À la tête de SNI, filiale du mastodonte Caisse des dépôts, André Yché a mis en place depuis 1999 un modèle moderne et entrepreneurial. Son credo, considérer le bailleur social comme une vraie société foncière, notamment en mettant en avant le logement intermédiaire et le financement privé.

Décideurs. À combien chiffre-t-on le manque de logements sociaux aujourd'hui en France ? Où sont localisés ces manques et quelle est l'action du groupe SNI pour les combler ?
André Yché.
Il est difficile de quantifier ce manque. Ce qui est sûr, c'est qu'il se localise sur les gros marchés métropolitains sur lesquels l’offre est saturée par une forte demande alors même que c'est la demande qui fait défaut ailleurs,  sur une grande partie du territoire, provoquant une crise de la vacance. Chaque année, 100 000 nouveaux logements sont produits, un chiffre suffisant, sous réserve d’une bonne localisation !
En zone détendue, il s'agit alors de rationaliser l'offre, si nécessaire en démolissant, et d’améliorer les actifs disponibles. 
En zone tendue, l'écart se creuse entre les loyers du locatif libre et du locatif social. Notre stratégie est donc de marcher sur nos deux jambes  que sont le logement social et le logement intermédiaire, c'est-à-dire les deux segments les plus critiques et où il est nécessaire de restaurer le continuum de l'offre d'habitat.

 

Vous avez fait du logement intermédiaire votre « produit phare ». Pourquoi ce choix ?
Notre stratégie repose sur deux points-clés : restaurer de la fluidité, autant en termes de parcours individuel que de valorisation de notre patrimoine, et décompartimenter le marché du logement, notamment le social et l'intermédiaire, l'essentiel étant d'avoir cette aptitude  à renouveler  le patrimoine. La situation d'aujourd'hui est bien différente de celle d'il y a trente ans : les parcours professionnels des jeunes seront moins linéaires que ceux de leurs aînés et l'immobilier doit s'adapter afin que le choix patrimonial ne soit plus vécu comme un emprisonnement. Il faut entrer dans une logique  du « sur-mesure », en ayant des produits adaptés à chaque individu : l'offre standard, celle qui vise des catégories de populations, est dépassée.
Le logement intermédiaire est capital car il concerne des cibles à la fois trop aisées pour avoir accès au logement social, mais n'ayant pas assez de moyens pour le marché libre. Le coût de l'intermédiaire se situe en effet environ 15 % en dessous du prix de marché. Il répond à une vraie action structurelle de long terme car il est la seule manière d'assurer une continuité de l'offre : c'est un enjeu majeur de la ville de demain. Cette typologie de logement doit également constituer une première marche vers la propriété. C'est pourquoi nous proposons des options d'achat au locataire, afin de lui offrir plus de perspectives tout en l'incitant à adopter un comportement de propriétaire.

 

Au terme du congrès de l'USH, Emmanuelle Cosse a « conforté le modèle français du logement social », avec la signature d'une feuille de route. Quel regard portez-vous sur les engagements pris à cette occasion ?
Ces engagements ne valent que par l'engagement des opérateurs, l'État n'ayant pas toutes les manettes en main. Concernant le logement social, le constat est que notre modèle est puissant grâce à trois éléments : le financement public basé sur l'épargne populaire, à travers le livret A, l'obligation des employeurs de participer, via Action logement, à l’effort de construction et des opérateurs fiables de long terme comme la Caisse des dépôts. La vraie question concerne l'articulation de ces acteurs qui doit être repensée, en particulier sur les questions de financement.
Il est en tout cas certain que le modèle de logement du XXIe  siècle se dessine : de  nouveaux services vont progressivement se greffer au logement social, qui va intégrer les besoins fondamentaux de la société, à savoir l'accès à l'emploi et la sécurité. Ces changements ne concernent pas uniquement les bailleurs, mais demanderont aussi une grande agilité  aux  grands opérateurs globaux de l’habitat.

 

« Des investisseurs cherchent à se positionner sur des activités d'intérêt général »

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre stratégie de financement ?
Le financement du logement social est particulier dans le sens où il n'obéit pas à une logique de foncière, étant basé à la fois sur les aides à la pierre, de plus en plus faibles, et sur l'endettement. Ce modèle atteint ses limites, le bas niveau des taux d'intérêt changeant la donne. Il faut donc penser autrement le financement du logement social et un élément très important vient d'être introduit pour cela : la mise en place de prêts de haut de bilan, c'est-à-dire des prêts comportant un différé d'amortissement d'une vingtaine d'années à taux zéro. Les organismes de logements sociaux en bénéficient à travers une enveloppe, portée de deux à trois milliards d'euros lors du dernier congrès de l'Union sociale pour l'habitat. Ceci est extrêmement important car ces « quasi fonds propres » introduisent ces organismes dans une logique de  quasi foncière à travers la perspective d'amortissement de quasi fonds propres, en substitution des subventions, dénommées « aide à la pierre ». Tout ceci participe aussi au décloisonnement entre les différentes catégories de produits. Par exemple, avec l'arrivée sur le marché de social bonds, des investisseurs cherchent à se positionner sur des activités d'intérêt général. Même le « très social » pourrait être financé de la sorte.
Sur le logement intermédiaire, nous avons lancé un fonds d'investissement qui a fait la troisième levée mondiale de fonds propres en immobilier résidentiel, à plus d'un milliard d'euros et ainsi porté notre programme d'investissement à six milliards répartis équitablement entre les fonds privés, la Caisse des dépôts, et l’Agence des participations de l’État (APE).. Sur l’intermédiaire et bientôt sur le social, nous sommes devenus les premiers clients privés de la Banque européenne d'investissement, et avons une démarche de la même nature sur le très social avec Adoma.

 

« Nous ne sommes pas un guichet ! »

Que répondez-vous aux critiques dénonçant votre logique trop entrepreneuriale ?
Nous sommes une filiale de la Caisse des dépôts et restons à ce titre attachés à l'intérêt général ; mais notre action doit s’inscrire dans la durée et la logique entrepreneuriale est donc vitale, car nous devons générer nos propres ressources et être suffisamment attractifs pour en attirer d'autres. Nous ne sommes pas un guichet ! Le groupe SNI est capable de produire une offre non sollicitée, de sa propre initiative. Heureusement, ces critiques sont devenues marginales, mais je réponds sans hésiter aux détracteurs impénitents qu'il vaut mieux être trop entrepreneurial que pas assez. 
 

Propos recueillis par Boris Beltran

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