En 2020, Kingfisher France enregistrait des résultats en hausse de plus de 3 % à 5 milliards d'euros. À la tête depuis 2019 de 123 Brico Dépôt et 93 Castorama, Alain Rabec revient sur les raisons de ce succès.

Décideurs. Comment les réouvertures de vos magasins se sont-elles passées à la suite du premier confinement ?

Alain Rabec. Nous avions trois priorités, définies au niveau du groupe : protéger nos équipes, nos clients et, autant que faire se peut, accompagner le gouvernement dans la lutte contre la crise sanitaire. Nous avons d’abord rouvert le drive sans contact. Jusqu’ici l’e-commerce n’était pas encore très développé dans notre secteur. La crise a donné un coup d’accélérateur qui nous a fait gagner cinq ou six ans sur le développement du e-commerce et son inscription dans les habitudes de consommation. Les clients étaient intéressés par le fait de pouvoir retirer leurs produits en toute simplicité et sécurité. On est passé de quelques commandes par jour avant le confinement à plusieurs dizaines à travers ce canal. Le service n’était pas industrialisé, les équipes ont dû faire face.

Votre clientèle a-t-elle évolué depuis l’an dernier ?

Beaucoup de jeunes se sont mis au bricolage. La clientèle se féminise, et ce, quelle que soit la tranche d’âge. Le marché de l’immobilier s’avère très dynamique, notamment en province, ce qui a entraîné un regain d’intérêt pour les produits que nous proposons. Le marché de la peinture, qui était négatif depuis plusieurs années, a explosé en 2020. Nous avons mis en place des solutions de personnalisation. Par exemple, les clients peuvent venir avec une pièce de tissu et repartir avec la bonne couleur de peinture. De manière plus globale, on voit émerger la notion de maison augmentée : un endroit d’où l’on travaille, où l’on se protège, on l’on se divertit, etc. Les gens s’organisent. C’est un phénomène qui dure et s’accélère au fil des mois

La crise sanitaire a-t-elle accéléré votre stratégie ou avez-vous dû la revoir ?

Elle a été un accélérateur de notre stratégie. Nous avons développé la livraison à domicile de commandes passées sur le Net en créant 14 hubs répartis dans toute la France. Ceux-ci sont rattachés à des magasins classiques et servent de plateformes de livraison pour acheminer encore plus rapidement les produits. Les clients aiment pouvoir se faire livrer mais ils aiment aussi venir nous voir pour être conseillés. Nous allons créer de nouvelles solutions en ligne, comme un assistant vocal. Il faut développer l’omnicanalité. Elle devra être sans couture, la plus simple possible pour nos clients. On est en train de construire notre avenir.

"Nous sommes dans l’ère du digital et les magasins doivent apporter une valeur ajoutée"

Les magasins physiques ont-ils encore de beaux jours devant eux ?

Nous sommes dans l’ère du numérique et les magasins doivent apporter une valeur ajoutée. Ils resteront au cœur de nos dispositifs. Ils sont très importants. C’est d’ailleurs pourquoi, dans nos magasins de grande taille, nous mettons l’accent sur un certain nombre de produits dans les showrooms. Nous vendons des cuisines magnifiques, garanties 25 ans, des salles de bain, des dressings. Il faut que les gens puissent se projeter plus facilement et que nos vendeurs les accompagnent en modélisant leurs pièces grâce à la 3D.

Vous avez également fait une acquisition afin de mieux accompagner vos clients, une fois rentrés chez eux avec leurs achats…

En 2020, nous avons racheté la start-up française NeedHelp, qui met en relation des clients avec des artisans ou des particuliers pour réaliser leurs travaux. Les consommateurs peuvent trouver de l’aide pour poser un luminaire ou dans le cadre de travaux plus complexes. Cette acquisition poursuit, là encore, notre objectif de ne pas vendre uniquement un produit mais une solution.

Vous développez de nouveaux formats de magasins. Le principe du Casto express de Solférino à Lille a-t-il vocation à être dupliqué ?

Nous avons créé notre premier magasin de proximité de 400 m2 au cœur de Lille (Castorama est originaire du Nord de la France) pour répondre aux attentes des consommateurs urbains. Beaucoup n’ont plus de véhicule. On y propose une offre restreinte mais la possibilité, sous 24 heures, de livrer la totalité de notre catalogue. Ce lieu attire des étudiants - nombreux dans cette ville -, des professionnels qui, ayant du mal à circuler dans le centre, viennent chercher les produits qui leur manque quand ils ont un chantier à proximité. On a aussi des clients plus âgés, plutôt le matin, qui achètent du consommable, comme des pots de peinture ou des articles de droguerie. Nous croyons beaucoup à ce format. Pour l’instant, c’est un test mais nous espérons ouvrir deux ou trois magasins à moyen terme. Nous avons aussi créé une zone outlet à Lormont près de Bordeaux, qui propose notamment du déstockage.

"En France, 25 % de nos effectifs ont moins de 25 ans"

Kingfisher est un groupe présent dans de nombreux pays européens. Les évolutions, tant de clientèle que de canaux de ventes, constatées en France y sont-elles aussi notables ?

En Europe, nous faisons les mêmes constatations, comme la féminisation de la clientèle ou le développement du e-commerce, à des degrés plus ou moins différents. Pratiquement les mêmes clientèles se sont développées, même si les évolutions en France sont plus proches de celles du Royaume-Uni que de l’Espagne ou la Roumanie. Il y a ensuite les développements saisonniers : la Pologne et la Roumanie ont connu de fortes chaleurs en juin/juillet ce qui a dopé les ventes de produits comme les tuyaux d’arrosage ou les climatiseurs. Alors qu’en France nous n’avons pas connu de longues vagues de chaleur (Ndlr : l’interview a été réalisée à la mi-juillet).

Selon vos prévisions, cet engouement pour le bricolage va-t-il perdurer ?

On s’est dit qu’il était possible que, lorsque les Français pourraient retourner au restaurant ou au cinéma, notre activité connaisse un petit trou d’air. Le seul trou d’air, sur une période comparable, est en réalité saisonnier car nous n’avons pas connu de fortes chaleurs. Mais cela ne touche qu’une catégorie de produits. Les Français continuent de s’équiper. Je pense au boom que connaissent nos cuisines par exemple. C’est à prendre avec précaution mais certains prévisionnistes estiment que cet engouement pourrait durer une dizaine d’années.

La féminisation de la clientèle va-t-elle de pair avec une féminisation de vos équipes ?

Nous avons embauché énormément de jeunes depuis le début de la crise. À l’été 2020, beaucoup d’étudiants voulaient travailler en tant que saisonniers et, comme notre activité était florissante, nous avons pu recruter 1 200 personnes. Au cours de l’année 2021, l’entreprise prévoit de recruter 500 jeunes en alternance, qui viendront rejoindre les 1 200 alternants déjà présents dans l’entreprise. En France, 25 % de nos effectifs ont moins de 25 ans et, dans cette frange de la population, il y a autant de femmes que d’hommes. De manière plus générale, nous sommes en train de travailler sur l’inclusion, sur le rôle des femmes dans l’entreprise. Nous avons lancé un grand projet de mentoring et de formations accélérées. Il faut plus de femmes directrices dans notre activité.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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