Trois questions à François Bayrou, candidat du Modem à l’élection présidentielle de 2012, mardi 14 février depuis son QG de campagne, à l’occasion de la table ronde « dialogue autour du numérique », organisée par FrenchWeb.
Que représente pour vous l’Internet et le monde numérique ? Et comment le promouvoir ?

François Bayrou.
J’ai une longue histoire avec le numérique. Je suis l’auteur du premier journal numérique de France dans les années 1980, édité par un organisme, l’Office régional d’éducation permanente (Orep), à destination des agriculteurs. On pouvait ainsi rendre opérationnel un journal numérique qui donnait la météo, informait sur les endémies à venir, etc.
Je vois dans le numérique et dans l’Internet un saut de société et de civilisation. Il y a une pratique sociale, économique et intellectuelle qui dépasse de beaucoup la simple activité économique. Et le partage coopératif, non marchand, est la marque de fabrique de cet univers-là : il peut y avoir intérêt social sans intérêt marchand. Dans un monde aux ressources épuisables, la connaissance devient universelle.
La France est le pays avec le plus de vocations entrepreneuriales, mais le moins de passages à l’acte à la création. Les contraintes sont en effet innombrables et totalement inadaptées au milieu Internet et à l’activité en général. On pourrait imaginer une zone économique totalement autonome dans le monde Internet où l’on expérimenterait des règles mises en place par les créateurs d’entreprise. Le droit commun ne peut souvent pas s’appliquer dans ce domaine, il faut donc trouver des exceptions à ces règles, négociées entre les entrepreneurs et les représentants des salariés. Il faut également prévoir la possibilité de fixer des règles adaptées à l’activité elle-même. Par ailleurs, des règles de financement adaptées à l’activité elle-même doivent être élaborées. Oseo, s’il fait déjà beaucoup, pourrait très bien se comporter comme un fonds de fonds. Je propose pareillement qu’on harmonise les avantages fiscaux des business angels avec les avantages fiscaux d’autres intervenants comme les fonds structurés. On faciliterait ainsi le financement des start-up.


Comment produire en France avec l’Internet globalisé ?

François Bayrou.
La totalité de la protection sociale du pays (santé, retraite, famille, etc.) et la totalité de l’action publique du pays (éducation, sécurité, réseaux, etc.) sont financées à 100 % par le travail réalisé en France. Il n’y a pas un euro de transfert d’un autre pays européen vers le système de protection sociale et d’action publique. Par ailleurs, l’Europe ne peut fonctionner s’il y a des pays flambants et des pays boiteux. La localisation de l’activité n’est donc pas indifférente. C’est une question de vie ou de mort de notre modèle social. À titre d’exemple, si les cartes Vitale étaient fabriquées en France, et non en Inde, 50 % des salaires seraient revenus dans les caisses de la Sécurité sociale. Il ne faut pas contribuer ou aider à la production en dehors de notre pays.
La France est un pays où l’impulsion de la responsabilité publique est cruciale. Alors, certes, le mauvais côté de la médaille est un pays centralisé, mais le bon est un pays unifié par ceux qui le représentent. Ce qui s’est passé en 1958, lorsque de Gaulle avait à reconstruire le pays, se repose aujourd’hui. La culture du risque – et du risque de l’échec –, ainsi que la culture d’entreprise sont des enjeux très importants. Il faut réinventer cet élan-là.


Comment intégrez-vous Internet dans le dispositif de votre programme ?

François Bayrou.
Pour que les jeunes soient bien dans le monde Internet, il faut leur donner les composants d’une culture générale élémentaire. Par exemple, la question de la méthode de lecture doit être réfléchie de manière nouvelle car le clavier est lettre à lettre.
Le e-learning est de surcroît un très grand enjeu, à condition qu’il y ait aussi la présence humaine qui accompagne. Lorsque j’étais ministre de l’Éducation nationale, j’avais d’ailleurs demandé à ce que tous les cours du Collège de France soient en ligne.
Comment faire pour former aux métiers de l’Internet ? Il y a très peu de formations au e-commerce. Or, on sait au minimum que c’est là que l’avenir se jouera. Je ne suis pas certain que ce soit au système d’éducation traditionnel de tout faire et je pense qu’il peut y avoir des initiatives dans le monde de la formation. Mais au moins devrait-il y avoir une stratégie nationale sur le sujet. Je suis d’ailleurs persuadé que ce dont la France manque le plus, c'est d'une stratégie nationale !
Créer ne se divise pas. La création d’entreprise et la création, qu’elle soit économique, scientifique, culturelle, numérique ou artistique, c’est le même mouvement et le même acte créateur. Le problème en France est que la création n’est pas très bien vue. Un salarié qui découvre, dépose un brevet et fait donc gagner beaucoup d’argent à son entreprise, touchera une prime moyenne de 250 euros ! Alors que dans des pays voisins, la prime est de l’ordre de 10 % du gain réalisé par l’entreprise. Cela vient sans doute du fait que l’Éducation nationale est fondée sur la reproduction et la répétition : un exercice idéal ou un théorème adéquat.
Dans la réforme nécessaire de l’État et dans les économies indispensables, le numérique doit jouer un rôle fondamental. Il peut y avoir des administrations 100 % numériques, accessibles de n’importe où.

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