Par Nicole Bondois, avocat associé et Amélie Capon, avocat. BRM
Jusqu’à récemment confinée aux entreprises de pointe, l’imprimante 3D, qualifiée de troisième révolution industrielle par le président américain Barak Obama, se démocratise. Cet accès du grand public à la fabrication en trois dimensions suscite de nombreuses interrogations notamment au regard des droits de propriété intellectuelle. Notre arsenal législatif est-il adapté à cette nouvelle technologie ?

Née dans les années 1980, la technologie de l’impression 3D ou fabrication additive est relativement ancienne et bien connue des industries de l’aéronautique et de l’automobile qui l’utilisent essentiellement pour le prototypage. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est l’intérêt croissant suscité par cette nouvelle technologie tant auprès des industriels que des créateurs et des consommateurs. L’imprimante 3D permet ainsi la fabrication d’objets très divers tels qu’un jouet, une maison ou un organe du corps humain par superposition ou addition de matière plastique, métaux… Les applications de l’impression 3D sont quasiment illimitées. L’impression 3D réalise ainsi l’objet tridimensionnel à partir d’un fichier numérique créé par l’internaute, mis à disposition par une plate-forme de téléchargement ou à partir du scan en 3D de l’objet. Chacun peut dès lors s’improviser fabricant, démultipliant ainsi les risques d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle des créateurs et inventeurs.
L’impression 3D fait, en effet, intervenir de nombreux prestataires dans la chaîne de production de l’objet : le concepteur du logiciel CAO, la plate-forme de téléchargement des fichiers permettant l’impression en 3D, l’imprimeur de l’œuvre, le fabricant et le vendeur de l’imprimante 3D, les fab labs, l’utilisateur…
Devant la multiplicité des acteurs concernés et la prolifération de copies invisibles, d’aucuns prédisent la fin du monopole des auteurs et des inventeurs. Qu’en est-il réellement ? Les auteurs/inventeurs disposent-ils des moyens de lutter efficacement contre la reproduction à grande échelle de leurs œuvres ?

La reproduction effectuée à titre privé par l’internaute
Se pose la question de la licéité du fichier au regard de la propriété intellectuelle. En d’autres termes, l’internaute peut-il librement reproduire une création sans obtenir au préalable l’accord de son auteur ? Tout dépend en réalité de la provenance du fichier :

- si le fichier a été acquis licitement auprès de l’auteur, l’internaute pourra librement le reproduire sans craindre de sanction en contrefaçon et bénéficier de l’exception de copie privée. Cette exception suppose toutefois que l’internaute se limite à un usage privé du fichier et non à un usage commercial, prohibé par les textes. Pour autant, la facilité de reproduction combinée à la démocratisation de la technologie de l’impression 3D met à mal le mécanisme de la copie privée qui ne doit pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

- si le fichier numérique a, en revanche, été obtenu en fraude des droits de l’auteur ou mis à disposition sans son autorisation, l’internaute tout comme le responsable de la plate-forme pourront voir leur responsabilité engagée au titre de la contrefaçon.
La mise en ligne de fichiers numériques n’est pas sans rappeler la numérisation des contenus musicaux et la problématique du téléchargement illégal, comme celle de la juste rémunération des auteurs.
Les droits de propriété industrielle (brevet, dessins et modèles et marques) prévoient également des exceptions pour les actes accomplis dans un cadre privé et à des fins non commerciales, peu important la licéité de la source.

La reproduction effectuée dans le cadre professionnel
Toute utilisation d’une œuvre protégée au titre du droit d’auteur en dehors de la sphère privée constitue une contrefaçon. Ainsi, la numérisation 3D tout comme l’impression d’une création mettent en œuvre le droit de reproduction de l’auteur et doivent donc être préalablement et expressément autorisées par ce dernier. La mise en ligne de fichiers sans l’autorisation de l’auteur constitue aussi une atteinte à son droit de représentation.

Le droit moral de l’auteur sera également mis à mal lorsque la reproduction par impression 3D, pourtant autorisée par l’auteur, est de médiocre qualité ou imprimée dans une matière ou une couleur différente de celle de l’œuvre initiale.
En droit des marques, pour que la contrefaçon soit constituée, il est nécessaire de démontrer que l’objet imprimé revêtu de la marque donne lieu à un usage dans la vie des affaires pour les produits et/ou services visés au dépôt.
En droit des brevets, la mise en ligne de fichiers numériques, le scan ainsi que la duplication d’un objet breveté par le moyen d’une impression 3D seront qualifiés de contrefaçon dès lors qu’ils interviennent dans un contexte commercial et que les éléments essentiels de l’invention sont reproduits. À ce titre, la responsabilité des internautes mettant en ligne des fichiers d’objets brevetés, de même que les imprimeurs et sociétés vendant ces objets pourra être engagée, selon le cas en qualité de contrefacteurs indirects ou directs. En matière de dessins et modèles, seule est punissable au titre de la contrefaçon la fabrication d’objets protégés. Sont donc exclus de la contrefaçon, la création de fichiers numériques reproduisant des objets protégés, le téléchargement de tels fichiers ou leur diffusion non autorisés dans la mesure où il n’y a pas, à proprement parler, de reproduction matérielle du modèle protégé.

Les solutions pour se prémunir contre la contrefaçon
Pour éviter d’être poursuivi en contrefaçon, il est recommandé aux imprimeurs, aux plates-formes collaboratives et aux fab lab et autres intervenants professionnels de l’impression 3D d’insérer dans leurs conditions générales de services ou tout autre document contractuel une clause par laquelle l’utilisateur leur garantit que le fichier utilisé ou imprimé :

- résulte de sa propre création,
- ou est libre de droit,
- ou a fait l’objet d’une cession de droits à son profit.

Il est également conseillé au titulaire de droits d’auteur d’incorporer, dès la création de fichiers CAO, des mesures techniques d’information sur le régime des droits afférents à son œuvre.
De la même façon, afin de lutter contre un contrefacteur quasiment invisible, on peut lui suggérer aussi de protéger ses créations par le biais de dispositifs numériques permettant de contrôler la reproduction de ses œuvres et d’effectuer une veille de l’usage de ses créations sur Internet, pour éviter qu’elles ne soient dupliquées à son insu.

Ainsi, les créateurs disposent de moyens pour lutter efficacement contre les atteintes portées à leurs droits de propriété intellectuelle par la démocratisation de l’impression 3D, même si certaines adaptations seront nécessaires dans l’avenir.

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