Le coaching de chefs d’entreprise s’est développé ces dernières années. Dans le cadre de la crise du coronavirus, bénéficier d’une oreille extérieure est précieux. Éric Albert, fondateur-dirigeant du cabinet Uside, explique en quoi la gestion de ses émotions est nécessaire pour réduire l’incertitude ambiante.

Décideurs. Votre activité de coaching de dirigeants évolue-t-elle avec la crise ?

Éric Albert. Le rythme est le même qu’avant le confinement. Les coachings commencés se poursuivent. En revanche, alors que nous nous voyions en tête-à-tête, dorénavant nous utilisons les différents outils de visioconférence et parfois le téléphone. Le contenu des séances est évidemment lié à ce que vivent les dirigeants en ce moment. Tous sont affectés par la situation, généralement de manière négative avec des conséquences parfois gigantesques pour leur business, comme dans le secteur du tourisme, notamment. L’inquiétude est très forte et les chefs d’entreprise ont souvent beaucoup plus de travail.

Certains patrons vivent-ils mieux la situation que d’autres ?

Chacun la vit à sa manière. Un dirigeant m’a confié n’avoir jamais été aussi en forme car il ne voyage plus. S’il enchaîne les réunions pour faire face à la crise, il n’est plus en permanence décalé et sur la brèche. Certains sont galvanisés par cette dynamique compliquée et se révèlent complètement. D’autres sont dans la souffrance et il faut les aider à traverser cette période pénible où ils ont tendance à culpabiliser, notamment en cassant la solitude et en échangeant avec eux. L’environnement dans lequel se trouvent les dirigeants joue aussi. Certains sont confinés dans leur maison de campagne, entourés de leur famille. D’autres montrent l’exemple en étant sur le terrain pour soutenir leurs équipes. La manière dont ils se préservent de ce surinvestissement et de la charge émotionnelle se révèle très importante.

Un chef doit réduire l’incertitude

Quels sont vos conseils ?

Il s’agit de faire réfléchir les dirigeants sur leur rôle dans le contexte actuel. Prenons le contre-exemple du discours du Premier ministre sur le plan de déconfinement devant l’Assemblée nationale. Si l’on résume son propos : vous allez continuer à en "baver", ajoutant qu’il est compliqué de vous dire ce qui va se passer, que cela dépend de différents paramètres et donc, que nous verrons. Au lieu de réduire l’incertitude, il l’augmente, probablement sous l’emprise de ses émotions. Il complexifie au lieu de simplifier et de donner un souffle. Un chef doit réduire l’incertitude. Les dirigeants sont à la tête d’un bateau qui traverse le brouillard et ne savent pas s’il y a des rochers devant eux. Néanmoins, ils connaissent leur équipage ainsi que leur navire et savent ce sur quoi ils peuvent agir. Ils communiquent cela à leurs équipes. Leur capacité à réussir en dépend.

Vous avez mis au point une méthode, décrite dans votre livre "Managers, faites-en moins", qui consiste à créer une stratégie autour de priorités managériales. Peut-elle s’appliquer actuellement ?

"Faites-en moins" consiste à dire que le manager est plutôt dans la perspective, qu’il passe les relais et simplifie. Là, nous sommes davantage dans une phase où il reprend la main. Je les encourage à aller sur le terrain et à montrer, à ceux qui sont en première ligne, qu’ils sont vraiment présents.

En visioconférence, vous perdez la finesse de l’échange

Pensez-vous que le rapport des dirigeants au télétravail va évoluer ?

Pour beaucoup d’entre eux, le mythe selon lequel le télétravail ne fonctionne pas se casse avec le confinement. Ils sont souvent très étonnés de voir à quel point les équipes sont efficaces et ils font donc davantage confiance. Les réunions sont plus courtes et les collaborateurs moins souvent interrompus. Néanmoins, il est beaucoup plus compliqué de traiter les sujets complexes sans se voir. La communication passe en grande partie par le non-verbal. En réunion, lorsqu’un élément secoue les esprits, vous pouvez relancer untel ou untel en fonction des postures et jeux de regards. En visioconférence, vous perdez la finesse de l’échange. Autre risque : celui des personnes qui s’isolent et manquent de soutien social alors même que celui-ci est nécessaire pour bien gérer le stress. Les managers doivent leur consacrer du temps afin de comprendre la situation dans laquelle ils se trouvent. De manière plus globale, tout le monde n’aura pas vécu le même confinement et il faudra réaligner les acteurs les uns par rapport aux autres pour limiter les risques de tensions.

Quels pourraient être les freins à la reprise ?

Le danger est énorme de se focaliser uniquement sur les sujets sanitaires, en oubliant l’économie. Celle-ci ne repartira qu’avec la résilience des acteurs et la dynamique collective. Le ministère du Travail a publié des règles pour la fin du confinement, impossibles à mettre en œuvre pour les PME. Comme désinfecter les locaux tous les jours entièrement et ce que l’on touche, tels que les sanitaires, plusieurs fois dans la même journée. Cela nécessite un technicien à temps plein. Si vous ne pouvez pas le rémunérer et que vous ne respectez pas ces règles, vous prenez un risque pénal. Nous sommes dans une situation où le risque zéro n’existe pas, l’administration met en place des règles inapplicables et refuse le partage de ce risque par les acteurs.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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