Le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, s'est prêté, jeudi 28 mai, à l'exercice des questions-réponses lors d'un webinar organisé par le cabinet August Debouzy et le Club des juristes. Cet échange portait sur le soutien aux entreprises et à l'économie face à la crise sanitaire et économique.

L'ancien Premier ministre, Bernard Cazeneuve, aujourd'hui avocat associé du cabinet August Debouzy et président du Club des juristes, ainsi que le professeur Collet, membre dudit club, ont modéré l'échange entre Gérald Darmanin et les spectateurs du webinar.

Le ministre des Comptes publics s'est voulu pragmatique et rassurant lors de cet échange d'une heure et demie. Il n'a pas caché les difficultés à venir pour les entreprises françaises et leurs dirigeants mais aussi pour l'État dans les prochains mois. "Nous allons sûrement dépasser les 8 % de décroissance économique cette année. Le pays va s'appauvrir et cela dans la durée car nous avons choisi de faire appel à un endettement massif or, cette dette devra être remboursée", a déclaré le ministre. Il a également insisté sur la variété et la pertinence des mesures exceptionnelles mises en place par le gouvernement pour faire face à cette crise inédite. "Nous sommes désormais dans le domaine de la résilience. Viendra le moment de la relance et de la reconstruction", a résumé Gérald Darmanin.

Simplification et allégement normatif

Hervé Novelli, ancien secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat et des PME du gouvernement Fillon II, a ouvert la valse des questions en interrogeant le ministre des Comptes publics sur de possibles mesures de simplification et d'allégement normatif. Pour Gérald Darmanin, cette simplification est déjà en cours et a fait ses preuves dès les premiers mois de la crise, notamment en matière de permis de construire et d’appels d'offres. "Nous en avons tiré des conclusions significatives", a-t-il assuré. Le ministre a d'ailleurs affirmé que le projet de loi de finances rectificatif numéro 3 qui sera présenté le 10 juin au Conseil des ministres prévoit notamment que les appels d'offres de moins de 100 000 euros puissent être traités plus rapidement et avec des formalités simplifiées pour les collectivités locales, afin de favoriser localement la reprise économique.

Aides sectorielles : secteur associatif, monde de la nuit, aéronautique

Questionné par un dirigeant d'entreprise sur les mesures d’accompagnement prévues pour le secteur associatif, Gérald Darmanin a tenu à rappeler que tous les employeurs, y compris les associations, ont bénéficié de mesures gouvernementales telles que le report de charges ou le chômage partiel. Il a confirmé que le cas particulier des associations était actuellement à l'étude afin de leur apporter un soutien ad hoc, notamment en décalant d'un an les crédits et les réductions d'impôts dont bénéficient les donateurs. "Les associations, et ce, y compris les clubs sportifs qui créent aussi du lien social, vont bénéficier des mesures de soutien du plan de relance si elles sont en difficulté.", a-t-il certifié.

De même, à la suite d'une question d'un entrepreneur sur le secteur de la nuit, Gérald Darmanin a promis que celui-ci ne serait pas oublié par le gouvernement : "Le déconfinement est progressif comme nos aides".

Par ailleurs, le ministre a assuré que des plans sectoriels allaient suivre, notamment dans l’aéronautique, lourdement touché, et dont les difficultés vont s'inscrire dans la durée. Il a assuré que l'État serait au rendez-vous comme il a pu l’être pour le groupe Air France. Afin de clarifier la position du gouvernement sur la transition écologique, il explique vouloir "aller vers un avion propre mais [qu’] il n'est pas question de conditionner nos aides en ce sens car cette transition demande du temps et nous devons pallier l'urgence."

Nationalisation des entreprises

Le ministre a ensuite été interrogé sur la différence de traitement des conséquences économiques de la pandémie entre la France et l'Allemagne, notamment sur le sujet des nationalisations. En effet, l'Allemagne protège massivement ses fleurons industriels. Sur un total d'environ 1 900 milliards d'euros d'aides approuvées par Bruxelles, la moitié l'ont été par l'Allemagne, suivie de la France avec 17%, puis de l'Italie avec 16%. Cette disparité a déjà créé un fort agacement de la part des autres États membres qui craignent une inégalité en matière de soutiens financiers. L’un des outils que l'Allemagne a par ailleurs décidé de privilégier pour aider ses entreprises est la nationalisation temporaire. Dernier exemple en date, celui de la compagnie aérienne Lufthansa qui a accepté une aide de l'État contre une entrée dans son capital début mai.

