Vingt-cinq ans déjà qu’Alain Thébault poursuit son rêve d’enfant : voler sur l’eau. Il imagine un voilier volant, l’Hydroptère, avec lequel il battra plusieurs records du monde de vitesse. Il espère aujourd’hui révolutionner les transports fluviaux des grandes villes à l’aide de petits véhicules écologiques « volant » au-dessus des flots, les Sea Bubbles.

Décideurs. Comment vous est venue cette idée de créer une voiture volante au design futuriste ?

Alain Thébault. Ce sont mes filles qui ont eu l’idée. En arrivant de ma traversée du Pacifique en juin 2015 à Hawaii, mes enfants m’ont dit : « Tu es un papa génial, tu as battu le record de vitesse à la voile, mais pourrais-tu te rendre utile pour la collectivité ? Nous vivons dans de grandes villes polluées, pourrais-tu faire voler tout le monde ? » Et c’est de là qu’est né SeaBubble. J’ai pris mon petit carnet vert, mon stylo et j’ai dessiné une bulle, avec des ailes immergées lui permettant de se soulever au-dessus de l’eau, donnant l’impression qu’elle vole. Les hommes ont bâti les grandes villes sur des fleuves, sur des baies comme San Francisco ou sur des lacs comme Genève. Aujourd’hui la problématique est la même dans toutes les villes du monde : les quais sont complètement congestionnés et il y a beaucoup d’espace utilisable sur l’eau. L’idée générale est donc de se réapproprier l’ensemble des cours d’eau sur un mode zéro bruit, zéro vague et zéro pollution.

 

 

Vous êtes très soutenu par la maire de Paris, Anne Hidalgo …

Anne Hidalgo est une femme très généreuse que j’adore. Elle est la première personne à m’avoir aidé dans mon projet et aujourd’hui je reçois des mails de la planète entière ! Elle se fait souvent taquiner dans la presse par ses opposants dans sa bataille pour fermer trois kilomètres de voies sur berges à Paris.  Mais il faut regarder les pays du Nord qui ont toujours été en avance. En Suède, en Norvège ou en Finlande, les villes seront bientôt fermées aux voitures qui polluent.

 

« L’idée est de se réapproprier les cours d’eau sur un mode zéro bruit, zéro vague et zéro pollution »

Le Sea Bubble est un véhicule eco-friendly. Où puise-t-il son énergie ?

L’idée est d’avoir un Bubble qui se rattache à un écosystème énergétiquement autonome. C’est un peu le fantasme de survoler un fleuve en exploitant son énergie propre. J’ai ainsi pensé à utiliser des hydroliennes. Le courant des marées ou des fleuves fait tourner des hélices sous le dock et l’énergie produite est ensuite stockée dans des batteries sous le ponton d’amarrage. Lorsque les bulles viendront s’y brancher, leur batterie se rechargera par induction. À New York par exemple, l’intensité du courant de l’Hudson River est suffisante pour faire des docks autonomes énergétiquement, tout comme la Tamise à Londres. Ce n’est malheureusement pas le cas avec la Seine dont la puissance n’est pas assez forte et ne permet pas de faire tourner les turbines. On se branchera donc sur l’électricité. Mais notre objectif reste d’utiliser les énergies naturelles et non l’atome ou le charbon.

 

 

Un taxi volant sans conducteur, n’est-ce pas dangereux ?

Non, ce n’est pas dangereux. Dans Paris, nous sommes toutefois obligés d’avoir recours à un pilote et l’administration voulait même nous imposer un matelot en plus ! Aux États-Unis, notre actionnaire américain nous fait confiance et nous allons démarrer directement avec des bulles sans pilote. Sur l’eau il n’y a ni piéton ni poussette… Il y a des péniches et des bateaux mouches mais il est simple de les éviter.

 

« Notre objectif reste d’utiliser les énergies naturelles et non l’atome ou le charbon »

Le Sea Bubble sera expérimenté pour la première fois en juin prochain sur la Seine à Paris. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous allons normalement démarrer les premiers essais sur la Seine du 14 au 27 juin prochain. L’administration ne nous autorise que deux semaines dans Paris, un temps très court. De nombreuses grandes villes dans le monde veulent absolument les bulles, donc Paris servira de vitrine pour présenter le système. Nous irons ensuite dans des villes où tout est plus simple. Paris est la ville la plus chère, la plus compliquée et la moins efficace notamment à cause de la faible vitesse autorisée sur la Seine.

 

 

Quel sera le coût pour acquérir cette innovation ? Avez-vous déjà une liste de commandes ?
 Nous ne prenons pas de commandes avant la démonstration du mois de juin, ni avant d’être en mesure de produire les bulles en grande quantité. Le coût d’un Sea Bubble dépendra du nombre de bulles commandées. 30 % du prix correspond aux batteries qui sont très chères. Pour une centaine d’engins commandés, le prix d’une bulle sera de l’ordre de celui d’une voiture. Mais entre une « Zoé » et une « Tesla », ce n’est pas le même coût !

Nous cherchons aujourd’hui à lever 50 millions d’euros de fonds pour l’industrialisation des bulles. Nous comptons démarrer par une petite usine et, si nous avons suffisamment de moyens, nous pensons nous implanter en Europe, aux États-Unis et en Asie. Nous avons récemment reçu une délégation indienne qui veut des bulles pour une quinzaine de villes en Inde. Les Australiens sont également intéressés et nous pourrons donc envisager un site de production sur le continent.

 

 

Pensez-vous ouvrir une usine en premier en France ?

Cela dépendra de ce qu’il se passera en mai prochain. Aujourd’hui, la France est un pays très compliqué et cela ne donne pas vraiment envie d’y développer des projets.

 

 

N’avez-vous pas peur que le Sea Bubble devienne une attraction touristique ?

Je trouverais cela très bien ! Quelle que soit la raison pour laquelle les gens prennent les bulles, cela fera toujours moins de gaz d’échappement. Aujourd’hui, les transports en commun, que ce soient les bus ou les bateaux mouches, roulent ou naviguent souvent à vide. Les Uber transportent une ou deux personnes d’un point à un autre. Le bateau Bus ne marche pas à Paris car il faut l’attendre trop longtemps. Le Sea Bubble en revanche est un petit moyen de transport facile et rapide disponible tout de suite. Mais à Paris où la vitesse sur l’eau est limitée à 18 km/h, on peut se demander quel sera l’intérêt de prendre un Sea Bubble s’il est moins rapide qu’un vélo. J’ai proposé qu’on augmente la vitesse, mais je ne compte pas me battre cinquante ans. Après notre démonstration du mois de juin, nous ferons un Pop-up Tour pour présenter le système des bulles et son écosystème au monde entier.

Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali

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