Par Danielle Elkrief, avocat associé, et Clément Walckenaer, avocat. CDE Avocats
L’immixtion d’Internet dans le secteur télévisuel contraint les télédiffuseurs à anticiper une révolution numérique que le législateur se doit d’accompagner. La TNT 2.0 constitue-t-elle à ce titre une véritable révolution ou ne s’agit-il que d’un mirage entretenant l’illusion que les éditeurs s’approprient enfin la TV connectée ?

Quels que soient le mode de connexion et le support (Smartphone, tablettes, consoles de jeux, Box des FAI, lecteurs DVD ou disques durs hybrides), la «?TV Connectée?» renforçant la convergence des contenus et le multitasking est effective pour les consommateurs qui accèdent en masse via Internet et sur leur écran tant à la télédiffusion traditionnelle qu’à des services non linéaires comme la VOD, la catch-up TV ou encore à des plateformes dénommées User Generated Content («?UGC?» tels que Youtube ou Dailymotion). Le flux broadcast entraîne une désintermédiation, source de saine inquiétude pour les éditeurs de services de télévision. L’irruption en effet des géants de l’Internet avec force de technologies, de contenus et de financement, qui captent leur clientèle usuelle, constitue un défi majeur tant économique que juridique d’autant plus puissant compte tenu du système de déresponsabilisation des nouveaux vecteurs de communication mis en exergue par le jugement non définitif TF1/Youtube rendu le 29?mai 2012 par le tribunal de grande instance de Paris. Ausssi, la TV connectée ou encore la Social TV ne peut fonder son essor que sur une cohabitation régulée entre les différents acteurs du marché au moyen d’une urgente harmonisation juridique et économique.

Le positionnement des éditeurs
Si les chaînes de télévision conservent un rôle central, la fragmentation des audiences et le piratage démultiplié entraînent une érosion du financement de la création que l’enrichissement des contenus et l’augmentation potentielle des recettes publicitaires ne suffisent pas à endiguer. Aussi, dès novembre?2010, les éditeurs soucieux de préserver le respect de l’intégrité de leur signal, leur 3 h 20 d’écoute quotidienne moyenne par individu, et la manne financière des revenus publicitaires en découlant, ont conclu une charte s’opposant «?à toute démarche visant à tirer profit de leurs programmes ou de leur audience en orientant les téléspectateurs vers d’autres contenus et services sans l’accord de la chaîne concernée?». Interventionnistes, les éditeurs s’approprient par ailleurs l’interaction en adoptant la norme commune HbbTV (Hybrid Broadcast Broadband TV) définie avec les fabricants et en offrant des contenus enrichis qui permettent sans quitter pour autant le programme visionné, d’acquérir directement le produit aperçu au cours d’une émission (Tcommerce), de conseiller ou commenter les programmes de son choix avec son réseau social, d’accéder à un contenu additionnel au-delà de la simple replay-tv (bandes annonces, clips). Ainsi de France Télévisions dès 2011 avec Roland Garros, ou en avril?2012, avec C dans l’Air sur France 5 (fiches descriptives, récapitulatifs, intervention en direct).

Une indispensable et urgente adéquation juridique
Il demeure que les éditeurs usuels peinent à définir un modèle économique viable au regard des contraintes juridiques liées notamment à la création. À la différence semble-t-il des sociétés comme Google et Apple ou encore des UGC «?sociétés hébergeant des plateformes d’échanges de contenus […] nouveaux vecteurs de communication qui comme tous les nouveaux opérateurs arrivant sur un marché, ont capté une part des recettes publicitaires comme l’ont fait auparavant les sociétés de télévision qui ont contraint la presse papier, les radios et le cinéma à partager les recettes publicitaires?», et qui échappent de par leur extranéité et/ou au prétexte d’un statut d’hébergeur, à ces mêmes contraintes, source de l’exception culturelle française. Dans ce contexte, une régulation du système juridique et fiscal (cf. taxe Google) aux fins d’harmonisation effective entre les acteurs appelés à cohabiter s’impose avec force et urgence, les différentes tentatives relatives en particulier au placement de produits ou encore aux règles entourant la diffusion d’œuvres cinématographiques étant sans nul doute insuffisantes. À cet égard, doit être saluée l’initiative de l’Asic qui s’est prononcée pour le développement d’une «?offre légale riche?» sur les plateformes de vidéos et en faveur d’une «?ère de coopération forte?» entre les plateformes et les ayants droit.

Une prise de conscience des pouvoirs publics
Comme admis par le CSA, la réglementation applicable a été élaborée «?dans un univers audiovisuel très différent de celui d’aujourd’hui, notamment en raison du développement des services à la demande, de la télévision connectée ou des consommations "nomades"?». Aussi et parallèlement à la remise en 2011 des Rapports «?Les perspectives du secteur audiovisuel à l’horizon 2015?» de D. Richard et «?La télévision connectée?» de Messieurs Candilis, Lévrier, Manigne, Rogard, Tessier sollicités par le gouvernement, une Commission de suivi des usages de la télévision connectée a été mise en place dès février?2012 afin de surveiller la qualité des programmes, le financement de la création nationale et européenne et la protection des téléspectateurs. Quotas de diffusion, concentration des médias, restrictions publicitaires, financement de la production audiovisuelle, taxation des éditeurs de contenu, statut d’hébergeur, etc., autant de chantiers à trancher vite pour rationaliser l’économie du secteur. À l’heure de la mise en bière de la TMP, la TV connectée offre d’infinies possibilités qui restent à saisir. Forcer à leur avantage cette dynamique et ces nouvelles opportunités nécessite notamment pour l’ensemble des intervenants que les instances internationales révisent rapidement la réglementation applicable. Si les diffuseurs traditionnels doivent innover davantage pour rattraper un retard quasi fatidique, la LCEN devra nécessairement être actualisée, sauf à maintenir indûment une protection excessive de certains opérateurs au mépris des réalités économiques et technologiques, éléments essentiels gravement sous-estimés par les juges.



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