Malgré des tours de table de plus en plus ambitieux, l’écosystème technologique européen accuse un sérieux retard sur les géants américains et chinois.

Dans la guerre commerciale et technologique que se livrent les États-Unis et la Chine depuis plusieurs années – conflit exacerbé par la pandémie –, l’Europe est sur le banc de touche, tentant de rattraper un retard que de nombreux observateurs jugent aujourd’hui trop important. En avril dernier, le PDG d’Ericsson, géant suédois des télécommunications, Börje Ekholm, déclarait dans la presse qu’il faudrait deux ans à l’Europe pour rattraper son retard sur le terrain de la 5G face aux leaders que sont la Chine mais aussi l’Australie, la Corée du Sud, les États-Unis et même le Moyen-Orient, en avance sur le Vieux Continent qui n’a jamais aussi bien porté son nom.

"La guerre technologique est lancée et l’Europe doit se défendre. Le différend technologique entre les États-Unis et la Chine est un défi pour notre continent", a déclaré de son côté Reinhard Ploss, PDG du fabricant de puces allemand Infineon Technologies, lors du salon virtuel Electronica 2020. Si l’actuelle Commission européenne d’Ursula von der Leyen œuvre avec dynamisme pour renverser les rapports de force et permettre à l’Europe d’assurer sa souveraineté technologique et, de fait, tenter de réduire sa trop grande dépendance vis-à-vis de la Chine et des États-Unis, force est de constater que les leaders européens sont à la fois très rares et bien plus petits que leurs homologues mondiaux.

Retard à l'allumage

Dès 2019, le cofondateur de Doctissimo, Laurent Alexandre, mettait en garde les Européens, pointant des "budgets minuscules" en matière de recherche dans le domaine de l’intelligence artificielle, conduisant fatalement à creuser le fossé numérique, devenu aujourd’hui abyssal.

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Autre frein, le contexte actuel marqué par la pandémie pousse l’Europe à envisager des stratégies protectionnistes, telles que l’interventionnisme étatique ou encore la fermeture des frontières. Des mesures que beaucoup d’observateurs estiment contreproductives. Google a d’ailleurs plaidé auprès de l’administration Biden en faveur d’un conseil technologique entre les États-Unis et l’Europe, considérant qu’une "explosion des politiques nationales européennes représenterait une menace plus grande que le différend commercial entre la Chine et les États-Unis".

"La guerre technologique est lancée et l’Europe doit se défendre"

Dans un rapport intitulé "Artificial intelligence, Blockchain and the Future of Europe", publié le 1er juin par la Banque européenne d’investissement (BEI), on apprend que l’UE n’est à l’origine que de 7% des investissements annuels globaux réalisés autour de l’IA et la blockchain, alors que la Chine et les États-Unis représentent 80 % de ces deux marchés qui se montent à 25 milliards d’euros d’investissements annuels. Le déficit de l’Europe dans ces deux secteurs s’élève ainsi à 10 milliards d’euros. L’étude montre que la majorité des PME impliquées dans l’IA et la blockchain se trouvent aux États-Unis (2 995), puis en Chine (1 418) et enfin dans l’Union européenne (1 232). Le Royaume-Uni à lui seul compte 495 entreprises spécialisées dans les deux technologies. Au sein de l’UE, l’Allemagne et l’Autriche en comportent le plus, suivies des États de l’Europe du Sud puis de la France.

Des raisons d'espérer

Cette étude menée par la BEI laisse néanmoins entrevoir des raisons d’espérer des lendemains plus cléments si l’Europe s’en donne les moyens. En effet, tout comme les États-Unis ou la Chine, l’Union européenne possède un important vivier de spécialistes. Mieux, les 27  États membres comptent plus de chercheurs spécialisés dans la blockchain et l’IA que la Chine ou les États-Unis. 43 064 chercheurs en IA ont été recensés en Europe – dont 7 998 au Royaume-Uni–, 28 539 aux États-Unis et 18 232 en Chine.

L’écosystème technologique du Vieux Continent va dans le bon sens et la pandémie a renforcé ce constat. Selon le rapport "Titans of Tech 2021", l’Europe héberge désormais 166 licornes qui représentent une valorisation cumulée de 801 milliards de dollars, un chiffre qui a quasiment doublé en l’espace d’un an. La crise sanitaire ayant dopé les usages autour du numérique, la plupart des scale-up européennes ont vu leur valorisation flamber dès mars 2020. 52 nouvelles licornes sont ainsi apparues en seulement un an dans les domaines du SaaS (21), de la fintech (13), des marketplaces (7) ou encore du commerce en ligne (6).

Europe cherche Titans

Mais, si ces licornes se multiplient, les "Titans" technologiques, ces champions valorisés à plus de 50  milliards de dollars, restent rares. Citons notamment la fintech néerlandaise Adyen, plateforme de paiement valorisée à plus de 61,5 milliards de dollars au 12 mai 2021. En juin 2020, la valorisation du géant suédois de musique en streaming Spotify, a flirté brièvement avec les 50  milliards de dollars, avant de redescendre à 43,1 milliards un an plus tard…

La valorisation des licornes européennes a quasiment doublé en un an

Autre exemple de success story : Klarna, spécialiste du paiement en ligne, qui a levé un montant record d’un milliard de dollars sur les marchés privés en mars 2021, portant sa valorisation à plus de 46,5 milliards de dollars avant une éventuelle introduction en Bourse. Le Royaume-Uni reste en tête concernant le nombre de licornes hébergées avec 37 sociétés, devant Israël (32) et l’Allemagne (23). Ce pays leader s’est distingué en juillet dernier avec la levée de 800  millions d’euros de Revolut, la néobanque britannique, réalisée auprès du géant japonais Softbank et du fonds d’investissement américain Tiger Capital. Sa valorisation atteint désormais 33  milliards de dollars.

Plafond de verre tricolore

En France, les belles start-up se heurtent encore souvent à un plafond de verre qui les empêche de devenir des grandes. En septembre 2019, Emmanuel Macron avait placé la barre plus haut pour la French Tech : atteindre 25 licornes d’ici à 2025. Un objectif réalisable au regard des années 2020 et 2021 qui auront été de bons crus. Avec le tour de table historique de 500 millions de dollars de Contentsquare, la levée de 380 millions de dollars de Ledger ou encore les 355 millions de dollars de ManoMano, les pépites made in France ont multiplié les récoltes en 2021. Ainsi, au mois de juin, donc en seulement six mois, 4,7 milliards d’euros ont été levés, soit presque autant que sur toute l’année 2020. Si la France veut devenir une économie de rupture technologique, elle devra faire des choix et définir des secteurs prioritaires sur lesquels focaliser les investissements.

Anne-Sophie David

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