Lors de restructurations de dette en France dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ou d’un redressement judiciaire, la vérification du "meilleur intérêt" de chaque classe de créanciers est désormais explicitement requise par la loi. Ce test implique une évaluation du groupe, au moment même où il est fragilisé. Les méthodes d’évaluation doivent être adaptées au contexte de sous-performance. Par Françoise Gintrac et Sébastien Dalle, associés, PwC Deals

La transposition française de la dernière directive européenne "insolvabilité ", entrée en application pour les procédures ouvertes depuis le 1er octobre 2021, conduit à l’apparition dans le droit français du test du "best interest of ­creditors" : dans le cadre d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, la loi prévoit désormais explicitement que le plan de sortie doit respecter la condition qu’aucun créancier ne verra son sort dégradé par rapport au ­scénario sans mise en œuvre du plan. Ce test sera particulièrement critique lorsque le plan impose à certains créanciers la restructuration de l’endettement du groupe, soit que le créancier soit minoritaire dans une classe approuvant le plan, soit qu’il appartienne à une classe majoritairement dissidente (application forcée interclasses d’une restructuration désormais possible). Toutefois, avant même la revue du plan par le Tribunal, la valeur du groupe est une donnée essentielle de l’équation de la restructuration. Elle permet par exemple d’identifier les classes de parties affectées dans la monnaie, ainsi que la classe "pivot". Elle sera également nécessaire à l’administrateur judiciaire pour réaliser le réglage fin du plan, et vérifier en amont le respect du test de "best interest" par le plan soumis au Tribunal. On peut anticiper que la valeur du groupe sera aussi utilisée pour apprécier l’opportunité de cession éventuelle ­d’activités ou de filiales, ainsi que dans le cadre de la négociation avec certains créanciers (ce qui pourrait faciliter leur acceptation du plan).

Le test consiste à comparer le traitement des créances dans le plan proposé avec le scénario sans mise en œuvre du plan. À défaut de mise en œuvre du plan, l’issue la plus probable est la cession des actifs, sous diverses modalités possibles, éventuellement combinées : cession en un seul bloc des activités du groupe, cession(s) séparée(s) de filiales (in bonis ou en plan de redressement), ou de branches d’activité dans le cadre de plan(s) de cession, ou encore enfin cession(s) d’actifs corporels et incorporels après liquidation d’activité. Il convient donc d’estimer la valeur probable des sociétés ou activités dans le ­scénario sans mise en œuvre du plan proposé, afin de le comparer à la proposition faite à chaque créancier et apprécier leur ­meilleur intérêt. Nous nous concentrons ici sur les difficultés posées par la valorisation de ­sociétés ou d’actifs sous-performant, dans le cadre de ce test.

Les défis spécifiques de l’évaluation de périmètres sous-performant

Nous identifions deux principaux défis spécifiques à cet exercice :

• La qualification du plan de retournement : il faut apprécier le caractère raisonnable (i) de la rentabilité cible post-­redressement, (ii) des coûts et/ou capex nécessaires pour atteindre cette cible, et (iii) du rythme du retournement, donc de la pente de remontée des cash-flows prévisionnels. Il faut également apprécier la probabilité de ce retournement, qui aura un effet important sur la valorisation, et déterminer les besoins (ou risque de besoin) en « new money » du plan de ­retournement s’il existe un ­besoin pendant la période de retournement ­(celui-ci ­impacte la valorisation actuelle du groupe). Cette qualification du plan de retournement est facilitée notamment par une ­rev ue indépendante du plan (IBR). Encore faut-il que cette revue soit suffisamment conclusive pour permettre au Tribunal de considérer comme pertinent le plan de retournement qui servira de ­référence à la valorisation.

• La détermination des synergies potentielles qu’un acquéreur pourrait espérer dégager en acquérant le périmètre. Ces synergies possibles, pour leur part payée, impactent la valeur potentielle. Leur évaluation est complexe, d’autant qu’elle dépend de l’acquéreur, mais elle est incontournable pour apprécier la réelle valeur des actifs. Une analyse du modèle économique et de la structure de coûts fixes permet de chiffrer les synergies potentielles. Ensuite, il convient d’analyser en détail le marché, les acquéreurs possibles, l’intérêt stratégique que peut représenter l’acquisition afin d’estimer la quote-part probable de synergies qui serait payée par un acquéreur avisé.

