Pressés par les politiques, les régulateurs financiers ont lancé une dizaine de réformes en moins de dix ans. Concentrés sur la gestion des risques, ils ont oublié que la plus grande menace à la stabilité financière est l’absence de croissance. Aujourd’hui, le mot d’ordre est régulé moins pour mieux financer l’économie réelle. Jonathan Hill, commissaire européen en charge de la finance, revient sur les principaux défis à relever. L’entretien a été réalisé avant sa démission suite au Brexit.

Décideurs. Quelles sont les principales missions d’un commissaire européen en charge des services financiers ?

Jonathan Hill. Sa priorité est de réguler le secteur financier et de renforcer sa stabilité tout en l’aidant à contribuer au développement du reste de l'économie. Tout ceci se réalise dans le cadre de l'objectif principal de la Commission Européenne : la création d'emplois et un retour à une croissance durable. En pratique, cela passe par la création d’une union des marchés de capitaux en Europe qui permettra à l'épargne d'être investie dans l'économie. Il faut faciliter la croissance et diminuer les risques grâce à la diversification des sources de financement (par exemple en encourageant l'épanouissement des fintech). Parmi les autres missions en cours, on trouve l’achèvement des réformes initiées lors de la crise, la mise en œuvre de l'union bancaire, la protection des consommateurs à travers plus de transparence. Je voudrais aussi souligner que ces réformes se poursuivent dans le cadre du récent appel à témoignages sur le cadre réglementaire des services financiers dans l’Union européenne, et nous prendrons en compte les avis de tous ceux qui ont participé.  Cette approche se fait en respectant le principe de "better regulation" (meilleure réglementation), engagement clé de la présidence Juncker, qui cherche à réduire la complexité, le coût et l'incertitude qui peuvent dériver de la régulation européenne. En même temps, il faut éviter de pénaliser les acteurs qui opèrent dans l'écosystème financier européen en prenant en compte toute leur diversité.

 

Décideurs. L’Europe est-elle en retard dans ce domaine ?

J. H. Aux États-Unis, les marchés boursiers font deux fois la taille de leurs homologues européens. Pourtant, nos économies sont de taille comparable. Les petites et moyennes entreprises américaines, quant à elles, obtiennent environ cinq fois plus de fonds sur les marchés financiers que leurs homologues en Europe. Pour ce qui concerne le marché du capital-risque américain, il est cinq fois plus large que le nôtre. Donc il est clair qu'il existe de grandes possibilités pour le développement de nos marchés financiers.

 

Il existe de grandes possibilités pour le développement de nos marchés financiers.

 

Décideurs. Quelle est la position de la Commission en matière de titrisation ?

J. H. Il existe un consensus européen entre la grande majorité des gouvernements, des régulateurs, des acteurs privés et des institutions, y compris la Banque centrale européenne pour reconnaître la nécessité de renforcer le marché de titrisation en Europe pour aider le système financier à renforcer son rôle dans la relance de la croissance économique. Il est clair que des pratiques malsaines dans les marchés de titrisation mirent en danger l'intégrité du système financier avant la crise. Cela était dû, en particulier, à des structures opaques et complexes, à des excès de confiance sur des cotes de crédit externes et à des conflits d'intérêt entre les acteurs concernés. Néanmoins, la titrisation en Europe n'a jamais eu les problèmes qu'elle a eus aux États-Unis. Chez nous, les produits de titrisation les moins performants, notés AAA, ne firent défaut que dans 0,1 % des cas, au pic de la crise financière, alors qu'aux États-Unis les même produits firent défaut dans 16 % des cas.

 

Décideurs. Vous dites également qu’il est possible de créer un marché de titrisation sain et transparent. Comment y arriver ?

J. H. Une de mes plus importantes initiatives a été  l'introduction d'un nouveau cadre réglementaire pour renforcer les marchés européens pour les opérations de titrisation sûres basées sur les principes de simplicité, de transparence et de standardisation. Nous avons proposé un certain nombre de mesures pour rendre les opérations de titrisation plus sûres et plus simples, et pour s’assurer qu’il existe des mesures incitatives appropriées pour gérer le risque – notamment des exigences de fonds propres plus élevées, un devoir de diligence, des contraintes en matière de conduite des affaires ainsi que des obligations en matière de rétention du risque.

 

Décideurs. Pensez-vous qu’une nouvelle crise financière est envisageable ?

J. H. Il existe toujours des risques mais c'est justement pour éviter de telles éventualités que l’Union européenne prend les mesures nécessaires afin de s'assurer que le secteur financier soit résilient, bien régulé et bien supervisé. Par définition, un manque de croissance économique peut elle-même être un risque à la stabilité financière. Les réformes initiées depuis la crise financière, aussi bien sous le mandat de mon prédécesseur Michel Barnier que sous le mien, ont énormément diminué la probabilité d'une crise financière et ses impacts potentiels. Mais il faut bien sûr toujours rester vigilant.

 

Décideurs. Êtes-vous inquiet par l’essor du shadow banking ?

J. H. Tout d'abord, je pense qu'il essentiel de souligner que le défi pour la régulation du secteur bancaire parallèle est de maximiser ses bénéfices potentiels tout en minimisant le risque systémique qui peut en dériver. L’approche consiste donc à créer une finance plus transparente et résiliente. Cette approche se complète d’initiatives pour améliorer la qualité et les outils de la surveillance financière pour mieux détecter les risques. C'est aussi pour cela que nous coopérons avec le Conseil européen du risque systémique et l'Autorité bancaire européenne sur ce sujet.

 

Décideurs. Quelles mesures proposez-vous pour y arriver ?

J. H. Le Parlement et le Conseil ont récemment approuvé un projet relatif à la transparence des opérations de financement sur titres. Son objectif principal est de lutter contre les effets indésirables typiquement associés avec le secteur bancaire parallèle. Les nouvelles règles aideront à déceler les risques liés à ces opérations financières et à en déterminer l'ampleur. Le règlement s'inscrit dans le droit fil de l'engagement pris par les dirigeants du G20 de veiller à une plus grande transparence sur les marchés financiers.

 

Les règles adoptées rendront les marchés des opérations de financement sur titres plus transparents. Elles permettront aux opérateurs de recourir à ces marchés pour financer l'économie, tout en facilitant le suivi et l'évaluation des risques encourus. Elles s'ajoutent à d'autres éléments mis en place au lendemain de la crise financière pour rendre notre système plus résilient. Pour conclure, nous avons introduit un bon cadre réglementaire mais il nous reste, bien entendu, à rester vigilant.

 

Propos recueillis par Vincent Paes

Newsletter Flash

Pour recevoir la newsletter du Magazine Décideurs, merci de renseigner votre mail

{emailcloak=off}

GUIDE ET CLASSEMENTS

> Guide 2024