"La comparaison avec l'Allemagne doit être totale, or nous ne possédons pas les finances publiques de l'Allemagne", a asséné Gérald Darmanin. Le ministre justifie la divergence d'approche entre les deux pays par l'urgence de la situation économique. Il a rappelé que le budget d'urgence prévoit déjà un montant exceptionnel de 20 milliards d'euros de crédits pour recapitaliser, voire nationaliser provisoirement des entreprises stratégiques en difficulté comme Air France ou Renault. La liste de ces sociétés a d'ailleurs été réclamée en vain par les oppositions. "Nous avons donc un instrument pour nationaliser mais nous ne l'utiliserons pas pour toutes les sociétés", a expliqué le ministre. Il a également défendu l'idée d'une forme différente de nationalisation : "La participation des salariés à l'actionnariat, c'est une forme de nationalisation", reprenant une notion chère au général de Gaulle.

Revenant sur la question de l'endettement des entreprises à travers les PGE (Prêts Garantis par l’État), le ministre a évoqué différentes solutions pour en faciliter le remboursement. Il a rappelé que l'administration fiscale avait accéléré le remboursement des crédits d'impôt pendant la crise, de même pour celui de la TVA. "Nous pourrions tout à fait imaginer […] d’accélérer des remboursements de crédit d'impôt pour l'année prochaine", a évoqué le ministre.

La question de l'épargne salariale

"Ce n'est pas un projet du gouvernement", a énoncé Gérald Darmanin après une question sur ses déclaration, il y a une semaine au JDD. Dans cette interview, le ministre préconisait, pour surmonter la crise, de généraliser la participation des salariés aux entreprises. "Nous devons retrouver le lien d'intérêt entre la classe travailleuse et le capitalisme afin de le rendre plus humain", affirmait le ministre. Outre la généralisation de l'actionnariat salarié, il recommande de le simplifier, notamment à travers son régime fiscal, et de l'étendre en augmentant les montants versés aux salariés et en raccourcissant le délai pour en bénéficier. "Cela augmenterait le pouvoir d'achat des salariés sans augmenter leurs salaires", explique le ministre.

Plan de relance économique européen

Le 27 mai, la Commission européenne présentait un plan de relance économique fondé sur une dette européenne mutualisée de 750 milliards d'euros. Le 18 mai, la chancelière Angela Merkel et le président Emmanuel Macron annonçaient leur volonté d'émettre une dette commune européenne de 500 milliards d’euros pour subventionner les pays les plus touchés par la crise. Une initiative, vivement critiquée par les pays dits "frugaux" que sont les Pays-Bas, l’Autriche, la Suède et le Danemark, qui s’opposent depuis le début des débats à une dette mutualisée.

Le ministre des Comptes publics a commenté ce plan de relance, à la suite d'une question d'un participant au webinar, reconnaissant qu'il restait encore beaucoup de travail à faire par les États membres pour mettre en place un plan de relance commun. Pour le ministre, la dette mutualisée est positive car "les marchés financiers préfèrent l'endettement à la faillite", comparée notamment à d'autres options comme la mise en place d'une dette perpétuelle, voire l’annulation de la dette : "Je ne suis pas favorable [à] une dette qui pourrait être annulée que ce soit par la BCE, les États ou les banques. Il s'agirait d'une rupture de confiance et cela entraînerait des conséquences sur les conditions d'emprunt", a commenté le ministre, en rappelant que la France continuait d'emprunter à taux négatifs.

Interrogé sur l'hypothèse d'économies sur les postes budgétaires, le ministre a botté en touche estimant qu’une baisse des dépenses publiques ne devrait pas être dans les deux ans à venir le sujet de préoccupation principale. "Il faut savoir rester raisonnable. On ne peut pas faire des économies en proposant des aides", a affirmé Gérald Darmanin, en insistant sur le fait que des économies importantes pourrait déclencher un "effet récessionniste". Gérald Darmanin a expliqué que la stratégie du gouvernement était de montrer aux Français que les milliards d'euros dépensés ne se traduiraient pas par une augmentation d'impôts. "Il faut permettre le déblocage de la consommation et des investissements des entreprises qui pourront le faire", a-t-il ajouté.

Orientations fiscales

Le ministre a admis que les réflexions du gouvernement concernant les orientations fiscales n'étaient pas finalisées. Cependant, il a tenu à assurer la volonté de Bercy d'alléger la pression fiscale sur les particuliers et les entreprises afin de relancer l'économie. La baisse des impôts de production et de l'impôt sur les sociétés serait donc toujours à l'étude. Par ailleurs, le ministre s’engageait : "En 2021, nous allons présenter le premier budget vert". Tout en assurant que la taxe carbone n'y serait pas prévue.

Sur le plan européen, il a rappelé que l’idée d’une taxe européenne sur les entreprises du numérique était toujours d'actualité bien qu'elle ait été freinée par la crise. "Cette taxe numérique, si elle n'est pas mondiale, doit au moins être européenne", a assuré Gérald Darmanin.

Béatrice Constans

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