Par Guillaume-Denis Faure, avocat associé, et Paul L’Huillier, avocat. Winston & Strawn
Le mouvement d’expansion du droit de diffusion de brefs extraits d’événements sportifs, amorcé dans les années 1980, et qui avait atteint son zénith au moment de la publication de la délibération du 15?janvier 2013, va sans doute connaître un coup d’arrêt avec la future délibération du CSA qui s’annonce plus restrictive. Retour sur les principes en jeu et les conséquences prévisibles pour les acteurs du marché.

Dans le prolongement de la concertation décidée le 29?mai 2013 par le Conseil supérieur de l’audiovisuel, ce dernier devrait, au cours des premiers mois de l’année 2014, refondre sa délibération du 15?janvier 2013 et ainsi modifier les règles de diffusion de «?brefs extraits?» d’événements sportifs soumis à exclusivité par les chaînes non détentrices de droits. Les hostilités semblent donc avoir repris sur le sujet !

Droit à l’information contre droit d’exclusivité
Depuis la fin des années 1980, des tensions existent entre les détenteurs de droits exclusifs de retransmission sportive et les chaînes non détentrices de droits et ont donné lieu à un grand nombre de litiges. L’un d’entre eux notamment avait opposé TF1 à Antenne 2 à propos de la reprise d’images de football dans les journaux télévisés et dans le magazine hebdomadaire Stade 2. Par un arrêt du 15 juin 1989, la première chambre de la cour d’appel de Paris avait consacré un droit de citation en matière audiovisuelle (1). Après des tentatives de règlement conventionnel entre acteurs du marché, le législateur est intervenu sur la question avec la loi du 13?juillet 1992 qui a consacré en matière sportive le droit à l’information du public et la liberté de communication des chaînes. Cette loi autorise certaines émissions à reprendre, à titre gratuit, des extraits d’un événement sportif précédemment diffusé. Trois conditions doivent toutefois être respectées : l’émission reprenant l’extrait doit être une émission d’information, le cessionnaire des droits doit être clairement identifié et la durée des extraits ne doit pas excéder 1 min 30, sauf accord plus favorable dudit cessionnaire. Par ailleurs, l’article L. 333-7 du Code du sport définit un cadre général pour le droit aux brefs extraits de compétitions sportives et assure une information du public sur les événements sportifs marquant l’actualité. Même si après 1992 un équilibre semblait avoir été trouvé, la mutation du marché des droits médias sportifs et des diffuseurs eux-mêmes a nécessité une nouvelle intervention normative.

Une victoire (provisoire…) du droit à l’information
Face à l’apparition de nouvelles chaînes d’information en continu a surgi la question du rythme de rotation des extraits à l’antenne.?L’absence d’un décret d’application de l’article L. 333-7 du Code du sport, qui aurait permis notamment de définir la notion de «?brefs extraits?», et la jurisprudence fluctuante des tribunaux sur la question du droit de citation ont mis les acteurs dans une situation d’incertitude juridique. Cette situation a motivé une nouvelle intervention du régulateur et a donné lieu, d’une part, à la directive 2010/13/UE du 10?mars 2010, dite «?Services de médias audiovisuels?» et, d’autre part, à la loi du 1er?février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs qui a modifié l’article L. 333-7 du Code du sport en prévoyant une intervention normative du CSA sur la question. C’est dans ce cadre que le CSA, dans sa délibération du 15?janvier 2013, a fixé plusieurs règles. Premièrement, la diffusion des extraits doit avoir lieu après la fin de la première diffusion du programme du service détenteur des droits et doit assurer son identification. Deuxièmement, le droit d’accès à de brefs extraits d’une compétition sportive s’applique tant pour des retransmissions en direct que pour des résumés diffusés dans des magazines d’actualité lorsque les extraits se rapportent à une compétition qui n’a pas été retransmise en direct. Troisièmement, les images prélevées peuvent aussi bien être diffusées dans les journaux télévisés et les bulletins d’information réguliers que dans les magazines sportifs pluridisciplinaires ou uni disciplinaires, sous des conditions de fréquence et de durée, avec pour obligation supplémentaire que l’émission ne contienne pas majoritairement lesdits extraits et que ces extraits se rapportent à un minimum de trois compétitions d’un même niveau. Suivant la fréquence desdites émissions, des périodes de diffusion autorisées sont également définies par le texte. Enfin, la délibération fixe à une minute trente secondes par heure d’antenne et par journée de compétition ou d’événement la durée maximum des extraits.

Des perspectives de changement
Peu de temps après la délibération du 15?janvier 2013, une nouvelle équipe dirigeante, a été nommée à la tête du CSA et a entrepris un changement de cap, décidant d’ouvrir une consultation publique le 17?juillet 2013 portant sur divers aspects de sa délibération, en particulier la détermination du périmètre des émissions d’information au sein desquelles peuvent être diffusés des «?brefs extraits?». Dans le cadre de cette consultation, le ministre des Sports, Valérie Fourneyron, a adressé le 26?septembre 2013 au CSA une contribution dans laquelle elle rejoint l’avis des Fédérations et Ligues françaises qui avaient annoncé avoir introduit un recours contre la délibération devant le Conseil d’État et qui invoquaient une violation de la directive SMA. La volonté du Gouvernement semble en outre être axée sur une démarche de diversification de l’offre sportive et sur une incitation à la diffusion de programmes pluridisciplinaires, et donc à une limitation du droit de citation pour les émissions unidisciplinaires.

Vers une reprise des contentieux ?
Sur le marché phare que constitue le football, les annonces du ministre et du CSA ont fait l’effet d’une bombe. En effet, une limitation du droit aux brefs extraits n’aurait-elle pas pour conséquence directe de condamner le business model de programmes tels que Téléfoot qui, depuis que TF1 n’est plus titulaire des droits de la plupart des compétitions européennes, repose sur un recours systématique à des extraits de matchs dont les droits sont détenus par d’autres chaînes (principalement BeIN Sport et Canal +) ? Une restructuration des programmes et une revalorisation des lots contenant des droits de diffusion en différé d’extraits de compétitions seraient par ailleurs envisageables. Plus généralement, en assurant la primauté de l’exclusivité des diffuseurs titulaires de droit sur le droit à l’information, le CSA permettrait de sécuriser utilement les investissements des diffuseurs et donc de contribuer à inverser la courbe de diminution de la valeur des droits médias sportifs en France. Gageons, en tout état de cause, que les contentieux autour de cette notion ne sont pas près de s’éteindre !

1-CA Paris, 15 juin 1989, Antenne 2 c/ TF1 : RIDA janv. 1990, n° 143, p. 3, note P.-Y. Gautier



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