La direction de l'agence s'est rassemblée à Paris: l'occasion de plancher sur son positionnement ou encore sur la fusion avortée avec Omnicom.
Entretien croisé avec Tom Bernardin (chairman & CEO), Mark Tutssel (chief creative officer), Giorgio Brenna (CEO pour l'Europe de l'Ouest), et Jean-Paul Brunier (Président de Leo Burnett France)

Décideurs. L’agence fonctionne autour du concept Humankind. Comment influence-t-il votre approche du business ?
Mark Tutssel.
La créativité est plus importante aujourd’hui que jamais, ce sont les bonnes idées qui poussent les affaires et non l’inverse. Partant de ce point de vue, créer de la valeur pour les marques revient à leur apporter des idées puissantes. Humankind est la philosophie du groupe Leo Burnett. C’est le point de rencontre entre la créativité et le leadership. Elle puise ses fondements dans les personnes et leurs comportements. Notre but, en tant qu’agence, est de comprendre ces comportements. La publicité est, à raison, souvent perçue comme intrusive. Nous [publicitaires] ne disposons pas d’un droit d’attention de la part du public.

Notre principal concurrent n’est pas une autre agence mais la culture populaire. Ainsi la créativité n’est plus une option, elle est obligatoire. Sur la même idée, le meilleur canal n’est pas la TV, la presse ou la radio, ce sont les gens eux-mêmes. Nous le voyons de plus en plus, les gens s’impliquent dans leur vie de consommateur. Grâce aux réseaux sociaux, ils partagent, critiquent, relatent leur expérience avec les marques. Notre perception de la publicité n’est pas de vendre un produit, mais plutôt de trouver une connexion émotionnelle entre la marque et les gens.

Décideurs. Quel est le dénominateur commun entre tous vos clients ?
Tom Bernardin.
Nous avons les mêmes clients depuis de nombreuses années. Mais si vous analysez de manière plus pointue qui ils sont, vous remarquerez que ce sont tous des marques de la vie quotidienne : Kellogg‘s, Procter & Gamble, Fiat, Coca-cola, etc. Pour moi l’industrie de la publicité ne fait pas partie du monde des services. Nous partageons les mêmes valeurs, les mêmes buts et la même relation avec nos clients. Nous sommes donc plus proches d’un mariage ou d’une relation d’amour, avec tout ce que cela implique comme niveau d’exigence et de responsabilité. Si je m’avance encore un peu plus, je dirai que notre vraie valeur, tout comme celle de nos clients, vient des gens qui partagent un lien important. Nous travaillons continuellement pour trouver et renforcer ce lien.

Giorgio Brenna. On parle souvent d’avantages compétitifs. Bien sûr, la créativité est essentielle. Mais les gens et ce qu’ils ont à offrir sont sans doute le plus important de tout. Les gens sont notre sujet, ceux qui travaillent avec nous, avec nos clients. Nos clients sont des gens, les consommateurs aussi. La plupart des agences recherchent une notoriété et la plus grande visibilité, ce que j’appelle logo on the door. Chez Leo Burnett, vous pouvez être dans n’importe lequel des 84 pays où nous sommes présent, vous trouverez toujours cette approche Humankind, les personnes parlant le même langage et qui partagent un but commun : construire un monde meilleur. J’imagine que c’est pour cela que nos clients restent à nos côtés.

Décideurs. Quel est votre marché ? Celui de la publicité ou de la créativité ?
T. B.
D’un point de vue macro, il n’y a jamais eu meilleur moment pour travailler dans l’univers de la créativité. Aujourd’hui tout revient à une question de communication et de relation directe avec les clients. Qu’est-ce qui est important ? Parler aux gens. Nos annonceurs comprennent la valeur et la puissance de la créativité et Leo Burnett est classée dans les agences les plus créatives du monde. C’est notre fierté. (4ème réseau le plus primé selon le Gunn report 2013)

G. B. Les budgets publicités souffrent et les dépenses des annonceurs s’effondrent. Soit. Mais si l’on considère notre marché comme celui de la communication, on se rend compte que le potentiel de croissance est incommensurable. Nous avons plus d’un milliard de nouvelles personnes avec qui communiquer dans les pays émergents. Notre business model s’est donc déplacé de la publicité à la communication.

