Les vingt ans d’Allociné et son nouveau projet au nom de code explosif, « Molotov », mettent sous les projecteurs ce parrain du Web français très secret mais fort influent. Par Émilie Vidaud.
Du haut de ses 45 ans, Jean-David Blanc développe tous les symptômes du parfait entrepreneur schizophrène. Fondateur d’Allociné, le site de référence du cinéma en France, il a révolutionné les usages en lançant en 1993 le « 40 30 20 10 », premier service téléphonique gratuit donnant accès aux programmes diffusés dans les salles de cinéma. Après avoir cédé ses parts en 2001 au groupe Canal+, devenu Vivendi Universal, il se lance aux côtés de son fidèle associé, Patrick Holzman – aujourd’hui directeur de Canalplay – dans la production de films. Cavalcade avec Marion Cotillard et Bérénice Bejo reste son principal fait d’arme cinématographique. Millionnaire à 30 ans, il devient en parallèle l’un des premiers business angels français. Son investissement initial est pour Marc Simoncini venu lui présenter l’ébauche de ce qui deviendra Meetic.fr. L’homme a du flair et sait s’entourer. De sa petite bande du Web en passant par ses copains de la jet-set, il a l’art de savoir rassembler pour mieux fédérer. Humaniste, Jean-David Blanc est perfectionniste et aime flirter avec des sommets qui ont d’ailleurs failli lui coûter la vie, un jour de janvier 2011 où il survolait l’Himalaya en paramoteur. Musicien dans l’âme, celui qui fréquente depuis trois ans les bancs de l’American School of Modern Music est aussi devenu récemment le porte-drapeau d’un projet de restauration de l’église de La Madeleine à Paris. Entrepreneur ou pygmalion ? « Dans la vie, il faut savoir changer de costume », nous répond Jean-David Blanc qui sans langue de bois lève le voile sur les petits secrets de son succès.

L’informatique
Son culte voué à l’informatique, son frère, Emmanuel Blanc, s’en étonnerait presque encore. Jean-David Blanc est issu d’une famille de musiciens, son père est violoniste, sa mère professeur de musique et son cadet altiste à l’Orchestre national de France. Pourtant, l’aîné de la famille nourrit dès ses 11 ans un appétit insatiable pour l’informatique. « Un jour, il est entré dans le magasin Tandy Electronique en bas de chez nous. Il n’en est ressorti que trois ans plus tard », plaisante son frère qui voyait défiler dans l’appartement familial de Neuilly-sur-Seine des gens de 40 ans venus se former auprès de l’adolescent prodige. « Il créait des jeux et des logiciels sur les premières machines à calculer TI-57. Les gens criaient au génie de l’informatique ! », se souvient Emmanuel. Une précocité qui n’a pas échappé en 1984 au directeur du marketing d’Apple Computer France. « Avant tout le monde, Steve Jobs et Jean-David ont compris la portée de l’informatique et le pouvoir des réseaux », lâche François Benveniste qui a bien connu le fondateur d’Apple et a soutenu la fibre entrepreneuriale de Jean-David Blanc en lui confiant, à 16 ans, le lancement du 3615 MRS (Marlboro Racing Service).

Le touche-à-tout disruptif
« Citez-moi une boîte de l’Internet français qui existe depuis vingt ans ? », lance le fondateur d’Allociné. De Multimania en passant par Caramail ou encore Bookonline, pas une n’a en effet survécu aux déferlantes du Net. Allociné est l’exception française qui conteste la règle de l’éphémère dans l’univers impitoyable du Web. Né en 1968, Jean-David porte sûrement en lui le feu de la révolution. Un mot qu’il n’aime guère et auquel il préfère « disruptif ». « Cet esprit d’entreprendre et ses idées étaient complètement épatantes pour un jeune ado de 13 ans qui se positionnait clairement dans un domaine de compétences que personne ne maîtrisait au début des années 1980 », raconte Cécile Berson, sa camarade de classe au collège André-Maurois de Neuilly-sur-Seine. De son éducation musicale, Jean-David a sûrement compris l’importance de la fonction de chef d’orchestre. « Même si la musique est pour lui un loisir, elle étanche sa soif de comprendre comment les choses sont orchestrées », remarque Sébastien Rostagno son camarade de classe à l’American School of Modern Music. « Quand je l’ai rencontré chez Saatchi & Saatchi, il expliquait du haut de ses 17 ans à des media-planneurs en quoi la communication électronique pouvait être une nouvelle façon d’accompagner les marques. Il avait un discours extrêmement en avance par rapport à son auditoire. Personne ne l’a compris sauf moi. Il était beaucoup trop disruptif », se souvient Patrick Holzman qui a rapidement tout quitté pour s’associer à Jean-David Blanc dans l’aventure Allociné. « Un projet gratuit et financé par la pub ! C’était totalement à contre-courant des modèles économiques de l’époque où les 3615 et les 3668 généraient des millions. C’était fou ! », se souvient son associé. « En quelques secondes, il arrive à savoir si un produit est pertinent ou pas », poursuit Ouriel Ohayon, fondateur d’Appsfire, une des nombreuses start-up dans laquelle Jean-David Blanc a placé des billes. « C’est un précurseur. C’est un des premiers à avoir compris le lien entre le cinéma et Internet », glisse le producteur Thomas Langmann, son ami de dix ans. « Sa force est d’avoir une vision en tête et d’aller jusqu’au bout », confie Marc Dabouineau, fondateur de Veoprint dont Jean-David est actionnaire.

