Le directeur de l'École d'informatique 42 revient sur l'ambition de son établissement.
Décideurs. Le développeur est-il en passe de devenir pour les entreprises un pilier de leur business futur ?
Nicolas Sadirac. L’économie de demain sera tellement interactive que posséder des compétences en développement sera une évidence dans la plupart des corps de métiers. L’entreprise Melty, créée par un de mes anciens élèves, est un bon exemple de l’alliance d’un secteur, les médias, avec le digital. Les prochaines générations coderont comme nous résolvons des équations mathématiques. Notre école est déjà en discussion avec Sciences-po pour créer des modules informatiques qui seront intégrés au sein des formations existantes.

Décideurs. L’ambition de l’école 42 est-elle de se substituer au système éducatif français ?
N. S. L’ascenseur social est en panne. De nombreux talents sont sur la touche. En France, la création de valeur se fait avec seulement 20 % de la population, c’est problématique. Notre ambition vise avant tout à jouer la carte de la diversité. Notre recrutement est totalement ouvert et s’affranchit des carcans sociaux et des a priori. Nos étudiants ont vocation à progresser et avancent à leur rythme pendant leur formation.

Décideurs. Pourquoi avoir opté pour des méthodes de recrutement atypique ?
N. S. Il est primordial de ne pas laisser de côté les talents exclus du système éducatif français. Pour rejoindre nos rangs, pas besoin de baccalauréat ni dossier de sélection. Seulement deux critères : avoir entre 18 et 30 ans et un certain talent en informatique. Soixante-dix mille candidats se sont présentés en 2013. Pour détecter les talents de demain, notre sélection doit être irréprochable. C’est pourquoi, nous évaluons lors d’une première phase les capacités cognitives du candidat, un précieux indice sur son aptitude à relever des challenges. Les étudiants reçus se soumettent ensuite à l’épreuve dite de la « piscine ». Nous testons alors leur endurance et leur persévérance pendant quatre semaines et à raison de quinze heures par jours à plancher sur des problématiques informatiques. Cette méthode de sélection vaut tous les entretiens du monde.

Décideurs. Vous revendiquez que les étudiants n’auront pas de CV à rédiger en sortant de l’école. Comment seront-ils recrutés ?
N. S. La balle est dans leur camp. Les entreprises les attendent. La plupart de nos étudiants sont déjà embauchés alors qu’ils passent encore leurs diplômes. Le marché est en forte demande. Pour vous donner un ordre d’idée, les stages ont été mis en place en mai dernier et l’école a déjà reçu 1 500 demandes pour seulement 550 étudiants disponibles.

Décideurs. Comment expliquez-vous la bataille que se livrent les entreprises dans le recrutement des développeurs ?
N. S. L’émergence du numérique révolutionne les business models. Aujourd’hui, les entreprises ont toutes besoin d’un développeur. Elles ont pris conscience que leur site internet est une vitrine lucrative susceptible de leur apporter des gains de part de marché. Le développement est donc le pivot de leur croissance. Plus le site internet est fonctionnel, attractif, simple et pratique, plus le chiffre d’affaires de la société grimpe. C’est la magie de l’effet multiplicateur.

Décideurs. Pourtant en France, les salaires des développeurs ne sont pas mirobolants…
N. S. Comparé aux États-Unis, où la grille de salaires est deux à trois fois plus élevée, elle est anormalement basse dans l’Hexagone. Les développeurs sont tout de même payés plus cher que les ingénieurs, une tendance qui ne se vérifiait pas il y a 20 ans. En 2009, le salaire plafond était de 50 000 euros par an. Aujourd’hui, les meilleurs sont rémunérés 100 000 euros par an.
Petit à petit, les mentalités évoluent en France grâce à des acteurs majeurs comme Vente-privée ou Free qui contribuent à l’essor du numérique. Les développeurs sont au cœur de ce dispositif. Si dans les années à venir le système français persiste à bloquer l’évolution de leur salaire, la France sera confrontée à la fuite de ses cerveaux digitaux. Un nombre important de start-up françaises sont déjà installées en Californie. Il faut veiller à ne pas disparaître du paysage digital mondial.

Décideurs. Florian Bucher, le directeur adjoint de l’école 42, répète volontiers votre extraordinaire capacité à passionner les jeunes. Est-ce le secret de la réussite de votre formation ?
N. S. C’est surtout l’implication de l’étudiant qui compte. À l’école 42, il n’y a pas de professeurs, pas de classes, pas de promotions ni de temporalité. On commence et termine la formation quand on le souhaite. Nous adaptons nos méthodes d’apprentissage et corrélons celles-ci à la notion de plaisir. Bien loin de la pédagogie du système éducatif français, c’est le côté ludique qui prime à l’école 42.

Propos recueillis par Camille Drieu.

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