Pour soutenir des projets à fort potentiel de développement dans ses secteurs de prédilection que sont la santé, la technologie et les services aux entreprises, le fonds 21 Invest France bâtit des plateformes d’acquisition en vue de transformer des PME en ETI. Des domaines qui résistent plutôt bien à la crise, mais qui n’échappent pas aux challenges des LBO.

Décideurs. Après une année 2020 si particulière, comment les GPs s’adaptent-ils aux enjeux de demain ?

François Barbier. Les investisseurs, institutionnels, familiaux ou internationaux, recherchent avant tout de la performance dans un contexte délicat. Mais avec des objectifs à cinq ans, il y a forcément des aléas. Encadrer les risques est essentiel et nous sommes très attentifs au ratio risque/rendement. Cette discipline nous permet d’atteindre cet objectif de performance. Celle-ci doit également être durable dans le temps et prendre en compte la responsabilité sociétale des entreprises. Nous avons ainsi développé la notion de « Shared Value » [concept créé par Harvard qui prône le partage de la valeur à toutes les parties prenantes concernées par l’activité d’une entreprise, Ndlr] qui consiste à combiner performance et durabilité pour trouver un équilibre sur le long terme.

Côté investisseurs institutionnels, votre relation avec les LPs a-t-elle évolué ? Quelles sont leurs attentes ?

F. B. La transparence est de mise dans les relations avec les investisseurs, car l’environnement change très vite. C’est important de communiquer et de leur fournir beaucoup d’informations contextuelles. Ils ont besoin de connaître les leviers de performance, qu’il s’agisse de croissance ou d’opérationnel. Chez 21 Invest, ils viennent chercher des plateformes d’acquisition créatrices de champions français ou internationaux en transformant des PME en ETI. Dans ce processus, nous pouvons compter sur l’apport de nos operating partners.

Concrètement, qu’apporte un operating partner à un investisseur ?

Jean-Philippe Milon. L’important est de comprendre le marché, de savoir si une société française peut se développer à l’international et émettre un avis sur les acteurs. Dans le cadre du partenariat avec 21 Invest, j’ai pu rencontrer les dirigeants très tôt. Un projet viable et à développer dans le temps est nécessaire, mais il faut des hommes pour le mener. Un operating partner apporte son point de vue sur l’ensemble de son domaine d’expertise – la santé dans mon cas –, mais aussi sur ce qu’attendent les clients. C’est un jeu d’échanges permanents avec le fonds. Aujourd’hui, les laboratoires pharmaceutiques se concentrent sur le développement commercial et ont externalisé les affaires réglementaires, les études cliniques et la production. Ce qui pose un problème de souveraineté nationale. Les innovations qui viennent des biotech comme Moderna constituent un écosystème sur lequel investir. Le rôle de l’operating partner est de dresser un état des lieux à un instant T afin d’apprécier comment un fonds peut se projeter.

Françoise Gri. 21 Invest investit dans des organisations et des entreprises de taille moyenne, souvent en LBO primaire. Quand l’aventure commence, elle entraîne une transformation importante qui mène à un autre niveau de professionnalisme pour lequel des outils différents sont nécessaires. Or, l’univers des services est très agile dans cet environnement en croissance. Les fonds procurent un accompagnement de l’évolution quand l’operating partner apporte une vision complémentaire et l’expérience du praticien.

"Nous avons ainsi développé la notion de Shared Value qui consiste à combiner performance et durabilité pour trouver un équilibre sur le long terme" François Barbier

En marge de cette expertise sectorielle, le rôle de l’operating partner est-il de fluidifier la gouvernance ?

F. G. Je le crois et le pratique dans un certain nombre de situations. Nous accompagnons les uns et les autres à passer à l’acte. L’expérience nous a appris à percevoir les problématiques humaines et celles des équipes de façon différente. Au-delà de la communication, les operating partners contribuent à trouver le bon compromis opérationnel. Les LBO primaires de 21 Invest relèvent d’un cas particulier. Le dirigeant qui mènera la transformation de l’entreprise a une vision théorique d’un LBO. Le guider facilite la réussite. C’est aussi un gage de succès.

J.- P. M. Grâce à notre expertise sectorielle, nous parlons la même langue que les dirigeants. L’operating partner sert parfois de décodeur. Jacques Ollivier. Diriger une plateforme de build-up nécessite de parfaitement comprendre comment fonctionne un fonds de LBO. C’est la garantie d’être sur la même longueur d’ondes lorsque nous évoquons la création de valeur ou la gouvernance. Vis-à-vis des cédants, mon rôle consiste à les informer, et parfois, à les rassurer. En effet, l’option du LBO peut susciter des questions, notamment sur l’impact dans la conduite des opérations. Ce rôle d’operating partner est essentiel afin d’aligner les intérêts des équipes opérationnelles et ceux du fonds.

Dans tout LBO primaire, il y a un sujet de transmission, de leadership et d’organisation, toujours en lien avec la recherche de croissance. Comment cela se passe-t-il ?

