Dans l’environnement actuel de taux bas, la diversification seule ne suffit plus pour espérer dégager un rendement. Le risque, maîtrisé, s’impose pour obtenir de la performance. À condition de se faire accompagner et conseiller pour ne pas craindre une surexposition. Guillaume Lucchini (Scala Patrimoine), Géraldine Métifeux (Alter Égale), Stéphane Rudzinski (Rhétorès Finance) et Jérémy Suissa (Privalto) livrent leurs conseils et décryptent les prochains défis de leurs métiers.

Décideurs. Dans la conjoncture actuelle, le risque est-il devenu obligatoire pour obtenir de la performance ?

Géraldine Métifeux. Absolument. Dans un environnement à taux zéro, il est impossible d’obtenir du rendement sans risque. D’autant plus quand l’inflation est passée à 2 %.

Stéphane Rudzinski. Trouver du rendement sans trop s’exposer est encore possible mais il faut bien chercher. Il existe par exemple des nouvelles générations de fonds en euros avec une espérance de rendement compris entre 0 et 6 %, avec un capital garanti ou encore des fonds en euros à prédominance immobilière dont la rentabilité sera probablement encore supérieure à 3% en 2018. Les dirigeants de personnes morales qui ont accès aux contrats de capitalisation en sont très friands pour optimiser la trésorerie de leur société.

Guillaume Lucchini. Je suis tout à fait d’accord : seule la prise de risque est rémunératrice aujourd’hui. Certes, de nouveaux supports offrant des taux intéressants apparaissent, type fonds euros, mais leur rendement est toujours conditionné au risque puisque tout le capital n’est pas garanti. Dans ce contexte, c’est au conseil de parvenir à cibler le profil et les objectifs du client pour moduler son niveau de risque.

Jérémy Suissa. Générer de la performance sans prendre aucun risque est devenu mission impossible dans l’environnement de taux ultra bas que nous connaissons. La montée en puissance des unités de compte dans l’assurance vie montre que les épargnants ont bien compris ce message. En 2018, les UC, qui n’offrent pas la garantie du capital, représentent 30 % des cotisations contre 20 % en 2016. L’étape suivante consistera à déterminer le type de prise de risque adaptée à chaque client en fonction de son profil, ses objectifs, son horizon de placement… Enfin si prendre du risque est devenue une condition nécessaire pour obtenir de la performance, il est important de rappeler que toutes les prises de risque ne se valent pas et qu’il ne suffit pas d’avoir une allocation sur des supports d’investissement dynamiques pour obtenir systématiquement la performance espérée.

Vos clients ont-ils une attitude sereine face au risque ?

G. M. Pour beaucoup de clients, prendre un peu de risque n’a pas beaucoup de sens. Les fonds prudents, par exemple, sont très souvent déceptifs puisque l’obligataire n’est pas porteur et qu’avoir un fonds négatif dans un marché qui n’est pas si catastrophique est difficilement acceptable. Je pense donc qu’il est plus compréhensible et facile de faire prendre un vrai risque au client, en l’accompagnant dans ce risque.

S. R. Tout dépend du client ! Pour les personnes morales, la volatilité sur la trésorerie est très mal acceptée, il est donc difficile de leur faire prendre du risque. Ils optent pour des solutions garanties très fortement, avec une grosse pondération sur les fonds euros et sont ravis de gagner entre 1,6 % et 2 %. Les personnes physiques au contraire, comprennent qu’on ne peut pas s’exonérer du risque pour aller chercher du rendement. Il est plus facile d’emmener les particuliers sur des allocations plus volatiles.

« Le vrai atout du structuré, c’est qu’il s’agit d’un produit sur mesure »

G. L. La clientèle sait qu’il faut prendre des risques pour obtenir un rendement mais il est toujours compliqué de lui annoncer une performance négative. La relation de confiance qui nous unit peut en pâtir alors même qu’un rendement négatif doit être remis en perspective avec un horizon d’investissement de plusieurs années. Il faut toujours jongler entre ce que veut le client intérieurement et ce qu’il est prêt à entendre. Au risque de perdre sa confiance.

