L’innovation et le marketing doivent se réinventer en se focalisant sur l’essentiel : le renouvellement de l’usage.
Face à une crise persistante, ébranlant les équilibres économiques et financiers, le marketing et l’innovation doivent creuser deux axes, complémentaires : l’innovation renversée et le renouvellement de l’offre.

La rareté, mère de l’innovation
De nouvelles populations, issues des pays émergents, accèdent à la consommation. Soit elles aspirent à rattraper leur retard par rapport aux classes moyennes des marchés plus matures, soit elles se placent à l’instar des classes pauvres – les plus nombreuses – dans une perspective utilitaire, engendrant du fait de leur dénuement une innovation pérenne et concentrée sur l’essentiel. De grands groupes internationaux s’installent sur ces marchés afin d’en capter l’inventivité fondée sur une compréhension exacte des besoins locaux. On citera GE qui a développé pour le marché indien un appareil à ultrasons portable, efficace, fiable et à bas coût, devenant par là-même l’un des leaders de ce segment en Inde. Le rapatriement et le succès de cet appareil sur un marché américain pourtant suréquipé a entériné la validité de la démarche dite d’innovation inversée.

Innovation inversée
Théorisée par Vijay Govindarajan(*) , celle-ci consiste à repenser la conception de produits ou services dans une optique non plus consumériste, mais utilitaire. En répondant à des défis de coût et en s’appuyant sur les besoins des populations les plus démunies, ces produits peuvent également dans un second temps créer un nouveau marché dans des pays matures, qui rejettent de plus en plus l’abondance et où la consommation est ralentie par une conjoncture défavorable. On mentionnera ainsi les verres développés par Essilor pour l’Inde, ouvrant le segment du verre économique en Europe, ou encore le projet d’une maison à 300 dollars autonome en ressources. Le « think global act local » retrouve son sens, mais revêt une perspective nouvelle. Les besoins de populations jusque-là délaissées deviennent de nouveaux relais de croissance sur des marchés saturés et entrent en résonnance avec les préoccupations et exigences croissantes des consommateurs des pays matures en matière de développement durable et RSE.

Les entreprises des pays émergents ont suffisamment à faire dans leurs propres marchés pour ne pas chercher, pour l’heure, à s’immiscer dans les marchés matures. Ainsi, si le spectre d’une future concurrence issue de ces pays apparaît, on n’y est pas encore. « Si Tata sait fabriquer une voiture à 3 000€, il saura probablement en fabriquer une à 7 000€, alors que nos constructeurs, à part sur certains produits comme la Logan ou probablement la prochaine voiture sortie des usines PSA, ne savent pas le faire. Bien entendu les normes de sécurité et de pollution composent une importante barrière à l’entrée, mais jusqu’à quand ? », interroge Bertrand Barré, fondateur de Zebra Company(**).

Renouveler l’offre
Selon ce dernier encore, « les marchés occidentaux ne connaissent d’innovation bien souvent qu’incrémentale ». Or, la montée en gamme prônée par le marketing classique, depuis en quinzaine d'années, n’est plus à l’ordre du jour, il lui faut se focaliser davantage sur le renouvellement de l’offre de base. D’autant que la multiplication des périodes de crise a entraîné une contraction de la consommation. Les entreprises qui ont su innover et marketer leur innovation sont celles qui ont ré inventé l’offre, comme Apple, EasyJet ou encore Starbucks. « Au lieu de ne changer que le moteur des voitures pour en faire un électrique, il faudrait réinventer l’automobile de manière à résoudre le problème croissant des embouteillages, travailler sur la gestion des flux autant que sur les énergies, car bientôt nous serons tous en voiture électrique, mais coincés dans les mêmes bouchons », suggère Bertrand Barré.

Augmentation de valeur
Le principe de ce nouveau marketing est simple : il s’agit de s’inspirer des démarches des plus pauvres, en revenant à l’essentiel pour répondre au besoin d’utilité. On relèvera ainsi l’assurance au kilomètre, fondée sur l’usage de la voiture et non pas sur sa seule valeur, ou encore l’essence Excellium de Total qui permet de faire plus de kilomètres avec la même quantité. Il ne s’agit pas d’une course à l’augmentation du prix, mais d’une recherche d’augmentation de la valeur.

Dans sa conception première, le marketing est l’art d’accompagner un produit ou un service dans sa mise en marché. Le marketing n’est pas fait que d’études ou de promotions, il est l’outil de la création d’un marché. Aussi la démarche d’innovation et celle du marketing sont-elles étroitement liées. Le marketeur doit s’associer au renouvellement de la démarche d’innovation, non pas en l’incrémentant, mais en l’accompagnant, en s’appuyant sur la redéfinition des usages.


(*) Professeur à la Tuck School of Business
(**) Agence d’accompagnement en Innovation. Bertrand Barré est l’auteur du livre ALL YOU NEED IS L.O.V.E. comment se réinventer sur des marchés saturés.



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