Arrivé en pleine réorganisation de la direction du groupe Edenred, Patrick Bataillard est à la tête de la DAF du groupe depuis novembre 2015. Il nous fait part des transformations de l’inventeur des titres-restaurant.

Décideurs. Quel est le périmètre de la DAF d’Edenred ?

Patrick Bataillard. Mon spectre est relativement classique. Contrairement à d’autres directions financières, je ne couvre ni le juridique, ni les systèmes d’information. En revanche, le M&A, qui est au cœur de la stratégie de la société, fait partie intégrante de mon périmètre. Hormis ces spécificités, l’essentiel de mes troupes est dans le contrôle financier, qui inclut le reporting, la consolidation, la comptabilité au niveau de la société mère – celle-ci est décentralisée dans nos implantations géographiques – et la direction de la performance. Nous nous chargeons également des aspects trésorerie et finance, audit interne, taxes, communication financière et relations investisseurs. Ce dernier point est un sujet important chez Edenred, puisque notre « flottant » a la particularité de représenter près de 100 % de notre capital. La plupart de nos actionnaires, avec lesquels nous entretenons de bons rapports, sont anglo-saxons.

Au-delà de ces aspects purement financiers, avez-vous d’autres missions ?

Dans une société très décentralisée, une organisation que nos managers apprécient, il convient de gérer au niveau du groupe un certain nombre de sujets pour jouer sur l’effet de taille. J’ai donc créé une fonction purchasing, qui a pour vocation de mettre en commun certains achats au niveau mondial. Aujourd’hui, lorsque nous avons besoin d’un produit ou d’une solution partout dans le monde, l’équipe achats s’en occupe. En revanche, à l’extrême inverse, dans le cas d’un besoin local avec un fournisseur local, le rôle de l’équipe centrale se limite à l’apport d’éléments de bonne pratique auprès de l’acheteur local. Au total, je dirige 80 personnes en direct et j’ai des relations non hiérarchiques avec les directeurs financiers de chacun des pays, qui animent eux-mêmes des équipes, soit une communauté d’environ 700 financiers à l’échelle du groupe.

Edenred est présent dans 46 pays. Comment gérez-vous les risques liés à l’international ?

C’est un sujet structurant, notamment dans notre business d’avantages aux salariés, qui représente 65% de nos activités, puisque nous devons agir localement, tout en faisant partie d’un groupe coté en Bourse qui doit être parfaitement compliant et transparent dans ses actions. Ainsi, nous sommes une organisation décentralisée sur l’approche du marché, les relations avec les autorités et les aspects commerciaux et marketing, d’autant que nous faisons en sorte que nos managers puissent agir comme des entrepreneurs. Cependant, nous avons les contraintes d’une société cotée, de sorte que toutes les fonctions régaliennes, de contrôle, sont peu ou prou placées sous la responsabilité de membres de l’équipe exécutive du groupe.

La finance s’applique sur des sujets comme le contrôle : les filiales produisent un reporting sur les plateformes uniques du groupe, où la trésorerie est centralisée. Même si le cash ne franchit pas les frontières, il est contrôlé par une équipe centrale. L’équipe d’audit interne est assez musclée au siège et intervient régulièrement sur l’ensemble des activités et des filiales du groupe.

Un directeur financier d’un pays est rattaché au dirigeant opérationnel dudit pays. Nous veillons, pour des objectifs élémentaires de contrôle interne, qu’il n’y ait pas de collusion possible entre les deux, donc la plupart du temps ces binômes sont constitués d’un manager local et d’un expatrié. Nous avons pour principe que les directeurs financiers changent régulièrement de pays pour éviter les risques, de perdre leur indépendance par rapport à la chose contrôlée. Par ailleurs, beaucoup sont volontaires à l’idée d’aller passer quelques années dans un pays puis d’apporter leurs compétences dans d’autres, d’autant que c’est souvent synonyme de promotion.

« Entre 5 et 10 % de notre budget informatique, qui s’élève à environ 200 millions d’euros, sont dédiés à la prévention de la cybercriminalité »

Le fonds de venture, Edenred Capital Partners, qui a récemment investi dans Fretlink, fait-il partie de votre champ d’action ?

Edenred Capital Partners est une structure dédiée, qui identifie des opportunités d’investissement et d’accompagnement de jeunes entreprises, soumises à un comité des investissements constitué du CEO, du directeur de la stratégie et de moi-même. Sa vocation est de maintenir une veille sur ce qui se passe dans notre environnement. Nous préférons investir de façon minoritaire dans des expériences nouvelles susceptibles de nous intéresser. Si un intérêt stratégique se dégage, nous pouvons ultérieurement proposer aux fondateurs de ces sociétés de rejoindre le groupe et de devenir des filiales détenues majoritairement par Edenred. Fretlink, une plateforme d’intermédiation entre transporteurs routiers et grands donneurs d’ordre, appelés chargeurs, en est un bon exemple. Le deuxième métier d’Edenred, celui de la mobilité, proposait initialement des cartes de paiement de carburant. Nous essayons désormais d’apporter d’autres services qui contribuent à intéresser et fidéliser nos clients, notamment l’accès à des stations de lavage, le paiement des péages, la récupération de la TVA pour les transporteurs internationaux et la télématique. Il y a une complémentarité évidente entre Fretlink et Edenred.

