Ancien conseiller économique du Président François Hollande, Jean-Jacques Barbéris est l’une des têtes pensantes du groupe Amundi. Aux Rencontres économiques d’Aix 2019, il a livré à Décideurs sa vision de la finance durable et des innovations qu’elle suppose.

Décideurs. Lors des dernières Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, vous avez déclaré que l’un des buts de l’asset management était de transformer des incertitudes en risques. Pourtant, certains aléas sont beaucoup moins déterminants qu’auparavant. Même l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis n’a pas particulièrement troublé les marchés financiers. De quelle nature sont aujourd’hui ces incertitudes ?

Jean-Jacques Barbéris. Plusieurs grandes questions posées par les investisseurs institutionnels d’Amundi sont clairement de nature géopolitique. Avec, en toile de fond, une interrogation fondamentale à laquelle personne n’a la réponse : les modalités de la transition entre la puissance américaine et la puissance chinoise.  Il y a une deuxième incertitude macro-économique à court terme : savoir où nous en sommes dans le cycle. L’évolution des modèles de démocratie libérale dans les contextes actuels, sujet ô combien politique, joue aussi beaucoup, tout comme les problématiques environnementales. Dans l’asset management, une part de notre métier est de convertir les incertitudes de notre monde en risques mesurables et de les quantifier en s’appuyant sur des données. Par exemple, pour l’un des fonds thématiques, nous investissons dans les entreprises selon qu’elles suivent une trajectoire compatible avec les accords de Paris. Nous mesurons et investissons selon l’évolution des émissions du dioxyde de carbone.

"En septembre, nous allons lancer un fonds qui intègre la problématique des inégalités sociales"

En septembre, nous allons lancer un fonds qui intègre la problématique des inégalités sociales. Quand les inégalités augmentent trop dans un pays, elles créent des turbulences politiques potentiellement destructrices de valeur. Nous définissons un univers d’investissement qui tente de mieux intégrer cette question, tout en rémunérant les clients.

Y a-t-il de nouvelles data qui permettent de cerner les risques que vous venez d’évoquer ?

Vous avez beaucoup de données sur les sujets environnementaux. La Conférence de Rio s’est tenue en 1992 : nous disposons maintenant d’un véritable historique sur ce thème, même si des standards de data n’ont pas été tout de suite mis en place. Sur les questions relatives au climat, au CO2, on trouve donc de la donnée exploitable, des benchmarks de référence. Sur les thématiques sociales, on peut avoir recours notamment aux éléments issus des gouvernances d’entreprise, par exemple les rapports annuels. À l’opposé, Il existe des sujets sur lesquels il n’y en a pas du tout. C’est à la communauté financière, aux sociétés de gestion, aux agences de notation ESG et autres fournisseurs d’indice de la constituer. Par définition, nous avons besoin d’en dégager pour avoir une métrique.

La gestion thématique n’a jamais été autant en accord avec les grands objectifs de l’ONU. Des produits, notamment via votre filiale CPRAM, sont créés autour de l’alimentation, de l’éducation… Depuis quand et pourquoi arrive-t-on à dégager de la performance sur de la bienveillance ?

La gestion thématique identifie des univers particulièrement créateurs de valeur et nous essayons de les rendre aussi accessibles que possible à certaines catégories d’investisseur. Avec CPRAM, nous avons ainsi développé le fonds CPR Invest – Disruptive Opportunities sur un éventail d’entreprises participant de la disruption technologique. Ce produit rend ainsi accessible la valeur dégagée à une clientèle retail. En effet, il s’agit d’univers plus liquides et, a fortiori, moins risqués que de l’investissement en private equity technologique. L’investissement se conjugue aussi de plus en plus avec la quête de sens. En tant qu’asset manager, nous essayons de mesurer les performances générées par les objectifs de développement prônés par l’ONU. C’est le meilleur moyen de déployer des actions constructives et globales sur ces thématiques. De plus en plus d’investisseurs se préoccupent de ces sujets, notamment pour des raisons de responsabilité fiduciaire. Aux Pays-Bas, certains grands comptes réfléchissent même à leur allocation d’actifs à travers les SDGs (Sustainable Development Goals).

Y a-t-il encore des zones géographiques hors du champ de l’asset management ?

Les investisseurs ne vont pas naturellement vers certaines zones géographiques, car ils ne sont pas prêts à absorber une trop forte volatilité ou à accepter certains risques. Chez Amundi, nous avons la conviction que nous pouvons capter la rentabilité de certaines parties du monde en croissance, tout en rassurant nos clients. Dans ce but, nous créons des instruments mixtes. C’est cette stratégie qui a porté Amundi Planet Emerging Green One, le plus gros fonds d’obligations vertes au monde dans les pays émergents. Nous nous sommes associés avec l’IFC (International Finance Corporation), la filiale de la Banque mondiale. L’IFC a investi dans la tranche la plus risquée du fonds, ce qui induit qu’elle était en première perte. Grâce à cette association, on améliore considérablement le profil de risque du produit, en comparaison d’un investissement classique en emerging. Ce type d’outil est en mesure de créer un déclic, de rassurer. D’ailleurs, plusieurs de nos clients institutionnels ont investi pour la première fois dans les géographies émergentes à l’occasion de ce fonds.

Olivier Millet (France Invest) a déclaré à Aix que « la gestion passive était une inutilité ». Qu’en pensez-vous ?

L’essor de la gestion passive correspond à une demande des investisseurs. Ils veulent, sur certaines parties de leur portefeuille, répliquer la performance du marché. Amundi est un gérant d’actifs qui se veut agnostique. C’est par la combinaison de l’ensemble des types de gestion et des classes d’actifs qu’on apporte de la valeur à nos clients. Nous sommes l’un des seuls gérants au monde à avoir cette approche-là.

Des pistes évoquées, lors de cette dernière édition des Rencontres économiques font-elles écho au développement du groupe Amundi ?

Quand Sigmar Gabriel, le président du SPD allemand, déclare qu’il faut faire attention « à ne pas donner l’impression que l’Europe est composée de végétariens dans un monde de carnivores », on ressent ce besoin d’une Europe puissante. D’une certaine manière, cela correspond à la volonté d’Yves Perrier, le directeur général d’Amundi, de créer un leader européen dans l’asset management. Cela répond à notre mission d’être une alternative aux grandes sociétés de gestion américaines.

Propos recueillis par Nicolas Bauche

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