Faisons un rêve : un rebond en 2021 est confirmé. Il est inégal. La Chine brille de tous feux avec 8 % de croissance en 2021, s’ajoutant aux 2 % de 2020. Dans son ensemble, l’Asie à forte croissance finit 2021 avec un PIB 4 % au-dessus de 2019. Les États-Unis, 3 %. L’Europe ne se remet pas avant 2022 au plus tôt. Dans cet après-crise, certains pays et entreprises ressortent plus forts ; d’autres, affaiblis. Nous repartons pour une nouvelle décennie. À quoi ressemble-t-elle ?

Dans les années 1970, la croissance de la population contribuait pour deux points à la croissance du PIB mondial. Ces deux points disparaissent à horizon 2050. Hors Afrique subsaharienne (dont le développement reste trop faible ; la région ne contribuera pas significativement à l’économie mondiale dans les dix à quinze prochaines années), la croissance de la population était de 1 % dans les années 2000 et 2010. Elle sera de 0,6 % dans les années 2020 et de 0,4 % dans les années 2030. En Amérique du Nord et en Europe, c’est la poursuite d’une tendance de long terme. Dans certains pays asiatiques et en particulier en Chine, c’est une rupture majeure (voir ci-dessous).

Toujours en croissance et toujours plus en Asie

En termes réels (ajustés de l’inflation), l’économie mondiale a crû à 3 % par an depuis les années 70 grâce à un déplacement vers l’Asie : Amérique du Nord à forte contribution, mais décroissante ; forte diminution du poids de l’Europe, absente des grands courants de développement comme le digital ; développement du Japon puis de la Chine… Dans les quinze ans qui viennent, la croissance mondiale sera toujours de 3 % hors inflation. Le monde ne ralentit pas : il continue de se déplacer vers l’Asie. L’ Amérique du Nord ralentit : en 2035, elle représentera 20 % du PIB mondial (versus 30 % en 1976). La part de l’Europe dans l’économie mondiale pourrait devenir inférieure à 20 %, c’est-à-dire la moitié de ce qu’elle était dans les années 80, sauf à doubler son taux de croissance (2 à 2,5 % par an versus 1 %). La Chine devient la première économie mondiale, devant les États-Unis. Le monde en 2035 pourrait être à quatre blocs : la Chine (25 % du PIB mondial en 2035), l’Europe (20-25 % ?), l’Amérique du Nord (20 %) et l’Asie en forte croissance (10-15 % ; en premier lieu l’Inde, sur une trajectoire économique trente à quarante « derrière » la Chine).

"Dans les quinze prochaines années,  le monde ne ralentit pas (3 % de croissance par an hors inflation) : il continue de se déplacer vers l’Asie"

La Chine et l’Asie en forte croissance croîtront à 5 à 6 % dans les quinze ans qui viennent. Ils représentent 25 % du PIB mondial en 2020 et représenteront 35-40 % en 2035. Pour les entreprises et leurs équipes de direction, l’enjeu est un déplacement, qui s’amplifie, des moyens 
de production, des marchés, des technologies, des innovations, des centres de décision et des équipes vers l’Asie.

La Chine : ralentissement et vieillissement

La Chine ralentit : sa croissance (en monnaie locale ajustée de l’inflation) sera de « seulement » 5 % dans la décennie qui vient, et 4 % sur celle d’après2 : la Chine en 2020 a la même structure de population que le Japon en 1990 et va vieillir à la même vitesse. Après un pic en 2030, sa population va décroître (sauf changement des politiques migratoires). Cette évolution n’est probablement pas suffisante pour arrêter l’ascension de la Chine vers la première position dans l’économie mondiale. Elle pose question sur la capacité du pays à continuer sa croissance tous les ans sans récession depuis 1977. Elle va sans aucun doute changer la nature des incitations et des opportunités pour les entreprises : produits, innovation, marketing ciblant une population à vieillissement rapide…

Le risque de dé-mondialisation partielle

Les facteurs sont nombreux : « squeeze » des classes moyennes, changements climatiques, ressources énergétiques et naturelles limitées, tensions post crise sanitaire et tensions géopolitiques. Ils mènent certains à promouvoir des formes de dé-mondialisation.
Une démondialisation partielle pourrait se produire autour de quatre blocs ayant la taille pour être autonomes : autour de la Chine, de l’Amérique du Nord, de l’Europe et peut-être de l’Asie en forte croissance. En 1970, l’Amérique du Nord et l’Europe faisaient 70 % de l’économie mondiale. En 2035, ces quatre blocs font 80 % de l’économie. La Chine, l’Europe et les États-Unis auront chacun une économie de taille équivalente à celle du monde entier au début des années 2000. Une démondialisation partielle serait sous-optimale, mais soutenable.

Une transition énergétique probable, mais coûteuse et complexe

Le consensus est que les dix ans à venir sont critiques pour le réchauffement climatique. Mais étant donné ses coûts, une véritable transition énergétique ne serait pas réaliste avant 2050 ; les ressources fossiles, d’un autre côté, pourraient être épuisées complètement à 2070 ; l’énergie nucléaire est la seule énergie bas-carbone qui répondrait aux besoins avec les volumes suffisants, mais elle prête à débat. « Rien ne boucle » entre les différents impératifs : il faut prioriser et définir des plans cohérents à des différents niveaux. Que seront les entreprises et gouvernements prêts à faire au-delà des postures politiques ?

Le retour de l’inflation

La fin des taux bas est probable, en lien avec le vieillissement de la population. À court terme, les risques sont limités. La surabondance d’épargne est réelle. Le risque est une instabilité financière et un regain d’inflation en contrecoup de la crise pour les pays qui ont trop eu ressort aux stimulus. Sur le long terme, à horizon 2035 (avec incertitude sur le timing), la tendance va mettre un terme à la période de taux d’intérêt décroissants que le monde a connu depuis 1980. Pour les entreprises, il faudra gérer l’exposition aux pays où le poids de la dette est devenu non soutenable (Asie en forte croissance vs. pays occidentaux ; Europe du Nord vs Europe du Sud…). Pour leurs propres dettes, il faudra se désendetter (pour les plus exposées), et prioriser les projets de croissance.

Dans l’ensemble

Une économique mondiale qui devient en grande partie asiatique et avec un poids croissant de seniors aux besoins en dépenses de santé et médicales. Des dépenses publiques massives pour sortir de la crise sanitaire, financer la transition énergétique et supporter la population âgée ; en Europe, un coût de modernisation (digitalisation…) face aux États-Unis et à la Chine. En conséquence, un retour probable à l’inflation. Une question sur l’augmentation des taux d’intérêt. Quelques secteurs qui capturent une part significative de la croissance : digitalisation, robotique & automatisation, santé (préventive et curative), transition énergétique (si soutenable financièrement). Probablement une segmentation accrue entre d’une part « jeunes seniors » actifs et en bonne santé, et les seniors plus âges. Une différenciation accrue entre les secteurs et les types de consommateurs subventionnés, et ceux ne dépendant pas de la santé fragile des gouvernements. Des investissements et un degré d’innovation élevés pour s’adapter aux reconfigurations rapides des industries (déplacement vers l’Asie, vieillissement…). Les besoins de sélectivité des investissements et de compétitivité seront croissants. Les erreurs stratégiques ne pardonneront pas. 

Philippe Estin, Vice President, Estin & Co

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