Plus loin, plus fort et surtout plus concret que l’ISR, l’investissement à impact devient inéluctable pour passer des intentions à l’acte. Les investisseurs institutionnels l’ont bien compris. Tour d’horizon de ce nouvel eldorado avec Riccardo Stucchi, Country Manager, France, Co-Head of Private Markets, EMEA chez Russell Investments.

 

Décideurs. Comment abordez-vous l'investissement à impact, et en quoi se différencie-t-il de l'ISR ?

 

Riccardo Stucchi. Russell Investments couvre les actifs privés depuis les années 1970. Ceux-ci représentent aujourd’hui 20 milliards de dollars d’encours sur les 300 milliards au total. La stratégie impact, que nous avons lancée en 2015 pour un investisseur institutionnel, en est l’une des stratégies phares, aux côtés des infrastructures, du crédit, de l’immobilier et du private equity. Cette approche tout d’abord locale pour un fonds de pension néerlandais s’est transformée en stratégie globale et s’étend jusqu’aux marchés émergents, sur des thématiques planétaires.

 

"Ce qui distingue l’impact de l’ISR est le fait d’être plus libre dans les critères ESG"

Nous nous concentrons sur trois axes principaux et structurels, que sont l’inclusion financière, la santé et la transition énergétique, des segments qui nous permettent de couvrir 15 des 17 objectifs de développement durable de l’ONU.  Ce qui distingue l’impact de l’ISR est le fait d’être plus libre dans les critères ESG et de pouvoir choisir des éléments pertinents et qualitatifs pour nos clients plutôt que de suivre une taxonomie prédéfinie, voire rigide.

 

Donnez-nous quelques exemples de projets soutenus.

 

Dans la santé, l’idée est de surfer sur la lame de fond de l’augmentation de l’espérance de vie et du vieillissement de la population. Nous axons notre stratégie sur l’accès facilité à moindre coût aux services de santé, les traitements innovants, les services numériques. Cela a permis de toucher 2,5 millions de personnes. Au Royaume-Uni, nous avons investi dans une société visant à aider des employés à réintégrer le marché du travail post-Covid, avec notamment un soutien psychologique. Dans le domaine de l’inclusion financière, Russell Investments a soutenu une société indienne de financement aux entrepreneurs et très petites entreprises, un exemple concret de combinaison d’objectifs financiers et d’impact dans un pays émergent.

 

"Nous arrivons grâce à nos projets à servir près de six millions d’individus"

Pour ce qui est de la lutte contre le réchauffement climatique, nous investissons dans les énergies renouvelables, l’économie circulaire, les cycles courts… Par exemple, une société américaine de recyclage de pneus qui transforme la matière en terrains de sport ou jardins publics entre autres, et qui permet de retirer des routes l’équivalent de 200 000 véhicules par an. Au total, nous arrivons grâce à nos projets à servir près de six millions d’individus.

 

Parlez-nous de votre processus d’investissement

 

Notre processus repose sur un cadre d’investissement rigoureux, logique, de type top down, et structuré en quatre étapes. Tout d’abord le sourcing, en allant chercher les meilleurs gérants spécialisés et en diversifiant intelligemment les facteurs de risques. Ensuite la due diligence, c’est-à-dire l’évaluation de l’impact et de l’opportunité d’investissement. Puis la construction de portefeuille, et enfin le suivi en aval avec un reporting impact consolidé et des données agrégées. L’intérêt de notre approche est d’assurer une cohérence au niveau de l’origination, de la sélection de gérants et du reporting. C’est un gage de simplicité opérationnelle et de lisibilité pour les investisseurs.

 

Quelle est la demande justement sur ce type d’investissement ?

 

Nous pensons que le thème de l’impact va dominer la société. Aujourd’hui ce sont les investisseurs institutionnels, précurseurs par ailleurs, qui embrassent largement le sujet, pour des raisons de gouvernance et de responsabilité sociétale : les assureurs, caisses de retraite, fonds de pension, mais également les entreprises privées. L’engagement du monde institutionnel et des grandes sociétés reflète leur ambition de "rendre à la société". Les particuliers se tournent davantage vers l’ISR traditionnel. Le monde de l’ESG devrait évoluer naturellement vers l’impact.

 

Quels sont les risques liés aux investissements à impact ?

 

Nous restons dans la catégorie des stratégies illiquides, composées chez Russell Investments de 70 % de private equity, principalement en buyout, et de 30 % d’infrastructure qui est un élément majeur des projets environnementaux et de l’accompagnement vers la décarbonation. Tous les critères ESG et d’impact sont des facteurs clés dans la maîtrise des risques. Ce sont en particulier des stratégies de long terme, avec les problématiques que cela suppose. Lorsque l’on s’engage sur une dizaine d’années, il est difficile de quantifier et de prévoir de façon certaine les risques extra-financiers.

 

Comment voyez-vous l'évolution de l'investissement à impact au cours de la prochaine décennie ?

 

Les investissements à impact vont devenir une base constante de toutes les stratégies. Aujourd’hui, l’Article 8 SFDR est la norme. Cette tendance va continuer de progresser, et plutôt vers l’impact que vers l’Article 9. D’autre part, il ne faut pas oublier que les investisseurs ont un objectif de rendement financier.

 

"Nous ciblons dans notre stratégie à impact 12 % à 14 % de TRI net"

Nous ciblons dans notre stratégie à impact 12 % à 14 % de TRI net, avec des cas allant bien au-delà comme cette ferme solaire aux Pays-Bas dont nous sommes sortis avec un TRI de 111 %.

 

Quels sont les facteurs qui pourraient accélérer la croissance de l’investissement à impact ?

 

Un cadre réglementaire favorable, le soutien politique et des avantages fiscaux permettraient de favoriser ces stratégies, avec en particulier des mesures d’incitation fiscale pour soutenir des projets sociaux et environnementaux. La tendance politique sur les infrastructures indique 1000 milliards de dollars d’investissement nécessaires d’ici à 2050 afin de limiter l’augmentation de température à 1,5 °C. Le potentiel est phénoménal, les opportunités sont là. Les planètes sont alignées et les initiatives se multiplient.

 

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