Jacques Ollivier. La transmission est au cœur de notre projet. En sacralisant cette valeur, on fait progresser sans rupture les entreprises qui nous rejoignent. Cela renforce également la gouvernance. Les éditeurs d’ERP ont l’avantage d’être sur des cycles longs. Cela permet notamment d’investir sur le long terme. Quand on a une vision claire, un socle humain solide et que l’on est porté par l’actionnaire, le job est presque simple. Stéphane Perriquet. Avec une telle ambition de développement pour DL Software, Jacques a su ajouter une brique de transformation opérationnelle nécessaire tout en respectant la culture forte. Ces mutations ont été extrêmement positives pour l’entreprise et Jacques a réussi le tour de force du changement dans la continuité.

F. G. C’est encore moins facile dans une petite structure.

J.O. Notre mission consiste à accélérer la transformation digitale de nos clients. En même temps, nous devons veiller à digitaliser avec constance et rigueur nos propres organisations. Nos logiciels sont éprouvés, car les entreprises que nous acquérons sont bien implantées dans leurs secteurs. En parallèle, nous recherchons à toujours optimiser nos méthodes pour éviter toute rupture dans la « chaîne digitale ». À ce propos, le contexte sanitaire nous a permis d’identifier des axes de progression. Au-delà de la transmission, c’est aussi ce processus d’amélioration continue qui porte notre projet d’entreprise.

"Les plateformes permettent d’accélérer la construction de groupes européens, c’est la stratégie déployée depuis toujours chez 21 Invest France, avec près de 150 build-up à notre actif" Stéphane Perriquet

Dans un monde de liquidités abondantes, que faut-il pour remporter une enchère concurrentielle ?

F. B. Au niveau des fonds d’investissement et de 21 Invest, nous visons à réaliser deux à quatre opérations par an. Pour remporter un deal dans le contexte et nos secteurs, l’avance est primordiale. La relation avec les dirigeants et actionnaires des dossiers à venir sans attendre la banque d’affaires s’avère essentielle. Ensuite, la connaissance du secteur et une approche spécifique en termes de création de valeur font la différence. Sur ces sujets, les operating partners nous sont précieux et permettent d’aller vite. Enfin, il faut être capable de payer le prix pour les plus belles affaires.

J. O. Si ces quatre piliers de réussite sont alignés, en général, le deal se conclut. Nous essayons d’être raisonnables, sans spéculer sur les synergies potentielles et en appréciant le prix de la société stand alone. Notre connaissance du secteur nous permet de nous faire rapidement un avis sur la valeur de l’actif technique, commercial et humain. Ensuite, dès le premier contact, nous insistons sur la notion de transmission, prise dans son sens le plus noble. L’entrepreneur qui a redoublé d’efforts pendant de longues années ne veut pas voir l’actif qu’il cède dissout dans un groupe. C’est pourquoi il accorde de l’importance au fait que l’acquéreur conserve la marque comme les équipes. 

Comment accompagner les entreprises et faire émerger des champions européens ?

S. P. Nos thèses d’investissement passent par la croissance organique et la consolidation d’un marché. DL Software réunit les deux thématiques. La première s’accomplit par l’innovation mais aussi par l’optimisation de l’organisation. Chez DL Software, l’outil de pilotage des ventes est le même dans tout le groupe pour un meilleur suivi des ventes. La seconde s’opère avec les plateformes qui permettent d’accélérer la construction de groupes européens. C’est la stratégie déployée depuis toujours chez 21 Invest, avec près de 150 build-up à notre actif depuis la création du fonds. Un build-up qui tourne mal coûte cher, mais quand ça fonctionne, l’accélération est considérable.

J. O. Pour le moment, nous sommes très concentrés sur le marché français mais nos ambitions sont européennes. Ces deux dernières années ont été consacrées à rendre l’organisation scalable. Le frein à l’expansion internationale est souvent culturel. Les Français ont souvent pêché par manque d’audace à cet égard. Depuis quelques années, on voit émerger une génération de managers qui se projettent davantage vers l’international. C’est de bon augure pour développer nos futurs champions européens.

J.- P. M. L’heure des acquisitions ne vient que lorsqu’on est en ordre de marche. Mais elles sont fondamentales dans le domaine de la santé. L’Inde et la Chine sont très en avance. Pour devenir un acteur majeur dans le monde, il faut a minima être présent en Europe.

"Les fonds procurent un accompagnemen de la transformation quand l’operating partner apporte l’expérience" Françoise Gri

F. G. Dans l’environnement des business services, la création de valeur est un sujet majeur. Alors que l’on pouvait fournir uniquement le service ces dernières années, les clients attendent aujourd’hui des offres qui apportent de la transformation et de la différenciation pour eux-mêmes. Plateforme et innovation constituent alors les deux motsclés à côté desquels on ne peut pas passer.

J. O. Le choix du partenaire de dette est un facteur clé dans les opérations d’acquisition. À chaque offre déposée, nous disposons d’un engagement de financement de 21 Invest mais aussi du fonds de dette. C’est un des facteurs essentiels dans la rapidité d’exécution du deal, même si on paie un peu plus cher avec de la dette unitranche.

