L’opérateur français Kinéis s’est fixé comme ambition de lancer la première constellation européenne de nanosatellites dédiée à l’internet des objets. Son CEO, Alexandre Tisserant, revient sur la levée de fonds auprès d’institutionnels et fait le point sur les projets de la start-up.

Décideurs. Vous avez levé 100 M€ en février 2020 avec le projet ambitieux de lancer la première constellation européenne de nanosatellites pour l’IoT. Où en êtes-vous ?

Alexandre Tisserant. Les 100 millions d’euros de fonds propres visent à financer la construction des 25 satellites, leurs lancements et les vingt stations au sol. Cette levée nous a aussi permis d’éviter les problèmes de trésorerie sans avoir eu besoin de recourir initialement à la dette. Si notre projet de construction de nouveaux satellites n’est globalement pas affecté par la crise sanitaire, le développement commercial en télétravail s’avère plus ardu, d’autant plus quand les entreprises clientes se concentrent en premier lieu sur le maintien de leur cœur de métier. Malgré tout, le lancement de la constellation est prévu pour le début d’année 2023.

Quel sera leur usage ?

Aujourd’hui, Kinéis exploite les données transmises par huit gros satellites, dont nous ne sommes pas propriétaires, alors que nous avons la maîtrise d’œuvre complète du développement de nos 25 nanosatellites. De la taille d’une boîte à chaussures, ils seront plus performants et le service sera amélioré pour les utilisateurs. L’idée est de proposer des modules électroniques, faciles à intégrer pour des fabricants de terminaux et peu coûteux, que nous vendons à des grands comptes ou à des revendeurs, qui sont souvent des intégrateurs comme notre maison mère CLS avec qui nous travaillons dans le domaine scientifique et environnemental. Notre solution s’applique à d’autres secteurs, de l’agriculture à la logistique en passant par les transports ou le sport de plein air, grâce aux terminaux qui émettent, entre autres, des informations de localisation, de température ou de salinité des océans. Les satellites permettent de couvrir 100 % de la surface du globe, contre 15 % seulement pour les réseaux terrestres. Aujourd’hui, 20 000 terminaux sont connectés au système et nous comptons multiplier ce chiffre par 100 d’ici quelques années.

"Les 25 nanosatellites en construction seront de la taille d’une boîte à chaussures"

Qui sont vos concurrents ?

Le marché de la donnée par satellite est avant tout mondial et compte peu d’acteurs. Les historiques disposent de constellations qui peuvent envoyer des images ou de la voix pour des utilisations télécoms, mais avec des terminaux volumineux et onéreux. Alors que les nôtres, petits et très abordables, moins de 100 euros, consomment peu d’énergie et bénéficient d’une autonomie de plusieurs mois, voire plusieurs années. Si une concurrence cherche à émerger dans le monde, nous sommes les seuls à être financés intégralement. En plus d’un accompagnement personnalisé de l’État en lien avec les différentes administrations, l’intégration au FrenchTech Next 40 en février dernier nous a fait gagner en visibilité, sans oublier la possibilité d’accompagner les délégations ministérielles à l’étranger.

Votre actionnariat est composé d’acteurs publics et privés dont Thales, Hemeria, Celad, BNP Paribas Développement, Ifremer, Bpifrance, CLS et le CNES. Comment gérer une telle gouvernance ?

Incubé au sein de CLS, très impliqué, le projet spatial ambitieux de Kinéis intéressait le CNES, caution technique vis-à-vis d’autres investisseurs, et Bpifrance a tout de suite vu l’intérêt d’un développement industriel national et européen. Une fois ces trois acteurs réunis, qui détiennent la majorité du capital, il a été plus facile de convaincre les autres. En outre, les industriels comme Thales et Hemeria, qui ne sont pas de simples fournisseurs mais croient au business, rassurent et ont permis de convertir les derniers investisseurs financiers, actionnaires individuels et family offices. Une assemblée générale annuelle réunit tous les actionnaires et un comité de surveillance plus restreint se charge de la gestion plus proche de l’entreprise. Les sensibilités de nos actionnaires sont différentes et font la richesse de cette gouvernance. Les intérêts sont d’ordre technique pour le CNES, industriel pour Bpifrance qui s’assure de la rentabilité et du développement, tandis que CLS en est un des usagers et client. Quant aux investisseurs individuels, beaucoup sont entrepreneurs et leurs avis et conseils nous sont précieux.

Propos recueillis par Anne-Gabrielle Mangeret

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