G. M. Le risque est plus accepté par les clients quand il le leur est expliqué. Bien sûr, perdre de l’argent ne leur fait pas plaisir mais s’ils comprennent que les rendements négatifs ne sont que temporaires, ils sont prêts à l’accepter dans la grande majorité des cas.

J. S. Pour être serein face au risque, il faut concilier la diversification pour ne pas concentrer son risque sur une seule stratégie et le risque pris. Ce dernier point est d’ailleurs une caractéristique forte de la classe d’actifs des produits structurés. Ces solutions proposent aux investisseurs un « deal » à visibilité totale : l’horizon du placement, le sous-jacent, l’objectif de gain et ses conditions d’obtention ainsi que le seuil de protection du capital à l’échéance sont déterminés dès le départ. À titre d’exemple, Privalto a proposé cette année un produit structuré exposé à l’indice Eurostoxx 50 qui offrait une protection totale du capital à l’échéance du placement si l’indice ne perdait pas plus de 50% par rapport à son niveau d’origine. Concrètement, une telle baisse renverrait l’indice à son niveau de 23 ans en arrière. De quoi donner de la sérénité à un investisseur qui souhaite prendre un risque action !

S. R. Le produit structuré est une classe d’actifs à part entière. Chez Rhétorès, nous n’en proposons que très rarement aujourd’hui. Nous en étudions en revanche beaucoup. Il est certain que ces produits d’investissements ont toute leur place dans les allocations de nos clients personnes physiques ou morales. Il est toutefois absolument nécessaire de faire preuve d’une grande vigilance et d’une grande sélectivité dans les produits que nous sommes susceptibles de proposer. À titre d’exemple, de nombreux produits structurés sont construits sur la base d’indices synthétiques qui sont susceptibles d’avoir des comportements bien différents des indices classiques.

G. M. Le vrai atout du structuré, c’est qu’il s’agit d’un produit sur mesure. Cette classe d’actifs est intéressante puisqu’elle incarne un outil de diversification patrimoniale qui peut être façonné pour les besoins du client. Ce n’est pas du sans risque, c’est un risque que l’on choisit ensemble.

La mise en œuvre de la flat tax va-t-elle rendre moins attractive l’assurance-vie ?

G. L. C’est certain. De plus en plus de clients ont des stratégies de placement en unités de compte. La question est donc de savoir s’il a envie de payer son assureur un point alors que les marchés sont flat ou potentiellement négatifs. Avec la flat tax, on a une fiscalité à la sortie équivalente pour le compte-titres et l’assurance-vie, mais les frais pour cette dernière sont plus élevés. Le regain d’intérêt pour le compte-titres va donc perdurer.

S. R. Je ne pense pas que la flat tax décourage les épargnants de recourir à l’assurance-vie. La plus importante enveloppe d’épargne des Français correspond à l’assurance-vie et totalise plus de 1 700 milliards d’euros, dont plus de 1 200 milliards sur des fonds en euros. Cette surpondération des fonds en euros correspond aussi à la frilosité des Français face au risque. À fiscalité égale, le gros avantage de l’assurance-vie sur le compte-titres, c’est de disposer d’un actif en théorie sans risque. Aucun client n’ira chercher 100 % d’unités de compte sur des comptes titres. En outre, l’assurance vie bénéficie encore d’une fiscalité successorale appréciable et permet de proposer des schémas d’ingénierie intéressant en travaillant avec finesse par exemple les clauses bénéficiaires des contrats.

« Il va falloir travailler sur des offres avec un sous-jacent ETF haut de gamme et être innovant pour justifier nos frais »

G. M. Je ne suis pas totalement d’accord avec l’idée que la fiscalité attachée à l’assurance-vie et au compte-titres soit la même. Il ne faut pas oublier que dans le contrat d’assurance-vie, si l’on n’effectue pas de rachat, les intérêts sont capitalisés hors CSG et CRDS. Mais il est probable que de plus en plus d’épargnants vont se tourner vers les comptes-titres.

