Gabriel Attal, alors ministre du Budget, annonçait en mai 2023 un plan de lutte contre la fraude fiscale pour "faire payer ce qu’ils doivent aux ultrariches et aux multinationales qui fraudent". Entre volonté de transparence fiscale et celle de remplir les caisses coûte que coûte, la politique de l’administration française est finalement paradoxale. Retour sur une attitude à "deux poids deux mesures".

Le marronnier de Bercy ? Chaque gouvernement manœuvre, parfois avec succès, pour traquer les entreprises ou les particuliers qui tentent de duper l’administration fiscale française. Différents scandales, politiques notamment, alimentent régulièrement l’instauration de nouvelles mesures pour faciliter les contrôles fiscaux et garantir plus de transparence. L’affaire Cahuzac en 2012 avait par exemple mis en évidence la nécessité de supprimer le dispositif du verrou de Bercy, une mesure mise en œuvre par le gouvernement suivant.

Verrou de Bercy à la trappe

Censé protéger les contribuables contre de potentiels abus de l’administration fiscale, ce mécanisme consistait à subordonner le déclenchement de poursuites pénales pour fraude fiscale par le procureur de la République au dépôt d’une plainte de l’administration fiscale et à un avis conforme de la Commission des infractions fiscales. Après l’affaire qui a abouti à la mise en examen de l’ancien ministre du Budget, ce fameux verrou est apparu comme un obstacle à la justice et à l’égalité entre les citoyens, mais aussi à la séparation entre les pouvoirs ainsi qu’à la liberté de poursuite des tribunaux.

En 2018, ce dispositif est finalement supprimé. Depuis, pour toute affaire dont les montants d’impôts éludés sont supérieurs à 100 000 euros et 50 000 euros pour les personnes soumises à la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP), le dossier est automatiquement transmis au tribunal pénal. Une réforme qui va dans le sens d’une plus grande transparence mais qui ouvre aussi la voie à des dérives.

Menaces agressives de pénalités

Cet amendement de la réglementation fiscale se heurte à une autre volonté de l’administration, celle de remplir les caisses après deux années de pandémie entre 2020 et 2021, qui ont mis à l’arrêt les contrôles fiscaux. Un avocat d’un cabinet parisien, est catégorique : "Le plan de lutte contre la fraude fiscale fixé par Matignon est clair, les objectifs fixés aux agents le sont aussi. Il faut remplir les caisses de l’administration fiscale et il est donc plus difficile de parvenir à un accord avec eux." En outre, le seul fait d’engager des négociations mettraient les contribuables dos au mur en les menaçant d’une majoration de 40 % de leur redressement et d’un passage au pénal s’ils n’acceptent pas la décision du gendarme fiscal.

"Il existe des instructions de l’administration centrale pour que le recouvrement se fasse vite, au détriment du contribuable." selon Eglantine Lioret, associée en fiscalité du cabinet Desfilis 

C’est ce que confirme Eglantine Lioret, avocate en fiscalité associée au sein du cabinet Desfilis : "Il existe des instructions de l’administration centrale pour que le recouvrement se fasse vite, au détriment du contribuable. On arrive rapidement à une situation où l’on nous dit : "Vous signez ce que je vous propose ou j’appliquerai 40% de majoration sur le redressement." La pression financière est forte et les avocats interviennent donc plus tôt dans les transactions pour endiguer ces comportements indignes." Le manque de dialogue et la menace de pénalités pour accélérer les procédures seraient ainsi monnaie courante dans les pratiques de l’administration fiscale, selon plusieurs avocats. Au-delà de l’objectif louable de lutter contre la fraude fiscale, il existerait aussi une volonté d’accélérer les procédures pour augmenter les rentrées d’argent, quitte à utiliser des leviers parfois abusifs.

L’IA veille au grain

Outre les réformes fiscales, l’essor des nouvelles technologies, notamment le raz-de-marée de l’intelligence artificielle, aide aussi l’administration. Le ciblage de potentielles fraudes ou de situations illicites est mieux fait. La direction générale des Finances publiques a ainsi annoncé en 2023 avoir procédé à 56 % de contrôles pointés par l’IA, en hausse de 7 % par rapport à 2022.

Si ces technologies bousculent les processus de production dans tous les secteurs, elles cheminent aussi jusqu’aux différents organes de l’État afin de garantir l’efficacité de contrôles destinés à débusquer certaines niches ou anormalités. Ces effets finissent aussi par se matérialiser à travers les montants réclamés par l’administration fiscale.

Hausse des montants en recouvrement

Selon les annonces du premier ministre Gabriel Attal en mars 2024, les réformes du code fiscal comme les nouveaux outils utilisés par l’administration fiscale portent leurs fruits. Les montants mis en recouvrement après contrôle fiscal atteignent en 2023 un niveau inédit avec un total de 15,2 milliards d’euros, en hausse de 4% par rapport à 2022. En plus de retrouver leurs niveaux d’avant crise sanitaire, ces résultats dépassent ceux de 2019.

Les montants mis en recouvrement après contrôle fiscal atteignent en 2023 un niveau inédit avec un total de 15,2 milliards d’euros, en hausse de 4% par rapport à 2022

La suppression du verrou de Bercy et la pénalisation de la fiscalité qui s’en est suivie se concrétise avec 1 889 dossiers transmis à la justice par la DGFIP en 2023, en hausse d’environ 7% en comparaison avec l’année précédente. Ces chiffres vont dans le sens des déclarations du locataire de Matignon : "Chaque fraude est grave et doit être traquée. […] L'année dernière, nous avons augmenté de 25% les contrôles fiscaux et le nombre de perquisitions fiscales a augmenté de 30%" se félicitait-il.

Si les réformes du code fiscal comme les nouveaux leviers utilisés par l’administration fiscale pour mieux cibler les potentielles fraudes sont efficaces et légitimes, le manque de négociations quant aux procédures et l’agressivité sur certains dossiers peuvent, en revanche, être à double tranchant. L’occasion pour l’avocat du cabinet parisien de rappeler que : "L’administration fiscale se décharge de ses responsabilités sur les tribunaux judiciaires, qui deviennent donc créateur de droit fiscal alors qu’ils ne devraient pas l’être." Ces processus peuvent complexifier les projets d’investissements d’acteurs étrangers au sein de l’Hexagone ou pousser ceux, déjà en France, à mettre les voiles. Ce que confirme Eglantine Lioret : "Certains de ces agissements sont contre-productifs, induisent une forme de méfiance, décrédibilise l’administration fiscale et contribuent à altérer l’attractivité économique française."

Une certitude, les objectifs poursuivis par l’administration ne sont pas près de s’arrêter. Début 2024, Gabriel Attal annonçait un plan de réarmement humain et budgétaire à horizon 2027. Ce dernier prévoit le recrutement de 2500 nouveaux agents pour lutter contre la fraude fiscale et sociale ainsi qu’un investissement de plus d’un milliard d'euros supplémentaire afin de moderniser les outils numériques de détection et de lutte contre les fraudes. Affaire à suivre. 

Tom Laufenburger


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