Par Sarah Bailey, of counsel, et Frédérique Potin, avocat. Simmons & Simmons
Les laboratoires pharmaceutiques doivent régulièrement faire face à la question du maintien des marques qu’ils ont enregistrées en amont de la mise sur le marché d’une spécialité pharmaceutique. L’obligation légale qui s’impose à eux de soumettre la spécialité à des essais cliniques avant sa mise sur le marché est-elle suffisante pour constituer un «?juste motif?» de non-usage ?

Au sein de l’Union européenne, l’usage d’une marque dans le cadre d’essais cliniques ne sera pas considéré comme un «?usage sérieux?» de la marque, ainsi qu’il en a été décidé dans la décision de la Division d’opposition n° 421/1999 en date du 1er?juillet 1999, Mucos c/Genzyme. Cependant, le fait que la mise sur le marché du produit pharmaceutique sous la marque concernée soit retardée en raison des exigences de la conduite d’essais cliniques peut, sous certaines conditions, constituer un «?juste motif pour non-usage?». Cette approche trouve son fondement dans l’article 19 (I) de l’accord sur les ADPIC1 qui dispose que «?s'il est obligatoire de faire usage d'une marque de fabrique ou de commerce pour maintenir un enregistrement, l'enregistrement ne pourra être radié qu'après une période ininterrompue de non-usage d'au moins trois ans, à moins que le titulaire de la marque ne donne des raisons valables reposant sur l'existence d'obstacles à un tel usage. Les circonstances indépendantes de la volonté du titulaire de la marque qui constituent un obstacle à l'usage de la marque, par exemple des restrictions à l'importation ou autres prescriptions des pouvoirs publics visant les produits ou les services protégés par la marque, seront considérées comme des raisons valables justifiant le non-usage?».
Comme le précise le texte de l’accord, seules les situations qui sont indépendantes du titulaire de la marque sont susceptibles de constituer un juste motif pour non-usage. Dans ce cadre, les essais cliniques qui, comme cela résulte d’obligations légales s’imposant au titulaire de la marque, doivent être conduits avant obtention d’une autorisation de mise sur le marché, doivent être considérés comme étant des circonstances indépendantes du titulaire.
Il ressort cependant des décisions de l’OHMI et de l’approche de certaines juridictions nationales que la reconnaissance d’un «?juste motif pour non-usage?» résultant de la conduite d’essais cliniques demeure difficile à obtenir, comme vient de l’illustrer la 2e Chambre de recours de l’OHMI dans sa décision du 6 février 20142 qui confirme la décision de la Division d’opposition. Dans cette affaire, l’opposant avait fourni différents documents démontrant que les essais cliniques avaient été requis pour un médicament spécifique dans différents pays de l’UE, que l’autorisation de conduire les essais avait été octroyée et qu’ils avaient également participé à diverses expositions. Les essais cliniques ayant été conduits avant l’autorisation de mise sur le marché, comme on peut s’y attendre en pareil cas, aucun document ne faisait référence explicite à la marque destinée à être apposée sur le produit.
La Division d’opposition a considéré que les documents étaient insuffisants pour établir l’intention d’usage de la marque en rapport avec les produits de l’opposant étant donné que la documentation ne faisait référence qu’à la molécule active. Bien que la Division d’opposition ait (de façon confuse) basculé d’une analyse des justes motifs pour non-usage à une analyse de preuve d’usage sérieux, sa décision a été confirmée par la 2e chambre de recours qui, tout en semblant considérer que les éléments relatifs aux justes motifs sont insuffisants, n’en tire pas clairement les conséquences puisqu’elle ne conclut que sur le défaut de preuves d’usage.
Il est toutefois intéressant d’examiner l’analyse effectuée par la Chambre de recours. Cette dernière confirme, d’une part, que l’obligation légale de soumettre les produits pharmaceutiques à des essais cliniques constitue bien un obstacle indépendant de la volonté du titulaire. Elle indique cependant qu’il ne ressort pas de la doctrine ou de la jurisprudence que cette obligation légale constituerait en elle-même un juste motif de non-usage. Il convient en effet que les obstacles objectifs à l’usage de la marque aient un lien suffisamment étroit avec la marque, rendant ainsi son usage impossible ou déraisonnable. Dans le cas d’espèce, la Chambre de recours souligne un manque d’information sur les procédures nationales alors que c’est au titulaire de produire des preuves claires et certaines. La Chambre relève que l’usage sérieux ne peut être prouvé que par des éléments solides et objectifs propres à établir un usage effectif et suffisant de la marque sur le marché concerné. Or, le même raisonnement doit être suivi, même encore plus strictement, pour les preuves nécessaires à établir des justes motifs de non-usage.
Au niveau national également, s’appuyer sur des essais cliniques afin d’établir un juste motif pour non-usage peut s’avérer difficile. Ainsi, en Allemagne, dans l’affaire GRUR, 1999, 1002 – Sapen II, la Cour fédérale des brevets a refusé une justification de non-usage d’une marque enregistrée vingt-cinq ans auparavant car le titulaire n’avait pas été suffisamment actif pour faire progresser les deux procédures d'agrément des produits pharmaceutiques concernés, qui avaient été lancées au cours de la période de vingt-cinq ans.
Par contre, la position en France semble moins contraignante pour les laboratoires pharmaceutiques. En effet, les décisions existantes en la matière ne font pas transparaître de difficultés particulières pour faire reconnaître un juste motif pour non-usage, dans la mesure où le titulaire démontre que des essais cliniques ou des demandes de mise sur le marché sont en cours. C’est la position qui ressort des décisions rendues par le Tribunal de grande instance de Paris (1er?juin 1999, SA Almonda Socieadade Gestora de participacoes Sociais c. Opferman Arzneimittel GmbH ) ou les cours d’appel (cour d’appel d’Orléans, 13?février 2003, A. Deschamps c. SA Mermet).
En conclusion, bien que les obligations réglementaires qui s’imposent au laboratoire pharmaceutique préalablement au lancement de son produit puissent effectivement constituer un obstacle à l’usage de la marque, qui est indépendant de la volonté de son titulaire, les tribunaux nationaux (à l’exception de la France) ou les offices de marque restent très exigeants quant aux preuves de «?juste motif?» devant être rapportées par le titulaire. Les titulaires de marques doivent ainsi être en mesure de démontrer leur comportement actif dans les essais ainsi que leur intention d’usage de la marque une fois que les essais ont abouti.

1 Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce – Annexe C1 de l’Accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce du 15 avril 1994
2 Décision de la 2e Chambre de recours de l’OHMI en date du 6?février 2014, Onyx Pharmaceuticals Inc/Almirall S.A. – Affaire R1157/2013-2 – Décision d’opposition du 25 Avril 2013 – Opposition No B 1 890 899.



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