La finance est encore un secteur très masculin. Le venture capital ne fait pas exception. Pourtant, les initiatives se multiplient pour insuffler à ce milieu un peu plus de diversité. Colette Ballou, limited partner de Ballou Capital qui investit dans différents fonds de capital-risque tel que Cavalry Ventures, connaît bien l’environnement des start-up pour avoir travaillé de nombreuses années dans la Silicon Valley. Loin de se montrer fataliste, elle plaide pour une féminisation accrue du secteur et dévoile quelques pistes pour y parvenir.

Décideurs. Comment expliquer la faible féminisation du secteur du capital-investissement, particulièrement au sein des équipes d’investissement ?

Colette Ballou. Dans les sociétés de capital-risque, la proportion de femmes baisse progressivement au fur et à mesure qu’elles atteignent des postes à hautes responsabilités. Pour comprendre cette réalité, nous devons regarder en arrière : historiquement les sociétés de capital-risque et des entrepreneurs financés par ces sociétés sont constituées majoritairement d’hommes. Un grand nombre d’entre eux sont devenus les investisseurs d’aujourd’hui, reproduisant sans le vouloir les codes issus du monde d’hier. Il est important d’encourager et de prendre part à un mouvement qui soutient des actions concrètes pour plus de diversité. Malgré la progression du nombre de femmes entrepreneures, ce schéma est loin d’être aboli. En 2018, en France, les hommes représentaient 77 % des entrepreneurs dans la Tech selon l’Insee. Néanmoins, voyons le verre à moitié plein. De plus en plus de femmes deviennent entrepreneures et de plus en plus de sociétés d’investissement estiment que le manque de diversité est un problème. Selon le collectif Sista « en France plus de 97 % des financements alloués par les 10 principaux fonds français l’ont été à des hommes ». Une situation qui découle évidemment du manque de diversité des équipes d’investissement. Or, sans cette diversité, les fonds d’investissement prennent le risque de manquer de belles opportunités.

La situation est-elle identique quel que soit le pays considéré ? Y a-t-il des meilleurs élèves que d’autres ?

D’après mes observations, certains pays intègrent davantage cette notion de diversité dans leur écosystème. Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’Allemagne a encore beaucoup de progrès à faire en matière de diversité par rapport aux autres pays européens.

"Les millennials apportent une nouvelle manière de voir les choses et une pluralité de points de vue. Leurs valeurs sont en accord avec leur époque et la diversité y occupe une place de choix"

L’Angleterre, la France et les pays nordiques sont les meilleurs élèves. Dans ces pays, de plus en plus de femmes deviennent associées ou « general partners » dans les sociétés de capital-risque. En France elles représentaient d’après la dernière étude Deloitte, 24 % en 2016, soit une hausse de 8 points par rapport à 2010. L’un des principaux challenges pour les années à venir sera de recruter plus de femmes et de les faire progresser au sein des sociétés d’investissement car c’est par la base que le changement peut se faire.

Quelles implications concrètes ce manque de diversité implique-t-il ?

D’après la dernière étude conjointe publiée par Oliver Wyman, IFC et RockCreek, les fonds de private equity et de venture capital dont les équipes respectent au mieux la parité hommes/femmes génèrent entre 10 et 20 % de performance supplémentaire par rapport aux fonds dont la majorité des dirigeants sont soit des hommes, soit des femmes. D’ailleurs, en 2018, les femmes ne recevaient que 2,2 % (en valeur totale) des financements des fonds de capital-risque dans le monde. Ce chiffre ahurissant souligne clairement les effets concrets d’un manque de diversité. Un exemple vaut mieux que des mots : imaginons une société de capital-risque accompagnant des entreprises spécialisées dans les produits pour le consommateur direct (DTC) gérées uniquement par des hommes blancs. Comment peuvent-ils comprendre les habitudes de consommation des femmes ou des minorités ? Sans diversité au sein d’une société de capital-risque, impossible de représenter la totalité des consommateurs. Sans compter que les entreprises conseillées auront une vision partielle du marché. Une hérésie. Le programme « Included VC » prend ce sujet à bras le corps et offre la possibilité aux sociétés de capital-risque partenaires de diversifier leurs réseaux, de rencontrer et d’accompagner des entrepreneur(e)s issu(e)s de tous horizons avec des profils très différents. Une initiative qui, si elle est suivie, incitera à plus de diversité avec davantage de femmes entrepreneures soutenues dans le secteur du ventures capital qui deviendront à leur tour investisseurs avec le temps.

L’arrivée progressive de la génération des millennials sur le marché du travail puis à des postes à responsabilité vous incite-t-elle à l’optimisme ?

Je suis très optimiste pour les générations qui arrivent sur le marché du travail. Les millennials représentent un tiers de la population mondiale et seront les travailleurs de demain. Ils apportent avec eux une nouvelle manière de voir les choses et une pluralité de points de vue susceptibles de modifier le paradigme. Par exemple, Backed VC est une société exclusivement composée de millennials. Leurs valeurs sont en accord avec l’époque dans laquelle ils vivent et la diversité y occupe une place de choix. Leur succès, ils le doivent au fait qu’ils comprennent leur marché et répondent aux besoins des entreprises qu’ils accompagnent.

"L’Allemagne a encore beaucoup de progrès à faire en matière de diversité. L’Angleterre, la France et les pays nordiques sont les meilleurs élèves"

Comment accélérer la trop lente féminisation du secteur ?

Le secteur du venture capital reste conservateur. Pour encourager sa féminisation, tout le monde à un rôle à jouer. Il faut en parler et il ne faut pas avoir peur d’organiser des actions pour faire bouger les lignes, chacun à son niveau. Je faisais référence à l’Allemagne et son manque de diversité, mais il existe néanmoins des personnalités qui font bouger les choses comme le Dr Jeanette Fuerstenberg à la tête de La Famiglia VC.

Pour ma part, en tant que limited partner dans des sociétés de capital-risque, je suggère, je questionne et parfois je bouscule pour faire entendre mon point de vue en matière de choix d’investissements ou de recrutement de profils qualifiés pour des directions financières. J’organise également des dîners avec dix à douze femmes investisseuses pour échanger dans un environnement bienveillant et les aider à atteindre leur but. Je m’investis aussi dans l’accompagnement des jeunes professionnelles curieuses, mais aussi souvent inquiètes des contraintes du secteur et de l’environnement pour leur donner l’envie de se lancer. Je veux changer la donne ! Créer un véritable dispositif de ressources pour ces femmes est une manière d’accélérer la féminisation du secteur et de le faire savoir. Il faut faire prendre conscience au milieu des VC que des femmes dirigeantes améliorent la qualité des débats et offrent un point de vue différent dont nous avons besoin dans un monde complexe et changeant.

Propos recueillis par Sybille Vié

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