Où en est la digitalisation au sein d’Edenred ?

Aujourd’hui, plus de 85 % de nos solutions sont digitales. Dans de nombreux pays, notre solution de titre-restaurant, Ticket Restaurant, est totalement dématérialisée, et la France est l’un des derniers où nous n’avons pas basculé complètement du papier à la carte, une première étape vers le paiement mobile. Les Français sont rarement des early adopters ; en revanche dès que nous sommes convaincus d’une solution, la transition est très rapide. Outre l’activité d’avantages aux employés, 35 % de notre activité concernent les solutions de mobilité professionnelle ou de corporate payment, un monde nativement digital.

La deuxième strate en matière de digitalisation est la transformation de nos organisations. Nous sommes à des degrés de maturité différents : les fonctions marketing, communication et commerciales sont très digitales, alors que les fonctions de back-office en général et les fonctions financières en particulier vont chercher dans l’évolution digitale ce qu’il y a de bon à prendre. Nous travaillons sur des sujets de RPA, robot process automation, et de business intelligence, puisque nous traitons énormément de données et ces outils nous permettent de décupler nos capacités d’analyse.

Concrètement, à quoi cela ressemble-t-il ?

La business intelligence facilite le tri de données. Dans un environnement hétérogène avec autant de systèmes d’information différents, vous pouvez constituer un data lake, ce qui est facile à faire au plan informatique, puis des requêteurs, qui sont des outils de business intelligence, calculent un certain nombre d’indicateurs financiers. C’est donc un outil flexible qui extrait des données sous des formats qui ne communiquent pas naturellement. La machine, qui « prémâche » le travail d’un contrôleur de gestion, lui permettra de se concentrer sur la partie intéressante consistant à analyser la donnée plutôt qu’à la fabriquer.

La RPA automatise des processus répétitifs, rébarbatifs et sans valeur ajoutée, comme la réception mensuelle de factures fournisseurs au même format, par exemple, dont l’écriture peut être générée automatiquement.

« Les Français sont rarement des early adopters ; en revanche, dès que nous sommes convaincus d’une solution, la transition est très rapide »

Au-delà des missions régaliennes de la DAF, quels chantiers comptez-vous mener ?

Pour rebondir sur la digitalisation, il s’agit d’une tendance long terme qu’il faut amorcer, puis donner les moyens aux équipes de s’en emparer. Dans les sujets plus transversaux qui nécessitent davantage de structuration, l’optimisation de nos ressources financières est toujours un sujet d’actualité. Il faut maintenir une veille permanente, améliorer la génération de cash et aller chercher sur le marché les meilleures ressources que sont l’endettement et de nouveaux actionnaires notamment.

Le deuxième point est celui du contrôle interne. Une entreprise innovante, et digitale en particulier, même dans le BtoB, est en permanence sous la menace de hackers, qui nous oblige à redoubler d’attention et d’être au fait des dernières évolutions de protection contre des attaques cybercriminelles ou des utilisations frauduleuses des moyens de paiement mis à la disposition de nos clients.

Le troisième chantier transversal est celui de la compliance. En tant que société européenne cotée, nous sommes soumis à des réglementations qui s’appliquent à nous crescendo, telles que la protection des données personnelles, les régulations spécifiques à notre métier comme la e-money, mais surtout la loi Sapin 2. Nous allons nous appuyer sur cette contrainte pour en faire une opportunité et réduire considérablement le risque de corruption.

Comment vous prémunissez-vous contre le risque de cybercriminalité ?

Au niveau de la direction financière, l’ensemble des équipes d’audit interne est impliqué. C’est un sujet sur lequel il convient de rester toujours extrêmement modeste ; personne n’est protégé définitivement contre la cybercriminalité puisque ce risque évolue en permanence. Aussi, l’essentiel de nos coûts et de notre énergie est dépensé au sein de l’équipe IT. Nous consacrons des moyens considérables à la sécurité informatique, qui travaille très étroitement avec l’équipe d’audit interne. Entre 5 et 10 % de notre budget informatique, qui s’élève à environ 200 millions d’euros, sont dédiés à la prévention de la cybercriminalité.

À quoi ressemblera votre métier à moyen terme ?

Je crois beaucoup aux choses simples. Le directeur financier sera toujours le bras droit du dirigeant sur la mesure de la performance, la pérennité des opérations et le contrôle interne. Un des enjeux du directeur financier, notamment pour une société cotée, c’est d’être un bon communiquant. La revalorisation de la capitalisation boursière d’Edenred, qui a été multipliée par environ 2,5 ces trois dernières années, n’est pas uniquement le fruit de notre travail, mais aussi celui de notre capacité à l’expliquer. Le directeur financier doit devenir un véritable un gestionnaire d’hommes et de femmes, car la ressource rare, ce sont les talents. Il faut savoir aller les chercher, les faire évoluer, leur donner envie de poursuivre l’effort. C’est une dimension que je trouve importante.

Propos recueillis par Anne-Gabrielle Mangeret

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