Décideurs. Regardez-vous l’arrivée des géants des technologies avec méfiance ?
M. T.
Google et ses confrères deviennent, sans doute possible, de plus en plus puissants, mais nous les considérons comme des partenaires plutôt que comme des compétiteurs. La créativité, la communication sont le résultat d’un mash-up entre différents métiers, certes, mais un mash-up dans lequel le contenu est la clé. S’il y a bien une chose que les gens retiennent c’est le message, et pas la tuyauterie (ou les canaux) qui le diffusent.

Jean-Paul Brunier. Nous sommes des obsédés de la créativité et Humankind est neutre en matière de canaux de diffusion. En revanche, nous refusons la créativité pour la créativité ou le buzz pour le buzz. Les gens doivent être fiers de pouvoir partager un message. Voici comment nous pouvons changer les comportements. Pour l’illustrer, je vous propose de revenir sur un cas client. Nous avons récemment travaillé avec Le Trèfle, une marque de papier toilette qui n’avait pas fait de publicité ou de communication depuis plus de vingt ans et dont les ventes s’effondraient. Voici ce que nous avons mis en place : une campagne TV adossée à une application Iphone « où sont les toilettes ? », ainsi qu’à une application Facebook « Spyapp » vous faisant croire que vous pourrez espionner vos proches. Ceux qui la téléchargeaient recevaient le vrai message : « occupez-vous de vos fesses ». Les résultats pour Le Trèfle : des ventes multipliées par trois et une application parmi les plus téléchargées pendant des semaines.

Décideurs. Leo Burnett a développé près d’une centaine d’agences à travers le monde. Quel sera votre prochain défi ?
T. B.
Nous n’avons pas pour objectif d’atteindre un nombre défini d’agences ou d’employés. Nous avons, au contraire, une forte volonté d’être certains que nos bureaux performent du mieux que possible. En trois ans seulement, nous sommes devenus la deuxième entreprise mondiale en matière de créativité. Nous sommes très souvent consultés grâce à l’excellence du travail fourni par nos agences. Nous n’aspirons donc pas à la quantité, vous l’aurez compris. Bien sûr, si des opportunités se présentent sur le marché, nous serons ouverts à des acquisitions dans le secteur des technologies, du shopper, du retail, des relations presse ou du divertissement. Mais nous n’avons pas à l’heure actuelle de cible spécifique.

Décideurs. En France, vous avez fait l’acquisition d’une agence digitale. Le fossé culturel n’est-il pas trop important ?
J.-P. B.
L’intégration de Mediagong, notre agence digitale, a pris plus de temps que prévu. Les disparités s’amenuisent à mesure que les créatifs sont intégrés aux équipes. Sans surprise, l’union totale ne commence qu’à partir du moment où les équipes gagnent des projets ensemble. Ça a été le cas récemment avec la campagne CNP Assurances.

G. B. Le plaisir de travailler ensemble et d’annoncer le gain d’un budget important est dû aux efforts des différents bureaux. Notre succès est basé sur le partage de la connaissance, de la créativité et bien entendu sur l’intégration totale. À l’échelle du monde, plus de 9000 personnes partagent l’esprit Humankind, c’est notre plus gros avantage. Ils sont les porte-paroles de Leo Burnett auprès de leurs clients, famille et amis.

Décideurs. Qu’attendiez-vous de la fusion Publicis-Omnicom? Comment voyez-vous la suite ?
T. B.
C’est une annonce qui est désolante mais qui finalement ne nous affecte que très peu. Pour être honnête nous n’attendions rien de particulier de la fusion. Nous avons déjà une très bonne maison mère avec Publicis et notre stratégie ne s’en trouve pas perturbée : toujours pousser la créativité. Je me dis finalement que cet échec aboutira sur une des choses très positives tant que nous assurons un leadership cohérent : un leadership qui inspire un profond respect, s’appuie sur une croissance et des valeurs saines quoi qu’il arrive. Je suis très optimiste pour le futur.

Propos receuillis par Pierre-Henri Kuhn & Hugo Weber (@hugo_weber)


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