Bercy s’oppose au rapprochement entre Carrefour et le canadien Couche-Tard, brandissant l’argument de la sécurité alimentaire française. Un droit de veto fondé juridiquement mais jamais utilisé jusqu’ici. Cette décision pèsera-t-elle sur l’attractivité de l’Hexagone ?

Le gouvernement n’aura pas attendu longtemps pour faire connaître sa désapprobation. Alors que le groupe canadien Couche-Tard proposait de fusionner avec Carrefour, Bercy opposait son veto. « Il y a peut-être eu de la précipitation du côté de Carrefour, mais pas du côté du gouvernement français, qui a simplement rappelé que la sécurité alimentaire ne se négociait pas, que nous devons en être les garants, que cela fait partie des objectifs stratégiques », expliquait dans la foulée, Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie et des Finances au micro de RTL. S’il arrive que l’État ne valide pas certains investissements étrangers sur son territoire, son « non » à une opération dans l’agroalimentaire, qui concerne qui plus est un pays ami comme le Canada, peut étonner. Un changement de ton qui crée un précédent.

L’État dans son bon droit

L’État a le droit pour lui. La loi Pacte de 2019 renforce la procédure d’autorisation préalable des investissements étrangers en France afin de protéger les secteurs stratégiques. Un décret de la même année élargit le champ d’application de ce droit de regard à la presse écrite, aux services de presse en ligne d’information politique et générale, au stockage d’énergie, aux technologies quantiques ainsi qu’à la sécurité alimentaire.

Si la France serre la vis, c’est qu’elle a été échaudée par le rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electric en 2014. Et ce, alors même que les textes avaient été révisés par Arnaud Montebourg la même année. À l’époque, le ministre avait ajouté six domaines clés à la liste des secteurs stratégiques (l’approvisionnement en énergie et en eau, les réseaux et services de transport et de télécommunications, les établissements, les installations et ouvrage d’importance vitale au sens du code de la défense ainsi que la santé).

"La sécurité alimentaire ne se négocie pas"

En temps normal, les investisseurs qui s’interrogent sur la faisabilité d’une opération peuvent soumettre une demande d’examen à Bercy. "Dans le cas de Carrefour-Couche-Tard, Bercy a fait preuve de précautionnisme en indiquant, avant même le contrôle, qu’ils opposeraient un veto, analyse David Faravelon. C’est une nouveauté en matière de communication."

Guerre économique

Le bras de fer concurrentiel avec d’autres pays, comme les États-Unis au sujet de la taxation des Gafa, pousse la France à renforcer son arsenal protectionniste. Mais jusqu’à fin 2020, les oppositions faisaient assez peu parler d’elles. "La France s’inscrit dans une nouvelle doctrine depuis son veto au rachat de Photonis par l’américain Teledyne en décembre dernier, explique David Faravelon, avocat au sein du cabinet Bersay. Initialement, elle utilisait le contrôle des investissements étrangers pour limiter les approches offensives de concurrents étrangers, notamment chinois, dans les secteurs sensibles en lien avec la sécurité et les technologies. Dans le cas de Couche-Tard, il s’agit de l'entreprise d’un pays allié, dans le secteur alimentaire."

"La France s’inscrit dans une nouvelle doctrine depuis son veto au rachat de Photonis par l’américain Teledyne en décembre dernier"

De quoi vexer quelque peu le gouvernement canadien, dont une source déclare en off : "On peut soutenir qu’il est possible politiquement de décider de ne pas autoriser que le principal employeur du pays passe entre des mains étrangères. Mais on ne peut pas accuser une entreprise canadienne de premier plan comme Couche-Tard de mettre en danger la souveraineté alimentaire de tout un pays."

Un contexte peu favorable

Le calendrier n’était pas en faveur de ce rapprochement. Alors que la crise sanitaire a mis en avant les carences de la France, et plus globalement de l’Europe, en matière de souveraineté, il serait difficile pour Bercy de valider la cession d’un groupe comme Carrefour. Et ce, d’autant plus que l’élection présidentielle de 2022 approche. "À un an des élections, la France fait le choix très fort de préserver ses champions. Elle fait le choix d’une souveraineté économique forte et privilégie les alternatives françaises", commente David Faravelon.

Quel signal envoyé à l’étranger ?

Reste à savoir quel sera l’impact sur les investissements étrangers. La France est le cinquième pays au monde en matière d’attractivité et le deuxième en Europe. La question ne se pose pas uniquement pour les grands groupes mais pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, start-up incluses. Le gouvernement surveillant comme le lait sur le feu les précieuses licornes qu’il s’est donné tant de mal à faire émerger en créant un écosystème propice à leur développement.

Pendant ce temps-là, Couche-Tard et Carrefour souhaitent continuer à tisser des liens à travers « des partenariats innovants » et le canadien ne ferme pas la porte à une opération. "Nous serions ravis de réaliser la transaction (..) si nous recevions des signaux indiquant que l'environnement pourrait changer ou changerait de la part du gouvernement français ou d'autres parties prenantes importantes", déclarait son patron Brian Hannasch lors d'une conférence téléphonique. Il ne faut jamais dire jamais.

Olivia Vignaud

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