Depuis le 27 mars dernier, la Guyane tourne au ralenti. Les propositions du gouvernement ne sont pas à la hauteur des revendications d’une population dans la tourmente et la situation exige de réelles politiques à long terme. Olivier Sudrie, économiste spécialiste de l’Outre-mer et chercheur au Cemotev (Centre d'études sur la mondialisation, les conflits, les territoires et les vulnérabilités) revient sur les raisons d’un tel mouvement.

Décideurs. Quelles sont les revendications du mouvement de protestation qui touche la Guyane ?

Olivier Sudrie. La Guyane est un territoire qui maîtrise très mal ses frontières avec une immigration provenant majoritairement du Brésil ou du Suriname. Cet afflux de migrants constitue une réelle source d’insécurité. D’un point de vue économique, 60 % de la population guyanaise est composé d’inactifs. À cela s’ajoute un fort taux de chômage situé entre 22 % et 25 %. Chez les 15-24 ans, Il s’élève à 54 %. À titre de comparaison, pour cette même tranche d’âge, on constate un taux moitié moins important dans l’Hexagone, soit 24 %. Ce mouvement soulève également des revendications en termes d’éducation avec un cruel manque d’effectifs et des retards dans les constructions de collèges et autres écoles. Déjà en 2011, près de 20 % de la population des 16 à 65 ans était en situation d’illettrisme. Enfin, la santé est également un axe prioritaire : les conditions en matière de prise en charge des patients sont inacceptables.

 

Au regard de votre expertise, pensez-vous que la proposition du gouvernement pourrait enrayer la crise ?

La proposition du gouvernement est composée en sept actes. D’un montant de 1,1 milliard d’euros, selon les chiffrages ministérielles, l’offre concerne des volets tels que la sécurité, la santé, la justice, l’éducation ou encore l’économie. Toute la question est de savoir si cela sera suffisant. Selon moi, probablement non. Il faut bien se rendre compte du volet développement économique et humain. Ce territoire a vingt-cinq ans de retard, soit une génération : il ne sera pas possible de combler ce déficit avec des mesures établies uniquement pour les six prochains mois. Une chose est sûre, les moyens budgétaires ne sont pas disponibles pour aller au-delà de l’enveloppe proposée par la ministre de l’Outre-mer et le Premier ministre malgré des demandes légitimes de la part du peuple guyanais.      

 

Quelles mesures faudrait-il mettre en place ?

 

L’axe prioritaire, d’après moi, est de relever la productivité du travail afin d’améliorer la compétitivité de l’économie guyanaise. La Guyane, hors spatial, est assez dépendante des transferts métropolitains, à l’instar des autres départements d’Outre-mer. Il faut en améliorer l’efficacité car si vous êtes sur un sol très aride et que vous l’arrosez abondamment, rien ne va pousser car la terre va ruisseler. C’est exactement la même chose ici avec l’insuffisance de la production locale : lorsque vous injectez des transferts métropolitains, la quasi majorité repart sous forme d’importation. Les effets multiplicateurs sont très faibles. L’enjeu principal, c’est d’améliorer la capacité de production de l’appareil économique guyanais afin de répondre à la demande intérieure. 

 

« Si vous êtes sur un sol très aride et que vous l’arrosez abondamment, rien ne va pousser car la terre va ruisseler »

 

Un changement de statut serait-elle une solution ?

Actuellement, il y a une grande réforme institutionnelle au niveau local. Généralement, au niveau métropolitain, on fait une séparation entre le département, qui gère les affaires sociales, et la région qui s’occupe principalement des sujets économiques. La Guyane et la Martinique quant à elles, ont fait le choix de fusionner région et département. Certaines revendications, a contrario, prônent une autonomie s’inscrivant alors dans la configuration « Saint-Martin ». En substance : un plus grand pouvoir décisionnel, la possibilité de choisir vos impôts mais aussi d’assurer l’exécution de votre propre budget. Mais même par référendum, il n’est pas sûr que la Guyane adhère à cette nouvelle « indépendance ». 

 

Pensez-vous que ce mouvement puisse s’étendre à d’autres régions d’Outre-mer comme la sous-entendue Élie Domota, le leader du LKP guadeloupéen ?

Dans la mesure où la crise frappe aussi l’ensemble de l’Outre-mer et pas uniquement la Guyane, le risque de contagion est non nul. Risque que la ministre de l’Outre-mer a bien pris en compte à la vue de son calendrier de déplacement mais son intervention est bien tardive. Ces territoires ultra-marins partagent le même modèle économique qui s’essouffle. Avec une croissance nulle, c’est l’épuisement des transferts en provenance de la métropole qui explique en partie cette affaiblissement alors que le processus de rattrapage n’est pas encore terminé. Des territoires comme la Martinique et la Guadeloupe accusent un retard de près de quinze ans tandis que pour Mayotte, c’est quarante ans ! Face à cette impasse, deux possibilités : généraliser les conflits en tentant d’avoir d’autres transferts métropolitains ou bien changer de modèle. Ce qui supposera que toutes ces économies se développent autour d’une construction plus endogène, moins dépendante de la métropole, en créant plus de richesse de manière locale.

 

Ces territoires ont-ils des revendications similaires ?

Non. Cependant on observe que sur ces territoires la proximité des revendications est plus forte entre la Guyane et Mayotte. En comparant les géographies, on remarque l’importance du volet sécuritaire, avec beaucoup d’immigration. De plus, il s’agit de zones très en retard au regard de l’ensemble de l’Outre-mer.

 

« Le dialogue ne se limite pas à des comptes d’épicier »

 

En l'absence d'accords, quelles seraient les conséquences pour la Guyane et la France ?   

Le pire serait de faire pourrir la situation. C’est peut-être une option que le gouvernement actuel – qui n'est plus là que pour quelques semaines – serait tenter d’avoir afin de laisser à la charge du prochain gouvernement la résolution de cet épineux problème. L’autre point à prendre en compte est le risque de blocage qui pourrait amener à un recul avec pour conséquence un appauvrissement de la population d’un point de vue économique, comme cela s’est passé en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion en 2009. Les solutions existent toutefois. Le déroulement d’une conférence basée sur la compétitivité ainsi que l’utilisation des transferts de l’État constituent des pistes afin d’amorcer le chantier productivité-compétititivité-croissance. Avant tout, il est nécessaire de ne pas rompre le dialogue. Il ne se limite à des comptes d’épicier. Il est important de mettre au tour d’une table l’ensemble des acteurs afin de constituer un nouveau projet de développement et de société.

 

Propos recueillis par Gatien Pierre-Charles 

 

 

 

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