S. P. Les structures de dette sont pensées dès le départ. Dans les projets de plateforme, la flexibilité et un minimum d’interlocuteurs pour la partie financement permettent de prendre une décision rapidement. La dette unitranche s’avère ainsi idéale pour celles qui font des acquisitions aussi fréquemment.

Dans quelle mesure l’évolution des comportements des consommateurs influent-ils sur le secteur des business services ? Comment s’inscrit-on dans son époque ?

F. G. Les business services recouvrent plusieurs segments qui se comportent différemment, mais tous font face à l’impératif d’accélérer sur le digital. Celui-ci combine actifs digitaux, vecteurs de productivité et d’efficacité avec une série de logiciels, et la bonne dose d’humain, qui apporte la valeur ajoutée. Les services particuliers rendus par ces profils d’experts sont essentiels pour les clients. Cette accélération va de pair avec la nécessité de renouveler son modèle de création de valeur. En outre, beaucoup d’entreprises devront s’adapter pour être agiles au moment de la reprise d’activité, ce qui implique d’être structuré. Enfin, préserver ses talents est fondamental. Ils représentent une ressource rare nécessaire à la combinaison de digital et d’humain.

À quoi devons-nous nous attendre dans le secteur de la santé ?

J.-P. M. Dans le contexte actuel, les revenus des hôpitaux et des médicaments vendus sur ordonnance ont fortement chuté. Tous les secteurs de la santé ne connaîtront pas nécessairement d’essor lors de cette crise et il faudra porter une attention particulière à la segmentation. La pression sur les prix a réduit la profitabilité des CDMO [Contract Development & Manufacturing Organisations, Ndlr] et les ventes de médicaments du consumer health ont également baissé, déplaçant le centre de gravité vers des productions à plus forte valeur ajoutée. Le business IT, des logiciels à la télémédecine, jusque-là balbutiant, constituera un domaine très porteur. Enfin, au niveau des services, les grandes entreprises externaliseront davantage encore leurs activités.

"Un projet viable et à développer dans le temps est nécessaire, mais il faut des hommes pour le mener" Jean-Philippe Milon

Il faudra bien choisir ses batailles en termes de segmentation, mais aussi anticiper l’avenir. Au regard des conséquences du dérèglement climatique, on peut s’attendre à davantage de virus. C’est le moment d’investir dans les domaines délaissés par les grandes entreprises. Enfin, déroger à la dimension internationale relève de l’impossible. À moins d’être dans une niche, un acteur français aura du mal à se démarquer.

Le LBO nourrit mythes et fantasmes. Qu’implique-t-il principalement pour les dirigeants ?

J. O. Lorsque la transmission managériale a été finalisée chez DL Software [ succession organisée à l’entrée de 21 Invest France, Ndlr], la moitié de notre premier entretien avec Stéphane portait sur les KPIs et le monitoring de la performance. Ce n’était pas une surprise, car je venais d’une autre entreprise sous LBO où j’ai appris cette rigueur financière. Nous avons également profité du virage pris avec 21 Invest pour nous concentrer sur les revenus récurrents de DL Software.

F. B. Des questions peuvent se poser sur la fréquence des reportings. En 2020, l’accès à cette information était crucial. Sans ces instruments de pilotage, il peut y avoir confusion entre des logiques long terme et conjoncturelles. Ces indicateurs nous ont permis de garder notre sang-froid.

S. P. Dans les deals primaires, nous ne disposons que rarement de la qualité d’information souhaitée au moment de l’entrée au capital. Au-delà de la dette et des covenants, la mise en œuvre de KPIs efficaces pour piloter fait partie du métier de fonds d’investissement.

"Quand on a une vision claire, un socle humain solide et que l’on est porté par l’actionnaire, le job est presque simple" Jacques Ollivier

Quelles sont les ambitions de DL Software ?

J. O. Jusqu’à présent, DL Software a réalisé des acquisitions auprès d’acteurs établis. Désormais, nous intégrons également des start-up. Elles apportent innovation et une forme de fraîcheur à nos méthodes. Cette notion de mix est importante entre des sociétés plus jeunes, qui ne contribuent pas immédiatement à la valeur économique du groupe, mais préparent l’avenir, et des entreprises plus dimensionnées et plus génératrices de cash. L’enjeu par rapport à une plateforme en forte croissance, c’est de garder l’âme du groupe. Notre métier, c’est l’ERP métier. Il faut être très clair sur sa thèse d’investissement et sur sa vision du développement. Dès lors qu’elles sont partagées par toute la direction, vous pouvez déléguer en confiance avec des circuits de décision très courts. C’est ce qui confère à une plateforme de build-up sa cohérence et son agilité. Aujourd’hui, les solutions de type ERP connaissent aussi leur révolution. Elles sont extrêmement scalables et ouvertes sur l’écosystème qu’elles servent, à la différence des solutions monolithiques et fermées qu’on a connues par le passé. Notre ambition est de nourrir et accélérer cette transformation. Un boulevard s’ouvre devant nous.

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