S. R. Tout dépend du profil du client et du niveau de risque qu’il est prêt à prendre. S’il dispose d’un million d’euros et qu’il est prêt à en placer la moitié dans des produits risqués, l’autre moitié sera fléchée vers l’assurance-vie. Le compte-titres se développe mais la collecte n’explose pas non plus, sauf pour la trésorerie d’entreprise.

Peut-on inclure n’importe quel sous-jacent dans un produit structuré destiné à être placé en assurance-vie ?

J. S. Les sous-jacents exclus dans l’assurance vie pour les produits structurés sont les devises et les matières premières. Le cœur de l’offre propose plutôt une exposition à des indices classiques comme l’Eurostoxx 50, le Cac 40 ou plus récemment à des indices équipondérés à dividende fixe. Pour des investisseurs ayant une anticipation de marché sur un secteur ou une valeur en particulier, il est possible de concevoir des produits structurés exposés à une seule action (Bouygues, Total, BNP, LVMH…). En résumé, le sous-jacent d’un produit structuré doit être liquide et suffisamment simple pour qu’un investisseur final puisse en comprendre les risques associés.

Quels sont les prochains défis de la profession ?

S. R. L’un des vrais sujets pour l’avenir, c’est l’accompagnement d’une nouvelle classe de clients, les jeunes chefs d’entreprise youtubeurs, instagrameurs ou autres, qui ont fait fortune en deux ou trois ans. Très connectés, ils ont évidemment toutes les caractéristiques des millenials. La digitalisation de notre profession constitue donc un enjeu réel. Mais paradoxalement, nous avons le sentiment que cette typologie de clients apprécie aussi très largement de pouvoir se reposer sur un conseiller physique. Le développement de la gestion passive sera également un des enjeux des années à venir. Les jeunes générations ont d’ailleurs un tropisme ETF très prononcé. Ce type de produit est très développé aux États-Unis et, dans 85 % des cas, l’ETF bat les gérants actifs. Il va donc falloir travailler sur des offres avec un sous-jacent ETF haut de gamme, être innovant pour justifier nos frais et pour capter et accompagner au mieux cette clientèle. Enfin, il est évident que la conformité et la transparence seront au cœur de nos métiers.

« Les produits structurés proposent aux investisseurs un “deal” à visibilité totale »

J. S. Les défis sont multiples entre l’inflation règlementaire et des clients de plus en plus exigeants et sollicités par des acteurs concurrents. Nous assistons actuellement à une première phase de consolidation du marché de la gestion de patrimoine marquée par des opérations de croissance externe significatives ou par la formation de groupements de cabinets permettant de mieux absorber l’augmentation de certains coûts (règlementation, digitalisation, back offices…). Je pense que le principal défi sera de gagner en visibilité auprès du grand public pour conquérir de nouveaux clients et gagner des parts de marché dans le paysage de l’épargne en France. L’émergence de marques fortes dans la gestion de patrimoine et la formation d’acteurs incontournables (dont les tailles vont progressivement rivaliser avec des banques privées) contribueront à inscrire cette profession dans une dynamique de croissance durable.

G. M. Le métier de CGP est difficile. L’exercer suppose d’avoir des compétences juridiques, financières, fiscales, immobilières. Or, nous ne mettons pas assez ces atouts en avant, nous ne les expliquons pas. Je pense que la communication autour notre métier est l’un des défis que nous devons relever.

G. L. Le marché va muter profondément ces prochains mois avec la mise en route des nouvelles normes réglementaires, la politique de frais moins opaque va recentrer le marché sur le conseil et la valeur ajoutée apporté par les cabinets en place. Scala Patrimoine a décidé d’opter pour le statut de CGPI et non de CGP comme le reste du marché. Nous sommes les seuls à rétrocéder à nos clients l’intégralité des rétrocommissions perçues dans le cadre de leur gestion financière. Nous sommes convaincus que seul ce mode de rémunération évite tout conflit d’intérêt dans la relation de confiance et d’accompagnement que doit avoir un conseiller avec son client.

Propos recueillis par Sybille Vié

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