Cette voiture ne fait pas de queue de poisson, ne double pas par la droite, et ne tape pas vos pare-chocs quand elle fait son créneau. Normal, elle n’a pas de conducteur !
L’auto est blanche. Elle roule vers Rome, vers Sète. À l’arrière, la faim interrompt un enfant dans son jeu en ligne. Parent 1, bienveillant, interroge la console de bord qui les guidera vers le fast food le plus proche. Évidemment, l’entrée de la ville est bouchée. Personne ne s’en est rendu compte, mais l’auto a anticipé un itinéraire alternatif. La famille s’immobilise sur une place de parking repérée par l’ordinateur de bord. Et alors que l’erreur est humaine, ce créneau est parfait. Un rêve inaccessible? En 2012, Google nous a rapprochés de 2054 et de Minority Report. Dans ce film de Steven Spielberg, les véhicules sans conducteur parcourent en mode automatique un réseau fluide et sécurisé imaginé par les ingénieurs du MIT et de Toyota. L’automobile développée par la firme de Mountain View navigue seule elle aussi, parmi les « humaines », et ce de façon rationnelle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la première « Google car » à emprunter une route ouverte était une Toyota Prius modifiée pour l’occasion : si le Nevada, le Texas, puis la Floride et la Californie ont été les premiers à en autoriser la circulation, c’était en autonomie limitée puisque la présence d’un conducteur restant pour l’instant obligatoire.

À ce jour, les driverless cars ont parcouru plus de 500 000 Km sans incident. À croire que l’ensemble des axes ont déjà été balisés par ces rails invisibles que sont les GPS, les capteurs de panneaux et de mouvement. L’ogre américain dispose d’outils de choix avec Google Earth, Google Maps et autres Google Street View. Au-delà des faubourgs américains, ce sont toutes les routes du monde qui ont été cartographiées ou sont en voie de l’être. Du parvis de Notre-Dame aux départementales du Mercantour, un véhicule de Google a roulé, filmé et tout enregistré. Sans oublier de collecter au passage, en plus des photographies, un volume inouï de données transitant par les réseaux sans fil Wi-Fi de particuliers, à leur insu. Or cette collecte par le biais des Google cars a permis à la société de développer une base de données de géolocalisation extrêmement performante. Offrant ainsi à la firme une position dominante dans le secteur des services de géolocalisation. Une étape déterminante pour le développement de ses voitures sans conducteur dans les années à venir, et un marché qui est estimé en centaines de milliards de dollars. En réponse à cette collecte sauvage, la France a pu compter sur la réactivité de la Cnil, qui dans une réponse « proportionnée » a condamné Google à une amende de… 100 000 euros.


La disruption, c’est maintenant

La question est maintenant de savoir quand cette technologie pourra être adoptée par le grand public. Au rythme des progrès annoncés, cet horizon se trouverait à cinq ans. Les prototypes s’insèrent aujourd’hui dans la circulation comme si de rien n’était, alors que les meilleurs d’entre eux peinaient à faire le tour d’une piste ovale en 2008.

Pourtant, de nombreux obstacles se dressent face à cette colonisation annoncée, au premier rang desquels se trouve le coût de la technologie. Il est estimé que les Toyota embarquent plus de 300 000 dollars de matériel à bord. Chaque innovation trouve ses early adopters, certes. Mais ce coup-ci la masse attendra que l’auto soit proposée à un prix plus raisonnable, sans que l’on sache quand ce moment arrivera. Et si l’enthousiasme suscité par la Google car est grand, la même somme vous permet tout de même de vous offrir une supercar. Voire un chauffeur. En tout état de cause, le renouvellement d’un parc automobile prend entre dix et quinze ans. Cela nous donne une idée du temps minimum qu’il faudra attendre avant de voir les familles françaises laisser à Google le soin de les conduire le long de la N7.

Un autre problème soulevé par les voitures sans conducteur est celui de la responsabilité des fabricants. Comme le souligne une étude de Rand Corp, les constructeurs seraient peu enclins à mettre en circulation des véhicules dont les accidents ne sauraient être imputables aux utilisateurs. Et pourtant, les innovations de sécurité apportées sur le marché sont nombreuses. Reconnaissance des panneaux, régulation automatique de la vitesse en fonction de la densité du trafic, freinage d’urgence ou encore anticipation d’un accident en aval sur la route… General Motors développe même un système de détection des piétons grâce aux signaux de leur smartphone : autant d’améliorations qui commencent déjà à équiper nos véhicules et qui rendent les trajets de plus en plus sûrs. Comme le rappelle l’étude de Rand Corp, la sécurité routière pourrait s’améliorer à un point tel que le nombre limité d’accidents fera baisser les primes et encouragera les assureurs à adopter la technologie.


Un modèle à inventer

Reste à savoir comment les voitures sans conducteur se déploieront, et sur quels marchés. L’adhésion des utilisateurs individuels dépendra en partie des incitations des pouvoirs publics. Un État pourra être séduit par les solutions offertes en termes d’optimisation du trafic. Plus il est fluide, moins les routes ont besoin d’être larges. C’est devenu un véritable enjeu pour le gouvernement chinois aujourd’hui, qui dépense un budget considérable en aménagement du territoire. Par ailleurs, les économies engendrées par les gains de temps suscitent l’intérêt des collectivités à travers le monde.

Plusieurs villes comme Las Vegas ou Ann Arbor dans le Michigan ont déjà fait l’objet d’études de marché pour la mise en place d’un système de gestion collectif du parc automobile. Le modèle existe déjà à Paris, où les Autolib sont partagées et en libre-service dans toute l‘agglomération. La prospective faite aux États-Unis pousse le projet un peu plus loin, les véhicules se conduisant et se répartissant seuls dans la ville. De la même façon que le groupe Bolloré pilote le projet Autolib à Paris, le modèle américain reposerait sur un financement privé. À en croire l’industriel français, la rentabilité du système est supérieure aux attentes et de nouveaux projets vont voir le jour ailleurs en Europe.


Quatre roues sous un smartphone

Convenons-en, en termes de connectivité le futur est déjà… banal. L’expérience utilisateur de l’automobiliste moyen se rapproche chaque jour un peu plus de celle de son smartphone : 45 millions de véhicules connectés étaient déjà en circulation dans le monde en 2011, un nombre qui devrait passer à 210 millions d’ici 2016 selon une étude du cabinet Oliver Wyman. L’accent mis sur les packages technologiques lors du dernier Mondial de l'auto est éloquent. En réponse aux demandes du public, tous les constructeurs y vont de leur innovation. Audi présente une A6 dont les systèmes d’assistance et les systèmes multimédias regorgent de fonctions désormais faciles à maîtriser. Peugeot équipe déjà ses 208 d’un écran tactile de 7 pouces donnant accès à un bouquet d’applications telles que la météo ou les Pages jaunes.

La majorité des innovations tendent à réduire l’intervention du conducteur au volant, et surtout à limiter ses erreurs. Tranquillement, nous nous laissons séduire et bientôt, nous nous laisserons conduire comme dans la superproduction de Steven Spielberg. Alors, il faudra se souvenir qu’il a aussi réalisé Jurassic Park, dans lequel des Jeeps automatisées tombent en panne devant l’enclos du tyrannosaure affamé.

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