Depuis la crise financière de 2007, les régulateurs européens ont fait de la gestion des risques leur priorité. À tel point qu’ils en ont oublié que leur rôle était aussi de favoriser la compétitivité. Lors du BRS (Business & regulation summit), les acteurs du secteur ont plaidé pour une Union des marchés de capitaux décomplexée.

Pressés par les politiques, les régulateurs financiers ont lancé en moins de cinq ans une dizaine de réformes. Objectif?: limiter les risques d’une nouvelle crise. Pourtant, le spectre d’une rechute n’est pas encore éloigné et a contrario, les dispositifs mis en place rendent les marchés financiers européens moins compétitifs. «?Seuls 40?% des investisseurs européens sont actifs?», constate Nathalie Esnault, managing director- securitization chez Crédit agricole CIB. Comment expliquer un tel échec??

 

Au service de l’économie

 

Pour de nombreux spécialistes, la raison est simple?: les réformes manquent d’une vision stratégique. «?Si on oublie le pourquoi, difficile de définir le comment?», résume un banquier. Longtemps, les régulateurs européens ont été pris entre deux feux. D’un côté, les politiques et leurs électeurs qui réclamaient moins de prises de risque de la part des marchés financiers, et de l’autre, les investisseurs qui plaidaient pour une finance plus libre afin de soutenir la croissance. Depuis 2013, la dureté de la crise a fait changer d’avis les politiques. Face à un chômage de masse, la régulation des risques n’est plus leur priorité. «?Les régulateurs doivent accompagner et non prohiber?», résume Arnaud de Bresson, managing director de Paris Europlace. «?La régulation doit toujours servir le client?», rappelle pour sa part Richard Koch, head of policy chez The UK Cards Association.

 

L’Union des marchés de capitaux (CMU ou Capital Market Union), portée par la Commission européenne, va dans ce sens. Longtemps perçue comme une tentative supplémentaire de contrôler le marché, elle est désormais présentée comme un moyen de financer l’économie européenne. Pour cela, les régulateurs souhaitent supprimer les obstacles à la libre circulation des capitaux dans les vingt-huit États membres, l’objectif étant de développer les sources de financement. L’Europe se révèle encore trop dépendante de son système bancaire, or d’autres sources de financement sont possibles si les régulateurs savent les rendre attractifs?: marchés des capitaux, capital-risque, financement participatif, gestion d’actifs… Les réformes à prendre ne manquent pas.

 

Si cette diversification s’avère bénéfique pour les investisseurs, elle l’est aussi pour les entreprises. Elle permettrait d’atténuer les conséquences d’une nouvelle crise financière. En 2007, lorsque celle-ci éclate, 80?% du financement des sociétés européennes passent par du crédit. Huit ans plus tard, ce taux n’a toujours pas changé. Inverser la tendance passe par le développement du marché equity. Or l’appétit pour le risque n’est pas dans la culture européenne et la régulation va dans ce sens.

 

Dialogue

 

«?Les régulateurs ne doivent plus agir dans leur coin, ils doivent dialoguer davantage avec les acteurs financiers?», estime Arnaud de Bresson. Un conseil qu’a entendu la Commission européenne puisqu’elle a mis en place avec succès une approche bottom up. Conformément à son Paquet «?Better Regulation?», elle a lancé un appel à contributions sur l’effet cumulé de la législation financière. L’objectif consiste à s’assurer que la régulation produit les effets escomptés sans créer d’incohérences. Pour la CMU, la Commission a ainsi envoyé des consultations à l’ensemble des intervenants du marché.

 

Grâce à cette pratique, trente-deux propositions d’actions ont déjà été formulées, dont certaines étaient des axes de réflexions complémentaires. Autre dispositif mis en place?: le call for evidence. Les acteurs sont appelés à identifier les grains de sable et à quantifier les surcoûts économiques liés. Une approche qui devrait également être appliquée dans les secteurs innovants de la finance selon Emily Reid, associée chez Hogan Lovells?: «?Dans un premier temps, les régulateurs devraient permettre aux fintech d’agir librement car les entrepreneurs comprennent mieux comment cela fonctionne.?»

 

Titrisation

 

Parmi les sujets les plus sensibles, Solvabilité II et la titrisation. Face aux critiques des assureurs qui indiquaient avoir des difficultés à investir dans les projets d’infrastructure, la Commission européenne a fait machine arrière. «?Nous espérons que les modifications apportées au règlement délégué Solvabilité II créeront les incitations dont les assureurs ont besoin pour réaliser des investissements viables?», conclut Jyrki Katainen, vice-président de la Commission européenne chargé de l’emploi, de la croissance, de l’investissement et de la compétitivité.

 

L’environnement prudentiel a également conduit les banquiers et assureurs à limiter la taille de leurs bilans. Ces derniers ne sont donc pas incités à détenir dans leur bilan des créances titrisées car les charges en fonds propres restent dissuasives. Si des charges allégées sont proposées pour des titres répondant à un standard de qualité, les critères sont tels (pour le moment, il y en a déjà cinquante) que le nombre d’opérations éligibles est trop limité pour avoir un impact sur le marché. Résultat, la titrisation européenne est à la traîne. En 2008, les volumes d’émissions avaient atteint 650?milliards d’euros. Aujourd’hui, ils tournent autour de 200?milliards d’euros par an. Pour François-Régis Benois, directeur de la division de la régulation des sociétés cotées à l’AMF, «?la titrisation doit être certifiée par des parties tiers?».

 

De son côté, Paris Europlace préconise «?un minimum de progressivité?» en matière d’exigences en capital. Les négociations devraient avancer lentement car la connotation négative de la titrisation reste forte. L’opinion publique associe toujours cette pratique à la crise américaine des crédits hypothécaires à risque. Le constat est inversement plus inquiétant dans les nouveaux secteurs comme les dark pools, le trading à haute fréquence ou les algorithmes. Face à ces nouvelles pratiques, les autorités ne savent pas comment s’y prendre. Autre problématique, la récolte des données. Pour construire leurs directives, les régulateurs se reposent sur les reportings qui leur sont envoyés. Or, il n’existe aucune structure pour les recueillir et les traiter en conséquence. Résultat, les données détenues par les régulateurs ne reflètent que partiellement la réalité. Pire, dans certains cas, elles la déforment. Ce que les régulateurs appellent entre eux le «?garbage processing?». «?Il y a un risque avéré?», estime un banquier. Cela pose également un vrai problème de crédibilité. Or, pour imposer leur vision, les régulateurs doivent réussir à convaincre les acteurs du marché et les utilisateurs finaux.

 

V. P.

 

L'entretien d'Édouard-François de Lencquesaing (EIFR) : « Les bienfaits d'une approche bottom up »

 

Des marchés financiers en panne

 

40?%?: le pourcentage des investisseurs européens actifs sur les marchés financiers.

207 MD€?: montant du marché européen de la titrisation en 2015. Pour comparaison, les titrisations ont atteint 1?150?milliards de dollars la même année outre-Atlantique.

42?%?: la baisse du volume des titrisations émises au sein de l’Union européenne.

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