Par Jacques-Antoine Robert, avocat associé, et Virginie Rage-Andrieu, docteur en pharmacie et en droit. Simmons & Simmons
La loi du 29 décembre 2011 impose aux entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé la publication de l’existence de conventions conclues et des avantages procurés aux acteurs du domaine de la santé. Ce texte est d’interprétation délicate quant à sa date et son champ d’application, aux types de conventions ou d’avantages concernés et à ses modalités pratiques de mise en œuvre.


Cette loi s’articule autour de trois axes : transparence des liens d’intérêts, gouvernance des produits de santé et élargissement des mesures relatives à la sécurité des médicaments et des dispositifs médicaux. En matière de transparence, l’objectif était d’adopter un « Sunshine Act à la française ». La loi communément appelée Sunshine Act est un texte en vigueur aux États-Unis qui impose aux entreprises pharmaceutiques la publication de tous les avantages accordés aux professionnels de santé, prescripteurs de soins. Ce texte définit des sanctions dissuasives, jusqu’à un million de dollars, en cas de non-publication. Notre Sunshine Act va beaucoup plus loin, les objectifs de maîtrise des dépenses et de respect de l’intérêt des patients sont dépassés pour aller vers une transparence totale : « La transparence totale, c’est la condition de la confiance. ».
Nous centrerons notre propos sur l’obligation de déclarer l’existence des conventions et les avantages, édictée dans l’article 2 de la loi (L1453-1 CSP). Nous retenons avec certitude que l’obligation s’impose aux entreprises produisant ou commercialisant les produits en question et que, si celles-ci ne satisfont pas sciemment à cette obligation, elles seront sanctionnées pénalement (45 000 € et peines complémentaires). Mais nous regrettons le manque de clarté de cet article
et par là, ses difficultés d’application pratique.

Une date et un champ d’application incertains
L’application de ce dispositif et des sanctions associées est suspendue à la publication d’un décret. À défaut de décret, l’article 41 impose l’application des sanctions au 1er août 2012, pour les conventions appliquées ou conclues et les avantages accordés et rémunérations versées à compter du 1er janvier 2012. Au 1er août, ce décret n’a pas été publié et la Direction générale de la Santé s’est positionnée sur une inapplicabilité du texte et des sanctions en l’absence du décret.
Les entreprises soumises à cette obligation ne sont pas clairement précisées et toutes les entreprises pharmaceutiques ne sont pas concernées. En effet, le dispositif inclut les entreprises qui « commercialisent », doit-on comprendre qui « mettent sur le marché » ou « qui vendent » et donc intégrer la vente en gros et au détail ? les entreprises « assurant des prestations associées à ces produits », cette expression fait-elle référence uniquement aux prestations associées aux dispositifs médicaux ? Ou à tout type de prestations de service ? Le texte renvoie à l’article L5311-1 CSP qui liste les produits à finalité sanitaire ou cosmétique destinés à l’Homme. Or parmi eux se trouvent les produits de tatouage ou les produits cosmétiques… Ainsi si l’on applique le texte à la lettre, toutes les entreprises produisant ou commercialisant des produits cosmétiques (savon, parfum…) sont concernées et devraient, par exemple, publier l’existence de conventions avec les éditeurs de presse… Par ailleurs, toutes les entreprises pharmaceutiques ne sont pas dans le champ d’application. Seuls les produits à usage humain sont cités ; sont donc notamment exclues les entreprises du médicament vétérinaire. Mais surtout, ce texte de Droit national, ne s’impose qu’aux entreprises françaises, or dans l’Union européenne il n’est pas nécessaire d’être implanté en France pour y commercialiser des médicaments.
Les conventions sont celles qui sont conclues avec neuf catégories de personnes. Aucune précision n’est apportée sur chacune d’elles. Ainsi pour chaque profession de santé, l’intention affichée par le législateur n’impose-t-elle pas de discerner selon le statut : professionnel indépendant, salarié, fonctionnaire… Qu’entend-on par association « représentant » des étudiants ou des professionnels de santé ? S’agit-il des associations qui ont dans leur objet statutaire la mission de représenter ces personnes ?
Si l’on combine la liste des produits avec les catégories d’acteurs, on constate que ce texte s’impose en France à un volume démesuré de personnes, et disproportionné avec sa finalité. Les entreprises situées en dehors du territoire national échappant au dispositif, l’information du public ne pourra être que parcellaire et opaque car noyée dans une masse de données sans intérêt.

Un objet imprécis : quelles conventions ? quels avantages ?
Les entreprises doivent publier « l’existence des conventions » et « les avantages en nature ou en espèces ». Il semble discutable, au regard du respect de la vie privée, de publier des éléments précis des contrats de travail ou de stage des professionnels de santé ou des étudiants, tout comme des contrats de vente entre fabricant et distributeur qui relèvent du secret industriel et commercial. Or « Là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer », ainsi selon le texte, l’existence de toute convention et tout avantage devraient être publiés. La notion d’avantage n’est définie ni dans les textes, ni dans la jurisprudence et donne lieu à des interprétations divergentes : profit sans contrepartie ou rémunération ? Le texte renvoie à un seuil fixé par décret, au-delà duquel l’avantage devra être publié. Ce seuil n’est pas encore déterminé et fait toujours l’objet de débat (1, 10 euros, supérieur ?). La loi impose donc un suivi des avantages accordés. Par ailleurs l’octroi d’avantages repose sur l’application de textes dérogatoires à l’article L 4113-6 CSP qui pose un principe d’interdiction pour les entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale et les professions de santé (y compris étudiants). Il faudrait pouvoir en pratique lever les ambiguïtés de ces textes pour cerner le champ des avantages admis.

Des modalités pratiques à déterminer
Le décret doit préciser les éléments essentiels de la publication : nature des informations, modalités de publication et d’actualisation et également, intervention des Ordres professionnels. Or, sa rédaction nécessite une grande réflexion de par ses enjeux et surtout ses limites fixées par le respect de la législation en vigueur relative notamment à la protection de la vie privée, des données à caractère personnel…, un « travail d’orfèvre ». Il est donc fort possible que le décret laisse encore subsister quelques ambiguïtés, néanmoins il entraînera l’applicabilité du dispositif et de ses sanctions.
Aussi, afin de se préparer à l’application de ce nouveau texte, les entreprises doivent faire une analyse juridique des différentes relations conventionnelles qu’elles entretiennent avec les personnes concernées et rassembler sans plus attendre toutes les informations pratiques susceptibles d’être publiées, lesquelles sont bien souvent gérées par des services tout à fait distincts au sein de l’entreprise (juridique, affaires réglementaires, direction médicale…). Il est possible que l’on découvre le matin même de la publication du décret un délai très court pour l’entrée en vigueur de l’obligation de publication, au regard du volume d’informations à traiter.

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