En février, le conseil d’administration d’Engie a décidé de ne pas renouveler le mandat de sa directrice générale. L’action des dirigeants mais aussi celle des administrateurs sont régulièrement évaluées. Sur quoi ces analyses sont-elles fondées ? Éléments de réponses.

Décideurs. Qui contrôle l’action des dirigeants ?

Emeric Lepoutre. Les dirigeants sont évalués par le conseil d’administration, son président, le comité des nominations et des rémunérations ainsi que le comité de gouvernance, qui examinent si les objectifs fixés annuellement sont atteints. Ils sont jugés sur leur performance (croissance du résultat net, réalisation d’acquisitions, etc.), sur leurs qualités managériales ainsi que sur leur capacité à retenir et attirer des talents. Ils doivent par ailleurs savoir interagir à la fois avec bon sens et sens politique avec les actionnaires et le conseil d’administration. Et depuis quelque temps, leurs politiques de diversité et de RSE se sont également greffées à ces critères.

Les conseils d’administration sont eux-mêmes évalués, comment cela se passe-t-il ?

Le code Afep-Medef et le Haut comité de gouvernement d’entreprise (HCGE) recommandent une évaluation des conseils tous les ans en interne et tous les trois ans par des consultants externes. Le processus dure en moyenne deux mois et je rencontre chaque administrateur environ deux heures. Les questions portent sur le fonctionnement du conseil, de ses comités, sur le mode de gouvernance, le processus de réflexion sur la stratégie. S’il y a parfois des réponses « politiquement correctes », je remarque que la langue de bois est écartée à la fois par les administrateurs les plus anciens et les administratrices les plus jeunes.

À votre avis, pourquoi la directrice générale d’Engie n’a-t-elle pas été renouvelée ?

Il y a deux façons d’analyser la situation. Ceux qui ne connaissent pas le dossier estiment que « c’est une injustice faite à une femme ». Ceux qui connaissent le dossier disent que « si cela avait été un homme, il aurait peut-être été remplacé plus tôt ». Les objectifs financiers et opérationnels n’étaient d’une part pas tous atteints, selon le conseil d’administration, et elle s’est d’autre part, à mon sens, tiré une balle dans le pied, notamment mi-décembre en accordant une interview au Figaro où elle affirmait craindre « que l’État (ne) démantèle Engie », ce qui n’était pas du tout le cas. On ne peut pas jouer à la politique de la terre brulée avec 160.000 familles de salariés lorsqu’on est en responsabilité. Et ce n’est pas non plus servir la cause des femmes que de dire qu’Isabelle Kocher a été évincée à cause de son genre, comme l’aurait dit Françoise Giroud à sa façon en son temps. D’ailleurs, il y a plusieurs dirigeantes de très haut niveau qui peuvent assurer la relève. Notre pays ne manque pas de talents au féminin, numéros 1 inclus. Reste à savoir si l’évaluation du fonctionnement du conseil d’administration qui a été réalisée avant ces événements avait identifié ces dysfonctionnements. D’où l’utilité d’une évaluation professionnelle, constructive et courageuse.

Est-il plus facile pour un dirigeant d’opérer dans une société détenue partiellement par l’État ?

L’agenda et le calendrier de l’État ne sont pas toujours les mêmes que ceux des dirigeants d’une société sous contrôle étatique (totalement ou même partiellement). D’une part (jusqu’à 2017) ce n’était pas dans son ADN d’être un entrepreneur. Par ailleurs, les interlocuteurs - de Bercy à Matignon, en passant par l’Élysée - sont démultipliés - ce qui complexifie les processus de décision. Cela dit, dans le cas d’Engie, estimer que l’État était en faveur d’un démantèlement et contre la politique de transition écologique du groupe est faux. Un tel démantèlement n’a jamais été envisagé par l’État, et par ailleurs, si Engie a pu opérer cette transition écologique c’est bien parce que l’État, détenteur de 23 % du capital, l’avait soutenue.

Quel est le secret de longévité de certains leaders ?

C’est avant tout l’efficacité dans la discrétion. Ce sont aussi des patrons (hommes ou femmes) qui font preuve de loyauté envers les actionnaires, le conseil d’administration et les collaborateurs. Des personnes à la fois pleines d’humanité et de sang-froid qui savent agir avec panache et courage en période de crise. Et sans cesse visionnaires sur les changements stratégiques à réaliser.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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