Par Christian Roth, avocat associé, et Violaine Motte, avocat. rothpartners
Le droit français des procédures collectives est moins favorable au créancier que ses voisins occidentaux. Les réformes en cours montrent qu’un bon outil anti-crise doit reposer sur un subtil équilibre entre la prévention optimale de difficultés d’une entreprise pour assurer la survie de l’activité et des emplois et la protection efficace du créancier pour asseoir l’attractivité d’un marché.

La réflexion menée sur la réforme du droit de la faillite a mis en lumière la corrélation entre la faible protection du créancier en droit français et la faible capacité de financement de l’entreprise française, en comparaison avec d’autres pays occidentaux. Le droit français opère un rééquilibrage progressif pour s’aligner sur la législation des pays occidentaux voisins et de l’Union européenne.

Droit français de la faillite : ennemi n°1 du créancier ?
L’anticipation faite par les investisseurs avant un apport de financement, quant au sort qui leur est réservé in fine lors d’une procédure d’insolvabilité, serait la principale cause de leur frilosité. Au Royaume-Uni, le créancier a un droit de veto sur les décisions de restructuration du passif et il peut récupérer ses sûretés avant la fin de la procédure. Aux États-Unis, le débiteur présente fréquemment un plan de restructuration négocié avec les créanciers en amont de la procédure. Depuis la réforme du «?Chapter 11?» en 2005 en faveur des créanciers, ces derniers ont la possibilité de rejeter le plan de restructuration proposé par le débiteur et de faire une contre-offre, le pouvoir de négociation de chaque classe de créanciers étant directement fonction de leur rang dans le passif de l’entreprise. En Allemagne, l’accord des créanciers est requis pour toute restructuration du passif. La loi visant à faciliter le redressement des entreprises (ESUG), entrée en vigueur le 1er?mars 2012, a institué un comité provisoire de créanciers - créé au-delà de certains seuils (bilan, chiffre d’affaires, nombre de salariés) - participant à la désignation de l'administrateur de l'insolvabilité. Les créances peuvent désormais être converties en parts de capital de l'entreprise contre la volonté de l’associé. À l’inverse, le droit français des faillites donne la priorité, non au remboursement des créances mais à la poursuite de l’activité et au maintien de l’emploi, les actionnaires pouvant s’opposer à toute conversion des créances en action.

Réformes de l’UE pour un créancier mieux armé et protégé
Deux réformes en cours mettent de nouveaux outils à disposition du créancier européen qui se trouvera mieux armé et protégé en amont et en aval de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité de son débiteur. La proposition de règlement portant création d'une ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires (OESC) destinée à faciliter le recouvrement transfrontière de créances en matière civile et commerciale, a été amendée par le Parlement le 20?juin 2013. Deux conditions cumulatives sont prévues : une créance semblant bien fondée et l’existence d’un risque réel pouvant empêcher ou rendre sensiblement difficile l’exécution ultérieure en raison d’un risque permanent que le défendeur procède au retrait, à un acte de disposition ou à la dissimulation d’avoirs sur les comptes bancaires. Le Conseil a adopté une orientation générale le 6?décembre 2013, listant les points devant être approfondis avant adoption définitive du texte. Par ailleurs, la proposition de modification du règlement n°1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité prévoit des mesures permettant une meilleure information et protection des créanciers. Les principaux points amendés le 5?février 2014 par le Parlement en faveur des créanciers sont les suivants :
- Le créancier se trouvant dans un autre État membre pourra attaquer, non seulement la décision d’ouverture d’une procédure principale, mais également la décision de report ou de refus d’ouverture d’une procédure secondaire, dans les trois semaines suivant la publication.
- Les créanciers locaux pourront saisir la juridiction d’une procédure principale pour qu’elle enjoigne le représentant de l’insolvabilité de prendre les mesures s’imposant pour préserver leurs intérêts, voire solliciter des mesures conservatoires lorsque ce dernier semble incapable d’honorer ses engagements
- L’engagement pris par le représentant de l’insolvabilité de respecter les droits de répartition et de priorité des créanciers locaux dans la procédure principale tels qu’ils l’auraient été dans une procédure secondaire, sera exécutoire et opposable et devra apporter des précisions relatives à la procédure secondaire (répartition des créances, valeur des actifs
à distribuer, options pour réaliser
ces actifs…).
Ces avancées en faveur des créanciers étrangers sont fidèles à l’esprit du règlement, dont le considérant 21 prévoit le principe de «?l’égalité de traitement des créanciers?».

Ordonnance 2014-326 : rééquilibrage amorcé pour le créancier
En vertu de l’article 2 de la loi du 2?janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, le conseil des ministres a adopté le 12?mars 2014 une ordonnance portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives. Une place accrue est accordée au créancier. Le privilège de new money n’est pas élargi au mandat ad hoc, mais s’applique aussi aux apports consentis avant la conclusion de l’accord de conciliation et échappe désormais expressément à toute remise ou délai. Les créanciers ont la possibilité de proposer des plans alternatifs lorsque le débiteur n’est pas en mesure d’en présenter un lui-même. Le créancier négligent est présumé avoir déclaré sa créance lorsque le débiteur l’a portée à la connaissance du mandataire judiciaire. Présomption simple pouvant être renversée si le créancier déclare sa créance dans les délais requis et en modifie le quantum. L’omission d’un créancier sur la liste établie par le débiteur est un cas de relevé de forclusion automatique, le créancier ne devant plus établir le caractère volontaire de cette omission. Le délai d’action en relevé de forclusion est certes réduit d’un an à six mois pour le créancier placé dans l’impossibilité de connaître l’obligation du débiteur. Mais il court à compter, non plus de la publication du jugement d’ouverture, mais de la date à laquelle il est établi qu’il ne pouvait ignorer l’existence de sa créance. Cette disposition est nettement plus favorable aux créanciers qui découvrent l’obligation du débiteur très tardivement. Les avancées sont visibles, même si d’aucuns dénoncent une réforme avortée en raison de la renonciation à des mesures phares du projet, comme l’éviction de l’actionnaire ou la conversion de créances en actions contre l’avis de l’actionnaire. Il n’empêche, ce rééquilibrage permet d’augurer de meilleurs lendemains, en particulier pour l’investisseur étranger.

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