Animé d’une vision, Paulin Dementhon croit à l’avènement prochain d’une économie toujours plus collaborative. En se concentrant sur le marché de la location de voiture, cet ancien de HEC s’attaque à une oligarchie jusqu’alors indéboulonnable. Avec des prix défiants toute concurrence et une flexibilité hors du commun, sa plate-forme Drivy s’impose comme un acteur incontournable du paysage français et européen.
Décideurs. Du business model à la technologie Web sans oublier les contrats d’assurance : pensez-vous avoir quitté les turbulences des débuts pour entamer sereinement une phase d’expansion ?
Paulin Dementhon. Dans notre domaine d’activité, il est impossible d’affirmer que l’on est devenu indétrônable. Plus généralement, dans les milieux où l’innovation joue un rôle aussi prépondérant, les cartes sont redistribuées sans arrêt et la traversée de la vallée de la mort est sans fin. Malgré nos cinq années d’ancienneté, nous ne pouvons toujours pas nous targuer d’avoir atteint une phase où notre business est sécurisé. De nouveaux entrants avec une technologie plus performante peuvent renverser notre leadership à tout moment. Rester attentif aux moindres évolutions du secteur est fondamental pour conserver notre domination: « Only the paranoids survive », selon la formule d’Andrew Grove. Notre seule certitude est de ne plus être menacé par une entreprise proposant un modèle parfaitement identique au nôtre car notre avance est devenue trop considérable sur le marché.

Décideurs. Fin 2010, vous offrez une nouvelle impulsion à l’économie collaborative avec Drivy. Quelles influences ont pu avoir sur vous les moteurs du secteur comme AirBnB ou Blablacar ?
P. D. Leur influence a été très importante, et assez paradoxalement surtout celle d’AirBnB. Comme la firme américaine, la concentration sur l’utilisateur et l’évolution constante de notre outil Web sont essentielles. Autre point commun, la communication avec le client final doit être la plus claire possible pour à la fois expliquer notre modèle et rassurer les utilisateurs. Aujourd’hui, plus nous avançons, moins les exemples à suivre semblent pertinents. En créant un marché novateur, Drivy trace sa propre voie.

Décideurs. En quatre ans, vous comptez 600 000 utilisateurs sur le marché français. Comment expliquez-vous cette adoption rapide de Drivy par rapport à la multitude des concurrents initiaux ?
P. D. Les clés de la réussite sont mystérieuses. En portant nos efforts sur notre produit avant de nous éparpiller en dépenses annexes (marketing, communication…), la différence créée est qualitative. Ce produit devait être dès les premiers jours simple, rapide et centré sur l’utilisateur. L’innovation et l’amélioration perpétuelle de notre offre ont eu pour seul but d’éliminer les frictions entre loueurs et locataires. À partir de là, le bouche-à-oreille ne pouvait jouer qu’en notre faveur. Les clients séduits par le modèle de Drivy sont nos meilleurs ambassadeurs et 70 % de nos nouveaux clients ont été convaincus par leurs proches de sauter le pas.

Décideurs. Avec un concept aussi disruptif, quel accueil vous ont réservé les acteurs traditionnels du marché de la location de voiture ?
P. D. Le syndicat des loueurs professionnels de véhicules a commencé par voir notre arrivée sur son marché d’un mauvais œil. S’ils ont d’abord cherché à nous éliminer, le dialogue avec eux est devenu constructif car tout le monde peut y gagner. Les hauts dirigeants des loueurs bien établis considèrent notre offre comme une aubaine. Drivy renouvelle les codes du marché dans le seul but de faire gonfler la demande globale. Avant notre arrivée, la location de voiture était l’anomalie et la propriété constituait le standard. Nous croyons en l’inversion de ce modèle avec des effets prodigieux sur notre marché. Ces changements complets des usages bénéficieront également aux loueurs classiques. D’autant plus que nous n’avons pas vocation à ouvrir des centres physiques dans les hubs aéroportuaires ou à louer des véhicules en B2B.

Décideurs. Après le rachat de votre concurrent outre-Rhin, Autonetzer, quels sont vos prochains leviers de croissance ?
P. D.
La croissance externe, bien que médiatique, est assez mineure. Notre développement est essentiellement organique, fondé sur l’excellence et la fiabilité de service. La voiture, malgré ses détracteurs, demeure le moyen de transport indispensable pour conserver une liberté de déplacement optimale. Afin d’offrir des solutions alternatives à la propriété, l’effet écosystème est indispensable et la voiture est d’ores et déjà au cœur de changements majeurs. L’essor d’Uber, BlablaCar mais aussi l’utilisation en hausse des transports en commun et des véhicules en libre-service jouent un rôle primordial pour substituer un service fiable, agréable et de qualité à un système vieillissant fondé sur la seule propriété. Tout peut aller très vite et d’ici deux à trois ans, cette révolution des mentalités portera à n’en pas douter la croissance de Drivy.

Propos recueillis par Thomas Bastin

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