Son pari (raté) sur Canal+
« En 2003, si Canal + avait suivi mon idée, on aurait lancé Allociné Vision qui aurait pu être le Netflix européen », regrette Jean-David Blanc qui rêvait de fonder le premier acteur de « l’entertainment » dans le numérique. Depuis le départ de son fondateur au début des années 2000, le site de référence dans le cinéma est, en effet, resté figé. Et quand on interroge, Jean-David Blanc sur le récent rachat du site par Marc Ladreit de Lacharrière, son fondateur met en garde ce dernier contre le danger de faire d’Allociné un pure media que le site n’est pas et ne sera jamais.

Le business angel
« Jean-David a l’expérience, il a des fonds mais ça ne suffit pas pour faire un bon entrepreneur. Il a aussi la passion et une bonne dose de déraison pour entreprendre, sans oublier la nécessité de se poser les bonnes questions », déclare Benjamin Bejbaum, le fondateur de Dailymotion et ArtDB.
Jean-David Blanc n’a pas démérité depuis une dizaine d’années. Il a investi dans plus de trente start-up parmi lesquelles Meetic, Appsfire, Square Inc., Veoprint, The Cools et plus récemment ArtDB, Stootie et TVShow Time aux côtés de Xavier Niel. « Il a des qualités humaines remarquables. Quand il décide de se lancer dans un projet, il le fait sans hésiter et de manière très intense », remarque Ouriel Ohayon, également fondateur de la version française de Techcrunch. Accompagnateur plus que décideur, Blanc est un homme de parole qui n’hésite pas à mettre les mains dans le cambouis. « Alors que nous étions au bord de la faillite, il nous a conseillés et aidé à tirer le meilleur de notre projet », raconte Stéphanie Pelaprat, fondatrice de Restopolitain. Pragmatique, orienté usages et business, le créateur d’Allociné tire surtout sa force de son relationnel. « C’est un homme fidèle qui tient ses engagements », confirme Benjamin Bejbaum. La force du binôme Blanc-Holzman est d’ailleurs un des ingrédients du succès de l’aventure Allociné. « On a commencé ensemble et on est parti ensemble », insiste Patrick Holzman.

Les sommets
Son flirt avec les sommets… a failli lui coûter la vie en 2011. Jean-David Blanc est un mordu de paramoteur, une passion qu’il partage avec son pote Guillaume Canet. « J’ai toujours rêvé de voler », déclare celui qui, hasard ou signe du destin, côtoyait au collège le petit-fils de Charles Lindbergh. Dans son livre, Trois jours au Népal, paru en 2012, Blanc relate son accident de parapente à moteur lors d’un survol de l’Himalaya. Piégé dans les montagnes du Népal, Jean-David Blanc ne s’est jamais départi de sa volonté et de son réalisme humain aux dires de ses proches, se lance sans repère dans l’immensité de l’Himalaya pour sauver sa peau. « L’homme est robuste » , affirme Marc Dabouineau. Dans le taxi qui le ramenait chez lui, il avait l’oreille collée au téléphone. Il était reparti comme en quarante. Une très grande majorité de personne se serait effondrée. Il est resté le même ! », s’étonne ce dernier qui l’a accueilli à l’aéroport à son retour.

Ses copains de la jet-set
Ne rêvez pas, il n’y aura pas de name dropping. Jean-David Blanc déteste ça. Pourtant, l’homme côtoie en toute discrétion la génération d’acteurs, de réalisateurs et de producteurs qui font aujourd’hui briller le septième art français. « C’est un garçon charismatique qui séduit par son talent sans avoir besoin de courtiser ni de cirer des pompes », lâche François Benveniste.
Pour cet enfant marqué au fer-blanc par le film War Games, le cinéma a toujours été, en filigrane… son fil d’Ariane. Un an après avoir cédé ses parts dans Allociné à Vivendi Universal, Jean-David lance avec Patrick Holzman une boîte de production. Il produit en 2005 le film Cavalcade. « C’est un jusqu’au-boutiste », salue Thomas Langmann qui devrait adapter prochainement au cinéma son livre. « Cette aventure mérite que l’on fasse un film », glisse admiratif le producteur de The Artist.

Nom de code « Molotov »
Benjamin Bejbaum le reconnaît volontiers : « Le projet Molotov va très certainement créer une rupture dans les usages. » Il s’est donc risqué à filer un coup de main à l’ex-patron d’Allociné. Une nouvelle fois, Jean-David Blanc devrait frapper là où l’on ne l’attend pas. « Ce projet à la croisée du Net et de la télévision lui ressemble beaucoup », confirme Marc Dabouineau qui fait aussi partie de l’aventure. En attendant le lancement prévu en 2014, le secret est bien gardé par la bande du Web qui ne peut, néanmoins, cacher son impatience de voir revenir sur le devant de la Toile, le parrain du Web français.




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