Franck Sebag, associé, IPO & Fast Growing Companies Leader chez EY & Associés, analyse les chiffres du capital-risque français. Les montants levés par les start-up en France ont atteint un nouveau record en 2019, mais accusent le coup de la crise du Covid-19 malgré un mois de janvier exceptionnel.

Décideurs. Quelles ont été les grandes tendances du capital-risque sur l'année 2019 ?

Franck Sebag. En 2019 nous avons observé une hypercroissance continue sur le segment du capital-risque en France. Cette dynamique forte a été portée par une croissance des levées de fonds supérieures à 20 millions d'euros (+ 44 % en montant et + 52 % en nombre) mais aussi de celles supérieures à 50 millions d'euros qui ont doublé en nombre et en valeur. Nous sommes passés d'un écosystème de start-up à un écosystème de scale-up.

Cependant, en France, on constate toujours une faiblesse des levées de fonds supérieures à 100 millions d'euros, notamment en comparaison avec l'Allemagne et le Royaume-Uni. La jeunesse et la structuration de notre écosystème en sont les principales causes. C'est une faiblesse qui est aussi une force : des licornes devraient émerger des start-up d'aujourd'hui pour lesquelles le financement français est bien présent.

EY a publié au mois d'avril son baromètre du capital-risque français sur le premier trimestre 2020. Comment le capital-risque a-t-il réagi à la crise du Covid-19 ?

Nous avons eu un mois de janvier incroyable, avec tous les voyants au vert. Les entreprises françaises ont levé 898 millions d'euros en un mois seulement, contre 460 millions d'euros sur le mois de janvier 2019, soit une croissance de 95 %. Malheureusement, l'effet Covid-19 a rattrapé le marché dès mi-février entraînant avec lui un ralentissement des opérations, puis leur chute brutale au mois de mars avec une diminution de 23 % des montants investis par rapport à mars 2019. La très belle performance du mois de janvier permet d'enregistrer pour le trimestre une hausse de près de 20 % en montants levés par rapport à la même période en 2019, mais c'est l'arbre qui cache la forêt.

L'avance que nous avions en janvier sur le nombre d'opérations, notamment à plus de 50 millions d'euros, a été lissé sur les deux mois suivants. Les opérations entre 20 millions d'euros et 50 millions d'euros se sont, quant à elles, effondrées au fil de l'eau (- 27 % en valeur), tout comme les premiers tours de table (à partir de 5 millions d'euros). Le mois de mars a bénéficié de deux levées de fonds de plus de 50 millions d'euros (notamment 180 millions d'euros levés par Colonies) représentant 71 % du montant total. Sans elles, le mois aurait été catastrophique.

Montants levés par les start-up en France au 1er trimestre 2020 (source : EY, Synthèse du capital-risque en France, 1er trimestre 2020)

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Comment pensez-vous que le marché du capital-risque se comportera dans les prochains mois ?

Les fonds continuent de réfléchir à de nouveaux investissements même si la logique est de se concentrer sur les investissements existants. En général, une levée de fonds met entre quatre à six mois à se préparer. Comme la crise a débuté au mois de février, c'est à partir du mois de mai que nous allons commencer à voir un creux significatif. Pour ce qui est du mois d'avril, des opérations se sont terminées comme celles d'Alan (50 millions d'euros) ou de Vestiaire Collective (59 millions d'euros). Sur le semestre, toujours grâce au mois de janvier, les performances pourront concurrencer celles de 2019. La problématique se situera sur le deuxième semestre.

Aujourd'hui, la crise est d'abord financée par l'État, grâce au mécanisme du chômage partiel ou des plans garantis, sachant qu'il n'est pas rare que les fonds mettent la main à la poche. Pour un startupper, le choix va se faire entre des financements dilutifs et non-dilutifs. Pour l'instant, les start-up profitent des aides mises en place par le gouvernement.

"Les fonds d'investissement ont ralenti leurs investissements mais n'ont pas perdu d'argent."

Et après le mois de mai ?

Je ne serais pas étonné qu'il y ait beaucoup de refinancement des start-up à partir du mois de mai. Il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit pas d'une crise du système financier. Les fonds d'investissement ont ralenti leurs investissements mais n'ont pas perdu d'argent. D'un investissement dirigé vers de nouveaux business ou vers de la croissance, ils vont se tourner vers un investissement de gestion de crise. Le nombre d'opérations diminuera certainement en volume mais pas forcément en montant. C'est la gamme des investissements inférieurs à 5 millions d'euros (510 des opérations en 2019 mais seulement 17 % des montants levés) qui va connaître une forte défection.

Quelles vont être les conséquences de la crise du Covid-19 pour l'écosystème des start-up ?

Cette crise est conjoncturelle et non pas structurelle. Je pense que dans l'après-Covid, les start-up vont avoir la part belle par leur agilité, leur résilience et leurs projets innovants, notamment dans la biotechnologie ou la digitalisation. Je ne suis pas pessimiste concernant ce segment, car il est nécessaire pour le monde d'après. Il n'y a qu'à voir l'initiative "Protège ton soignant" mise en place par des entrepreneurs de la French Tech pour mettre leurs compétences et leurs réseaux au service des personnes qui se retrouvent en première ligne pour traiter les patients atteints du Covid-19. C'est un secteur d'avenir car il a du sens.

Propos recueillis par Béatrice Constans

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