"La valeur du groupe et des actifs est plus que jamais au centre du processus de négociation sur la dette"

Une mise en œuvre des techniques d’évaluation traditionnelles à adapter au contexte

D’un point de vue méthodologique, les ­approches traditionnelles d’évaluation utilisées pour valoriser des sociétés ­in ­bonis demeurent pertinentes. ­Cependant, leur mise en œuvre doit être adaptée pour prendre correctement en compte ces défis. Les principales adaptations portent sur les éléments suivants :

• Détermination des hypothèses et ­paramètres d’évaluation : le taux d’actualisation, comme l’estimation de la valeur terminale, ou la détermination du coût de la dette, doivent tenir compte de la situation de la société et notamment le risque complémentaire qu’elle peut présenter par rapport à une société en bonne santé.

• Il est indispensable d’effectuer des ­sensibilités non seulement sur les paramètres d’évaluation mais aussi sur les agrégats opérationnels et financiers qui sous-tendent le business plan (en lien avec l’IBR réalisée).

• Dans le contexte de plus forte incertitude que crée la situation de retournement de la société, la meilleure manière d’appréhender la valeur est souvent d’avoir recours à des scénarios qui envisagent différents niveaux de profitabilité cible et différents rythmes d’atteinte de ces niveaux. L’évaluation consiste alors à déterminer une valeur pour chacun des scénarios et ensuite à pondérer ces valeurs par la probabilité attribuée à chaque scénario.

• Attention à bien définir les ­comparables. Apprécier le "best interest" consiste à ­simuler la réalisation rapide des actifs, isolément ou ensemble. Or, les conditions de marché dans ce contexte diffèrent de celles définies pour apprécier une ­Valeur de Marché, à savoir : "Des parties disposant des mêmes informations, souhaitant vendre et acheter et n’étant soumises à aucune contrainte…". Les références de marché traditionnelles (comme les cours de Bourse ou les transactions sur des ­sociétés en bonne ­santé) ne sont donc pas directement applicables, sauf à pouvoir évaluer le niveau d’investissement requis pour rendre la société sous-­performante comparable. Il convient idéalement de prendre comme référence de marché des sociétés dans des situations similaires, ou à défaut d’ajuster les références.

• Enfin dans ce contexte, il nous paraît important de ne pas négliger des méthodes moins fréquentes mais qui peuvent être extrêmement utiles et pertinentes comme l’approche par l’actif net (surtout si l’on envisage une cession des actifs un par un) ou l’approche par les coûts de remplacement ou de reconstitution.

Dans tous les cas, comme pour évaluer une société "in bonis " le confort que les parties pourront avoir sur la valeur et donc l’analyse du "best interest" sera d’autant plus élevé que plusieurs approches d’évaluation auront pu être mises en œuvre avec des résultats convergents.

La valeur, au centre des futures restructurations financières

L’évolution de la législation renforce l’importance de l’exercice d’évaluation dans les opérations de restructurations financières. Pour être pertinent et efficace sur un projet de restructuration, il convient donc d’effectuer l’évaluation très en amont du processus, en parallèle ou immédiatement après la réalisation de l’éventuelle revue indépendante. 

Par Françoise Gintrac et Sébastien Dalle, associés, PwC Deals

Françoise Gintrac est associée PwC Deals, au sein de l’équipe Valuation & Business Modelling. Elle réalise des évaluations dans différents contextes : acquisition, cession, joint-venture, IPO, réorganisation juridique, allocation de prix d’acquisition, tests de dépréciation, litiges.

Sébastien Dalle est associé PwC Deals, au sein de l’équipe Business Recovery. Il est spécialisé dans les contextes de retournement, notamment le traitement des restructurations de bilan.

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