Elles étaient à peine vingt à la fin de l’année 2021 et voici qu’en quelques semaines le nombre de start-up non cotées en Bourse et valorisées à plus d’un milliard de dollars est passé à vingt-sept, franchissant ainsi le seuil fixé par l’Élysée de "vingt-cinq licornes en 2025".Comment expliquer cette soudaine accélération ?

Payfit, Ankorstore, Qonto, Exotec, Spendesk… Elles sont cinq en ce début d’exercice 2022 à avoir dépassé la barre symbolique du milliard d’euros de valorisation à la suite de levées de fonds atteignant parfois plusieurs centaines de millions d’euros. Pourtant, l’écosystème français partait de loin : en 2019 les licornes françaises se comptaient sur les doigts d’une main. Derrière cette progression fulgurante, il faut voir un rattrapage de la France par rapport au marché américain et surtout européen. "En 2018, nous étions derrière les Pays-Bas et la Suède, la phase d’explosion de début 2022 est en réalité un rattrapage qui nous a permis de revenir dans le trio de tête derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne", confirme Stéphane Villard, associé dans l’équipe Corporate Finance Advisory de Deloitte, partenaire des Trophées des futures licornes. D’après Bpifrance, les montants des levées de fonds de plus de 20 millions d’euros ont été multipliés par trois entre 2020 et 2021 pour atteindre 12 milliards d’euros, auxquels s’ajoute une hausse du nombre de deals qui ont, quant à eux, doublé durant la même période. Une tendance particulièrement visible sur les 36 méga-deals (supérieurs à 100 millions d’euros) de 2021 avec un total collecté de 7,8 milliards d’euros, là où les 12 méga-deals de 2020 n’avaient rassemblé que 1,9 milliard.

"Nous assistons à un rattrapage qui permet à la France de recoller au trio de tête"

Un succès à nuancer car la France doit encore rivaliser avec le RoyaumeUni et l’Allemagne. "Le marché britannique reste loin devant, avec plus de 30 milliards de dollars levés en 2021 et 13 milliards pour l’Allemagne", complète Stéphane Villard.

Un environnement capitalistique et réglementaire favorable

Pourtant, si les licornes françaises ont su trouver une place dans la course, c’est aussi grâce aux capitaux anglo-saxons notamment américains. Les marchés de capital-développement étant de plus en plus saturés outre-Atlantique, avec des montants de valorisation trop chers, les fonds américains ont profité de l’abondance de capitaux liée à la conjoncture pour s’intéresser à l’Europe : "Le marché est de plus en plus concurrentiel aux États-Unis, donc les fonds ont étendu leur zone de chasse, considérant le marché européen plus accessible en termes de valorisation, commente Jean-Marc Patouillaud, managing partner de Partech, investisseur actif dans les levées de fonds de licornes à l’international. De plus, la pandémie a accéléré la nécessaire digitalisation des acteurs économiques favorisant le développement explosif des champions du numérique". 

À cela s’ajoute l’effet des initiatives gouvernementales comme Choose France associé à un cadre fiscal et réglementaire approprié  : "La meilleure perception du marché français et l’approche pragmatique du contrôle des investissements étrangers ont introduit un climat de confiance propice aux entreprises de la Tech", explique David-James Sebag, associé au sein du département Fusions & Acquisitions du cabinet Gide Loyrette Nouel.

Nouvelle génération d’entrepreneurs

Autre facteur expliquant l’explosion du nombre de licornes : un environnement de talents favorable à l’entrepreneuriat. La plupart des entreprises ayant récemment acquis ce statut ont été créées il y a moins de cinq ans par de jeunes entrepreneurs en début de carrière. "Je suis diplômé de Polytechnique en 2007. À l’époque, sur notre promotion de cinq cents nous étions moins de dix à lancer notre entreprise après l’école. Aujourd’hui, parmi les nouvelles promotions, ils sont entre 20 % et 30 % à entreprendre dès la sortie", témoigne Rodolphe Ardant, CEO et fondateur de Spendesk, dernière licorne de 2022 en date.

Une tendance lourde anticipée par Bpifrance en 2013 au moment de la création de son fonds Large Venture qui possède aujourd’hui onze des vingt-sept licornes dans son portefeuille. "Le profil des entrepreneurs a changé et nous pressentions l’arrivée d’une génération d’entrepreneurs hautement qualifiés prêts à se lancer et qui allaient demander à être accompagnés", explique Maïlys Ferrere, directrice du Pôle Investissement Large Venture de Bpifrance.

Et la suite ?

Tous les acteurs de l’écosystème s’accordent : le marché du capital développement continuera à être favorable aux entreprises disruptives en 2022. Mais, pour certains, le contexte inflationniste et les soubresauts du Nasdaq sur les sociétés du numérique laissent planer un doute : "Il y a un effet ciseau entre la baisse soudaine de l’indice Nasdaq et la très bonne tenue des valorisations lors des tours de financement des stars de la Tech. Il y aura une correction si l’inflation importante s’inscrit dans la durée ou en cas de conflit aggravé", concède Jean-Marc Patouillaud de Partech.

Autre problématique : le statut de licorne n’est qu’une étape, à long terme, la difficulté pour les vingt-sept licornes françaises sera d’être suffisamment armées en capitaux pour atteindre un seuil de rentabilité et une croissance saine. Pour beaucoup, cela passera par l’introduction en Bourse et la structure de l’environnement d’investissement. Comme l’explique Maïlys Ferrere,  "l’élément clé du succès aux États-Unis est le rôle des fonds crossover, les entrées en Bourse sont nombreuses et se passent bien mais, en France, nous n’avons pas assez de fonds qui occupent ce segment". Enfin, le changement d’échelle devra aussi être au niveau européen. Pour David-James Sebag, de Gide, "l'émergence de champions en Europe passera probablement par des opérations de M&A ou de private equity pour permettre aux licornes d’aujourd’hui de rester compétitives demain". Une tendance qui s’observe avec le récent rachat du français Frichti par l’allemand Gorillas. À quand une décacorne (start-up valorisée à 10 milliards d'euros) européenne ?

Céline Toni

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