À l’heure où les performances des marchés financiers sont en demi-teinte, une large partie de la clientèle haut de gamme émet des besoins de plus en plus ciblés. Entre quête de rendement et de sécurité à long terme, le Luxembourg présente des arguments non négligeables. Thierry Porté, (OneLife), Alain Massiera (Rothschild Martin Maurel), Édouard Boscher (Ardian) et Jean-Marie Paluel-Marmont (AFFO) évoquent la collaboration entre leurs métiers dans un environnement en constante évolution.

Décideurs. Comment le marché de l’assurance vie luxembourgeois appréhende-t-il l’appétence grandissante des souscripteurs pour le private equity ou l’immobilier ?

Thierry Porté. Si l’on part du point de vue du Luxembourg, c’est une question d’offre et de demande. La clientèle fortunée assiste à une longue période de taux bas et se met en quête de diversification. Dès lors, c’est avec un certain intérêt qu’elle regarde les produits de private equity. D’un côté, on observe des acteurs comme Ardian, qui proposent de beaux produits, avec des fonds généralistes et spécialisés qui offrent de nombreuses possibilités à la clientèle. De l’autre, le Luxembourg dispose de règles d’investissement et d’éligibilité des actifs qui sont bien plus flexibles que dans d’autres pays. À ce titre, le private equity, tout comme les fonds immobiliers sont éligibles d’après les limites émises par le Commissariat aux assurances.

Alain Massiera. Le private equity est une classe d’actifs indéniablement très recherchée par la clientèle privée, notamment sur le segment des high-net-worth-individuals. Le non-coté a la particularité d’être une classe d’actifs très résistante sur le long terme, notamment avec des périodes de hausse et de baisse. Chaque année, nous mettons en place deux ou trois fonds de private equity, qu’ils soient maison ou externes. Pour le cas du résident français, c’est très simple. L’investissement peut être inséré dans un compte-titre, en gardant en tête l’application de la flat tax. Mais il est également possible de réaliser le placement dans un véhicule capitalisant, telle qu’une holding française ou luxembourgeoise. Concernant un placement réalisé au Grand-Duché, il est possible de recourir au fonds interne dédié (FID), puisqu’en France la législation n’est pas forcément adaptée à une clientèle haut de gamme. C’est la solution que nous retenons, principalement chez Rothschild Martin Maurel. Environ 7 % des placements de nos clients sont faits sur des actifs non-cotés, en comparaison de la moyenne française qui est de 0,5 %. En plus des FID, le Luxembourg offre également les fonds d’assurance spécialisé (FAS), thématique sur laquelle nous avons commencé à travailler depuis un an.

Édouard Boscher. Il faut avoir en tête que le private equity est contenu dans des fonds fermés, dont les actifs sont illiquides, ce qui induit d’avoir un profil d’investisseur de long terme. En effet, il faut prévoir environ dix ans entre la date de lancement du fonds et celle de sa clôture. Nos clients, historiquement, sont des fonds de pension à 45 %. Les assureurs représentent le second type d’investisseurs avec lesquels nous travaillons. Les placements de ces derniers sont constitués d’épargne longue avec une grande part d’actif général et peu de contrats en unités de compte. Cela s’explique, entre autres, par le fait que l’on n’arrivait pas à offrir de la liquidité, sauf au Luxembourg. Ensuite, on remarque, comme troisième clientèle, les UHNWI, une activité en pleine croissance. Ce sont d’ailleurs les banques privées qui nous permettent d’accueillir cette clientèle finale et qui démocratisent l’accès à cette classe d’actifs.

Jean-Marie Paluel-Marmont. Je ne peux que confirmer l’appétence des family offices pour le private equity. La phase de méconnaissance est derrière nous. Il y a quelques années, toutes les familles souhaitaient faire du private equity, avec l’idée qu’en tant qu’entrepreneurs ils connaissaient parfaitement la thématique. Toutefois, l’exercice se révèle bien différent de la gestion d’une filiale. Par ailleurs, évidemment, l’outil de portage luxembourgeois est formidable. Il est meilleur que ce qu’on peut avoir en France, aussi bien sur les aspects juridiques et financiers, qu’au regard des considérations liées à l’investissement de long terme. Pour ces raisons, les family offices auraient tort de se priver de ce type d’outil.

Le Luxembourg dispose-t-il vraiment d’un avantage compétitif face au marché français ?

A. M. Les assureurs luxembourgeois ont une bonne connaissance des fonds de private equity, notamment avec des véhicules tels que le FID ou le FAS. Cette expertise est remarquable, car la durée de vie des fonds est très longue et cela implique un suivi extrêmement minutieux. Notre travail avec les assureurs luxembourgeois est fondé sur deux lignes directrices : démocratiser plus et mieux diviser les risques. L’avenir du fonds luxembourgeois est loin devant, bien que la loi Pacte freine les assureurs français en interdisant l’apport de titres, même pour des contrats d’assurance vie luxembourgeois. Cela peut créer un léger handicap. La solution pour apporter des titres est de souscrire, depuis le début, un fonds dédié, car, si la loi Pacte passe, on ne pourra plus apporter de titres dans un contrat d’assurance vie.

T. P. Le Luxembourg dispose de nombreux avantages importants, comme le triangle de sécurité qui représente un argument supplémentaire pour le client souhaitant investir dans le private equity. Un autre élément notable est le processus de prise en charge d’un tel produit. Cela demande une collaboration avec la banque privée, ainsi qu’une grande pédagogie avec le client, au même titre que la méthode d’évaluation de l’investissement. On trouve au Luxembourg toutes les expertises qui permettent de travailler à un excellent niveau, que ce soit sur le private equity ou l’immobilier.

É. B. La réglementation est devenue très compliquée pour accueillir en direct des clients PP dans des fonds de private equity. Le gros avantage que nous voyons à travailler avec des banques ou des assureurs luxembourgeois est que cela institutionnalise ces clients. Assureurs et banquiers privés apportent une vraie solution. Les fonds de pension c’est 35 trilliards de dollars partout dans le monde, les HNW c’est plus du double. Il faut donc trouver le canal pour accueillir cette épargne de long terme.

J.-M. P.-M. Pour un family office, le meilleur schéma serait de faire du private equity en direct, par exemple en co-investissement avec d’autres familles, sans payer de carried interest. Toutefois, ce n’est pas la solution traditionnellement utilisée. Les véhicules de co-investissement sont nécessaires pour être en mesure de prendre des décisions. Et la nature du véhicule choisi est importante pour déterminer le mécanisme de prise de décision.

Propos recueillis par Yacine Kadri

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