Pesenti, « le sport permet d’atténuer le phénomène de consommation délinéarisée de la TV avec le développement de la consommation de contenus à la demande ». Pour Jean-Pascal Gayant, économiste du sport, il constitue « l'un des derniers contenus dont la diffusion en direct a de la valeur ». Et ça, les opérateurs télécoms et les géants de médias l’ont parfaitement compris. Dès lors, s’installe un véritable mécanisme de surenchère avec en première ligne des diffuseurs prêts à mettre le prix face à des ligues qui savent de mieux en mieux en profiter. Un phénomène global dans lequel la France s’inscrit logiquement. Bein Sports, Canal+, Orange ou encore SFR, autant de protagonistes qui cherchent à avoir « la maîtrise de bout en bout de la chaîne » selon Jean-Pascal Gayant. En clair, devenir une société capable de fournir, de diffuser et de programmer le contenu.

 

Des opérateurs de plus en plus stratèges 

 

Pour parvenir à leurs fins, ces acteurs n’hésitent plus à s’associer. C’est le cas notamment de SFR qui, en s’alliant à NextRadio TV (RMC, BFM), a lancé les bases en France d’une tendance déjà bien lourde à l’étranger. Impulsée aux États-Unis, la convergence s’est progressivement répandue en Europe. Au Royaume-Uni ou enItalie, les mariages entre opérateurs de télécommunication et médias vont bon train. En France, c’est le groupe dirigé par Patrick Drahi qui en est l’un des pionniers et aujourd’hui le plus avancé en la matière. Objectif pour ces structures : devenir puissante en conquérant toujours plus d’abonnés. Mais il s’agit aussi pour ces entités d’écarter une concurrence de plus en plus féroce. Et pour cause, puisque qu’aux challengers traditionnels viennent s’ajouter les géants de l’internet comme Google ou Facebook qui veulent également leur part du gâteau. Pour François Pesenti, la bataille sera rude : « On se dirige vers un match de titan entre les grands acteurs télécoms-médias et les Gafa », estime-t-il. L’idée est également partagée par l’économiste Jean Pascal Gayant : « C’est une inquiétude réelle, ces derniers sont des acteurs dont la surface financière est encore incomparablement plus grande et qui pourraient s’ils le voulaient tuer le marché. » Toutefois, selon lui, ces géants de l’Internet restent lucides, « ils sont dans une phase de test durant laquelle ils ont tendance à faire quelques coups de manière ponctuelle », souligne Jean-Pascal Gayant. Une concurrence accrue qui amène à de nouvelles alliances. Ainsi un rapprochement entre Canal+ et Orange serait envisagé. Dans la ligne de mire, pour le premier opérateur français : venir en aide à la filiale de Vivendi pour la conservation des droits de retransmission de la Ligue des champions pour la période 2018- 2021. Une opportunité non négligeable pour le diffuseur traditionnel dont le modèle est dépassé depuis quelques années et qui doit faire face à l’émergence croissante de SFR dans les contenus sportifs. Pour l’heure, on reste donc dans une situation paradoxale avec des contenus attractifs payés au prix fort mais qui ne sont pas rentables.

 

Un cercle vicieux

 

« Jusqu'à présent, on ne gagne pas d'argent dans le football », précise Jean-Pascal Gayant. Cela vaut aussi bien pour les groupes de médias et télécoms mais également pour les propriétaires de clubs de football. « Il s’agit davantage d’une activité qui va leur permettre d’éponger les pertes de fin de saison ». Au final, ce sont surtout les ligues, les joueurs et les entraîneurs qui profitent le plus de ces nouvelles retombées financières. Du côté des diffuseurs, la logique financière est douteuse. Celle de SFR repose sur un fragile montage de dette. Quant à Bein, les investissements du Qatar pourraient rapidement se tarir. Bref, il n’est pas exclu de voir l’un de ces acteurs disparaître un jour. Pourtant, la hausse n’a pas l’air de s’être arrêtée, comme en témoigne les derniers appels d’offres en Allemagne. Pour Jean-Pascal Gayant, ce cercle vicieux pourrait donner lieu à quelque chose de tout nouveau : l’avènement d’une ligue continentale réunissant les meilleures équipes d’Europe. Objectif : générer des droits TV plus importants.   

 

Gatien Pierre-Charles

 

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